Discours et communiqués de presse
Colloque sur la piraterie audiovisuelle
Rencontre avec les studios américains et internationaux
16 mai 2004

Monsieur le Député-Maire,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,

Je tiens tout d'abord à remercier Gilles Jacob d'avoir pris l'initiative de cette rencontre sur la piraterie, qui constitue une préoccupation majeure et, je le sais, partagée.
En tout cas, par le Ministre de la Culture et de la communication que je suis et par les professionnels que vous êtes. Peut-être pas encore assez par l'opinion publique, par le public en général. Nous y reviendrons, car nous sommes aussi ici pour échanger sur les moyens d'une meilleure sensibilisation du public à ce fléau, qui doit mobiliser non seulement les créateurs du monde entier mais aussi tous ceux qui sont sincèrement attachés à la culture dans sa diversité.

Le Festival de Cannes est une chance unique de réunir des professionnels du monde entier, non seulement pour voir les œuvres et ceux qui les font, mais aussi pour débattre et je me réjouis que nous saisissions cette chance aujourd'hui pour avancer dans la lutte contre ce fléau.

Le colloque de mardi organisé par le Centre national de la cinématographie, avec Canal Plus, le Festival et l'Association de Lutte contre la Piraterie Audiovisuelle, a montré l'ampleur du problème. L'explosion de la piraterie appelle des réponses urgentes.

Après la musique, c'est le cinéma qui est touché, comme le prouve une étude commandée par le Centre national de la cinématographie : ce sont un million de films pirates qui s'échangent chaque jour sur Internet en France, soit plus du double du nombre d'entrées en salles et cinq fois plus que les ventes de vidéo quotidiennes !

Entendons-nous bien : je suis un enthousiaste d'Internet, de ce monde décloisonné, sans frontières, de cette liberté d'accès à la connaissance et à l'information pour tous, liberté formidable, où le pire côtoie parfois le meilleur, et je suis très attaché à cette liberté. Mais ces libertés nouvelles, faites de découvertes, de curiosités, d'échanges, doivent s'accompagner de responsabilités nouvelles et de la conscience de ces responsabilités. Parce que je suis profondément humaniste et parce que cet humanisme, c'est la confiance en l'homme et la foi en l'intelligence humaine, je ne puis concevoir cette liberté sans cette conscience.

Or, l'industrie de la musique a perdu dans notre pays plus de 30% de son chiffre d'affaires depuis le début de l'an dernier. Les plans de restructuration qu'elle a dû mettre en place la conduisent à licencier près du tiers de ses effectifs, ce qui provoque, outre les drames humains que vous imaginez, une chute vertigineuse de la production des nouveaux talents.

Si nous n'y prenons garde, l'industrie cinématographique va très rapidement se retrouver dans la même crise.

Je tiens à vous le dire : dans l'exercice des responsabilités qui sont les miennes, ma conception du sens de ma mission m'oblige à ne pas laisser faire, à intervenir, non pas seul, bien évidemment, mais avec tous les responsables concernés, avec mes collègues européens en particulier, que je réunis ici-même après-demain. Et pour agir efficacement je veux d'abord travailler avec vous, vous écouter, pour trouver ensemble des solutions d'avenir. Des solutions défensives, et aussi des propositions constructives.

C'est dans le dialogue et par le dialogue avec vous que j'entends agir, sur ce sujet, comme sur d'autres sujets brûlants.

La piraterie, c'est du vol. Au préjudice de tous ceux qui travaillent pour créer, produire et distribuer les œuvres qui nous font rêver, qui nous font réfléchir, qui nous interrogent sur notre vie, sur le monde qui nous entoure, des œuvres que nous apprécions, parce qu'elles nous donnent beaucoup de plaisir.

La piraterie, je l'ai dit, c'est du chômage. Nous devons préserver l'emploi, tout comme la création.

Je me considère aussi comme le ministre du public, des publics. Et la piraterie nuit au public, quand bien même il pense parfois en tirer profit. Car la piraterie, en définitive, assèche peu à peu la création, la diversité dont nous sommes friands et sans laquelle nous n'aurions accès qu'à une offre uniforme, standardisée, insipide. Bref, un cauchemar de "clonage" culturel qu'il nous faut non pas conjurer par des mots, mais dissiper par des actions concrètes.
Et je compte sur vous pour en proposer.

