Discours et communiqués de presse
Discours de Renaud Donnedieu de Vabres

Journée européenne des langues
(dans le cadre de la semaine des cultures étrangères)
bibliothèque publique d’information

Centre Georges Pompidou - mardi 26 septembre 2006

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Président du Centre Georges Pompidou, cher Bruno Racine,
Monsieur le Président du Forum des instituts culturels étrangers à Paris, Cher Giorgio Ferrara,
Mesdames et Messieurs les Directeurs d’instituts et de centres culturels étrangers à Paris,
Monsieur le Directeur de la Bibliothèque publique d’information,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,


Je suis très heureux d’être présent parmi vous aujourd’hui pour célébrer la diversité culturelle, au cœur de cette Semaine des cultures étrangères, placée cette année sous le signe de la diversité linguistique et culturelle. Nous fêtons en effet aujourd’hui la Journée européenne des langues, instituée en 2001 par le Conseil de l’Europe.

Je tiens tout d’abord à vous remercier, Monsieur le Président, cher Bruno, d’accueillir cette manifestation au Centre Georges Pompidou ; je tiens également à vous exprimer, Monsieur le Directeur [Giorgio Ferrara, directeur de l’Institut culturel italien] - qui présidez le Forum des Instituts culturels étrangers à Paris (FICEP) - toute notre reconnaissance pour avoir associé à cet évènement les 33 établissements culturels étrangers présents dans notre capitale. La richesse des programmes qu’ils ont imaginés pour cette semaine dédiée aux « créateurs d’ailleurs », est exemplaire à mes yeux du rôle moteur qu’ils jouent dans notre vie culturelle.

Car c’est bien de la diversité culturelle et de son expression la plus parlante, la diversité linguistique, qu’il s’agit ce soir, et cette manifestation s’inscrit très directement dans la politique que je mène dans tous les secteurs de la vie culturelle pour défendre le droit des peuples à la valorisation de leur patrimoine, à la libre expression de leur culture et de leurs créations. Parce qu’au-delà de la France, bien au-delà même des frontières européennes, il s’agit d’une aspiration universelle.

C’est dans cet esprit que la France met tout en œuvre, autour du Président de la République et avec le Président de la Commission européenne, pour que la Convention internationale sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée le 20 octobre dernier à la quasi-unanimité de la communauté internationale, soit ratifiée avant la fin de l’année, et que les Etats membres et l’Union européenne fassent partie des trente premiers membres de l’Unesco qui détermineront son orientation, son interprétation et son application.

C’est au nom même des échanges dans un monde ouvert, auxquels nous croyons passionnément, que nous menons cette bataille. Une culture, en effet, n’est pas un composé stable ; ce n’est pas un élément chimiquement pur ; ce n’est rien d’autre que le dialogue singulier, et toujours réinventé, qu’elle entretient avec d’autres cultures. C’est en ce sens que, comme le disait André Malraux, « la culture ne s’hérite pas, elle se conquiert ». Autrement dit, elle est toujours devant nous, à construire, à créer. Et ce dialogue, dans un monde global, nous n’avons d’autre choix que de l’organiser, de le faire progresser ensemble.

La France l’a affirmé avec force, lors des Rencontres pour l’Europe de la culture, qui se sont tenues en mai 2005 à Paris. Elle le réaffirme avec force aujourd’hui, encore et toujours, en accueillant de nouveau des créateurs venus d’ailleurs, des écrivains, artistes, cinéastes, architectes, musiciens d'hier ou d'aujourd'hui que vos instituts nous invitent à découvrir ou à redécouvrir - célèbres ou méconnus, déjà classiques ou contemporains, chacun d'eux jouant un rôle de passeur emblématique vers sa langue et sa culture.

Comment être soi parmi les autres ? Comment préserver, sous la menace de l’uniformisation, une « esthétique du divers », pour reprendre la très belle expression de Victor Segalen ? Telle est l’exigence politique vitale qui est la nôtre aujourd’hui.

Elle vaut singulièrement pour les langues. « Le premier instrument du génie d'un peuple, c'est sa langue », disait Stendhal. Dans un monde "global", comment faire coexister les langues, comment éviter qu’elles ne renoncent à leur génie, à leurs capacités expressives, au profit d’une langue unique ? Comment préserver ce que les linguistes appellent leur « fonctionnalité » ? Au sein de la construction européenne, notamment, la reconnaissance de 20 langues officielles, et bientôt de 23, confère à cette question un caractère de brûlante actualité. Elle nous a conduits à esquisser les contours d’une politique européenne de la langue - qui n’est pas seulement une politique des langues européennes - afin d’organiser la coexistence des langues, en multipliant entre elles les échanges, les passerelles, les possibilités de conversion. Je me félicite que mon ami Ian Figel, le Commissaire européen chargé de l’Education, de la formation, de la culture et du multilinguisme, situe son action dans la même perspective. Pour faire avancer concrètement ces échanges, je souhaite que les chefs-d’œuvre de nos littératures soient traduits dans toutes les langues de l’Europe. Je souhaite également que les librairies européennes s’associent en un véritable réseau solide et efficace.