Sans les ressources légitimes des créateurs, des producteurs et des distributeurs, c'est aussi l'ensemble des prestataires techniques, des techniciens eux-mêmes et des talents qui risquent d'être, à terme, condamnés. Il ne peut exister de culture sans auteurs, ni artistes, ni techniciens, ni producteurs. Je veux donc lutter contre la piraterie, pour assurer les conditions de la survie des œuvres. Contre les discours qui assimilent le droit des auteurs et la propriété intellectuelle à des obstacles à la circulation des œuvres, il faut rappeler au contraire qu'elles ne circulent que si les créateurs tirent les justes fruits de leur travail.

Il nous faut donc réagir rapidement et collectivement : la piraterie ignore toute frontière. Les réponses seront internationales ou ne seront pas. Seule une coopération efficace entre nous tous, seul un engagement clair des autorités publiques des différents pays, aux côtés des professionnels, peuvent construire ces réponses.

La piraterie sévit sur Internet. Elle s'attaque aussi aux DVD.

Dans de nombreux pays peu respectueux des droits de la propriété intellectuelle, des usines de réplication en masse s'installent et inondent le monde entier de DVD contrefaits.

Ces deux phénomènes, vous le savez, sont liés : on trouve de plus en plus de DVD pirates dont les contenus ont été téléchargés sur Internet. Ils ne sont pas seulement le fait d'internautes inconscients ou isolés. Le crime contre l'esprit que constitue la piraterie est souvent un crime organisé, selon de véritables filières chargées en particulier d'introduire sur les réseaux les premières copies pirates d'un film.

L'adoption récente par le Conseil de l'Union européenne de la directive contrefaçon est une excellente nouvelle. Parce qu'elle dispose d'une législation parmi les plus protectrices d'Europe, la France est déjà proche de l'objectif fixé par la directive. En transposant ce texte, nous mettrons en place le " droit à l'information ", qui permettra d'obtenir toutes les informations nécessaires au démantèlement des filières. Nous mettrons également en place des meilleures conditions d'évaluation du préjudice et d'indemnisation des victimes de contrefaçon.

Je proposerai mardi à mes collègues, ministres européens de la culture, de définir ensemble un plan commun de lutte contre la piraterie, à l'échelle de l'Union européenne élargie. Dans cette perspective, il me paraît souhaitable de relancer l'élaboration d'une décision-cadre reprenant le volet pénal de la directive contrefaçon et de développer les échanges de bonnes pratiques.

Cette approche répressive contre la piraterie en bande organisée est indispensable. Elle est nécessaire. Elle n'est pas suffisante. Il faut aller au-delà.

Les pratiques de téléchargement traduisent en effet de nouvelles attentes de la part des internautes, attachés à leur liberté de choix. Et il est clair que le téléchargement n'a rien de mauvais en soi, s'il est respectueux des droits de propriété intellectuelle.

Il est urgent que les professionnels de la distribution et les fournisseurs de contenu proposent une offre payante, légale et attractive sur Internet, pour le cinéma comme pour la musique.

Je suis convaincu qu'Internet est un formidable outil au service de la diversité culturelle et de l'accès aux œuvres, parce qu'il permet de distribuer des catalogues de grande taille qu'aucun distributeur classique ne peut égaler, parce qu'il permet des formes de présentation et de promotion ciblées et novatrices.

Je fais confiance à votre imagination, à votre inventivité, pour aller au devant de ces demandes nouvelles qui permettront de passer de la culture du réseau au réseau de la culture, une culture vivante, adaptée à de nouveaux modes de "consommation" plus individualisés, mais tout aussi exigeants en terme de qualité.

Les initiatives dans ce domaine sont encore trop peu nombreuses en Europe. Or, l'étude menée par le Centre national de la cinématographie montre qu'une grande partie des gens qui s'adonnent aujourd'hui à des téléchargements illégaux seraient prêts à s'acquitter d'un paiement, à la condition par exemple qu'ils bénéficient en échange d'une garantie de qualité des œuvres achetées en ligne. Ce n'est qu'un exemple, parmi d'autres à inventer, d'un nouveau modèle économique, respectueux des droits des créateurs et des producteurs, comme des attentes des consommateurs.

La sécurisation des offres sur Internet est cruciale, pour éviter que les téléchargements légaux n'alimentent directement les réseaux pirates. Il appartient aux industriels d'apporter des solutions techniques satisfaisantes. Je pense en particulier à l'interopérabilité, mot barbare mais que vous comprenez parfaitement : il s'agit de faire en sorte que les amateurs puissent utiliser les œuvres régulièrement acquises sur une variété de supports, comme les baladeurs que l'on voit beaucoup.

Le projet de loi sur les droits d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information, que je défendrai devant le Parlement, comme prévu, dès le milieu du mois prochain, - j'ai tenu à maintenir ce calendrier, en dépit d'un ordre du jour parlementaire très chargé - apportera une sécurité juridique supplémentaire à ce type d'offre.

Nous devons faire évoluer les mentalités. J'ai conscience du rôle des responsables politiques en la matière. C'est aussi une question de communication, que nous devons résoudre ensemble.

Je souhaite mettre en place avec les professionnels une politique ambitieuse de sensibilisation et de prévention. Dans cet esprit, je lancerai, en lien avec le ministère de l'Education Nationale, une campagne à destination des jeunes publics avant la fin de l'année.

Je serai attentif à toutes les suggestions que vous pourrez me faire en ce sens.

Le nombre des personnes qui téléchargent illégalement des œuvres musicales ou audiovisuelles sur Internet est en effet particulièrement élevé en Europe et aux Etats-Unis. La plupart d'entre elles n'ont pas assez conscience d'être dans l'illégalité, n'en mesurent pas les conséquences. Elles ne se rendent pas compte qu'elles causent du tort aux créateurs, ou éprouvent souvent un sentiment d'impunité.

L'offre de téléchargement légale et payante que j'appelle de mes vœux, même si elle est attractive, ne pourra réellement trouver son marché face à la concurrence d'une abondante offre gratuite et illégale.

Il y a une illusion de la gratuité sur Internet. L'amateur de cinéma qui entre dans une salle obscure pour regarder un film sait que ce film ne lui appartient pas. Il paie un billet pour le voir. Et il en repaie un autre, s'il veut revoir ce film qu'il apprécie, qui lui donne du plaisir. Sur Internet, règne une double illusion : on peut croire s'approprier l'œuvre d'autrui, d'autant mieux qu'on croit le faire en tout anonymat. C'est faux. Nous laissons des traces, partout sur Internet. Et l'anonymat peut être levé par le juge en cas d'infraction.

Le projet de loi sur le traitement des données personnelles, actuellement en discussion au Parlement, devrait autoriser en effet les sociétés collectives et les représentants des créateurs à mettre en place un enregistrement automatisé des infractions pour faciliter les poursuites. Je souhaite que ce type de dispositif puisse être utilisé pour envoyer des messages préventifs et individualisés aux internautes qui diffusent des œuvres protégées sur les réseaux pirates.

Pour qu'une réelle prise de conscience puisse se faire, il est indispensable que tous les professionnels se mobilisent de manière solidaire et qu'ils associent à leur lutte les fournisseurs d'accès à Internet.

Il faut mettre en œuvre, c'est indispensable, un véritable partenariat. Je fais confiance aux fournisseurs d'accès à Internet, pour contribuer à faire évoluer les mentalités. Je prendrai, dans les semaines qui viennent et en lien avec le Ministre chargé de l'Industrie, l'initiative d'organiser un dialogue entre les professions concernées afin de faire vivre ce partenariat. Ce dialogue devra nous permettre de trouver ensemble les moyens de développer les offres légales et payantes et de lutter contre les offres illégales.

Si la France est aujourd'hui fortement mobilisée pour lutter contre la piraterie, c'est au nom de la diversité culturelle que nous avons toujours défendu contre les tentatives de banalisation, ce qui nous a permis de créer des industries culturelles dynamiques.

Mesdames et Messieurs,
Je me réjouis que nous puissions débattre aujourd'hui de ces questions ensemble en toute franchise et en toute liberté. Nous nous réjouissons tous de voir ici les plus belles œuvres du monde entier. C'est collectivement qu'il nous appartient de faire en sorte que nous puissions continuer à les voir demain.

Je vous remercie.


photo : D.R


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