Notre politique tient en trois mots : comprendre, parler, traduire, et je suis heureux de constater qu’ils correspondent, symboliquement, aux trois espaces de démonstration proposés à l’occasion de cette Journée par la BPI.

Comprendre, d’abord. Je le dis souvent : être Européen, c’est s’exprimer dans sa langue et comprendre celle des autres ; et pour ma part, en situation de communication internationale, je m’exprime toujours en français, chaque fois que je le peux, en souhaitant que nos partenaires, et parfois nos compatriotes eux-mêmes, manifestent le même attachement à l’égard de leur langue. Mais, bien entendu, cette attitude n’est tenable que si je comprends la langue de mon interlocuteur et s’il comprend la mienne. A cet égard, nous n’avons sans doute pas encore tiré suffisamment partie des liens de parenté entre les langues - par exemple nordiques, germaniques, latines - et je suis de ceux qui croient profondément à l’avenir de nos solidarités latines, notamment, qui peuvent venir renforcer nos solidarités francophones et européennes. Il se trouve qu’il existe des pédagogies qui, prenant appui dans les premiers stades de l’apprentissage sur les similitudes entre les langues, conduisent progressivement à introduire, en les soulignant, les facteurs de différence. J’ai demandé à la délégation générale à la langue française et aux langues de France de prendre des initiatives pour promouvoir ces méthodes d’intercompréhension, à la lumière des travaux entrepris par les linguistes. La présentation qui nous en est faite à la BPI en est un premier témoignage, étant entendu, bien évidemment, que la simple compréhension d’une langue ne remplacera jamais sa pratique effective.

Parler, ensuite. L’enseignement des langues, dans notre société comme dans toutes les autres, est d’abord la responsabilité de l’école ; et de grands progrès ont été effectués récemment, dans le système éducatif français, avec la mise en application du cadre européen de référence, qui permet d’évaluer les compétences linguistiques de nos jeunes concitoyens et de leur fixer des objectifs d’apprentissage. La généralisation de l’apprentissage de deux langues en plus de la langue maternelle va dans le même sens.

Les progrès du numérique et les nouvelles techniques de communication peuvent contribuer à encourager cet apprentissage tout au long de la vie, au-delà du seul cadre scolaire, en permettant notamment l’auto-formation. Si nous nous retrouvons aujourd’hui à la BPI, c’est que le Centre Georges Pompidou a joué un rôle pionnier en la matière, en offrant au public la possibilité d’apprendre quelque 208 langues ! Sur ce modèle, les médiathèques placées sous l’autorité du ministère de la Culture et de la Communication ont été, elles aussi, incitées à s’équiper, il y a plusieurs années déjà, afin d’introduire l’apprentissage des langues comme une dimension essentielle de l’accès à la culture. Enfin, le « passeport pour les langues » que votre Forum, Monsieur le Directeur, offre au public parisien, en collaboration avec le ministère de la culture et de la communication, souligne l’apport inestimable des représentations culturelles étrangères, aux côtés de l’initiative privée et des efforts de l’Etat, pour inciter nos concitoyens à s’ouvrir au plurilinguisme.

Traduire, enfin. Sans traduction, il n'y a pas de circulation de la pensée, des concepts, des informations, en Europe et dans le monde. La vraie langue de l'Europe - et je dirais la seule langue commune sur la quelle nous puissions nous accorder - c'est la traduction, comme le dit magnifiquement Umberto Eco.

La traduction est d'abord une haute activité de l'esprit, mais aussi un véritable métier qui a besoin d'une qualification professionnelle, tant les concepts évoluent rapidement, et d'une reconnaissance légitime. Aussi, je tiens à saluer en premier lieu ces femmes et ces hommes, les traducteurs, qui sont des passeurs de cultures et contribuent au progrès humain.

Avec le développement d'Internet, la mondialisation des échanges et la mise en commun des savoirs, le volume d'information circulant dans toutes les langues a beaucoup augmenté et nécessite aujourd’hui des technologies nouvelles. La traduction automatique, et plus généralement ce que l'on nomme le traitement automatique des langues, sont des domaines de la recherche qu'il faut continuer à encourager en France. Ce sont également des secteurs industriels où nos entreprises sont très performantes et compétitives sur le marché mondial. Je suis heureux qu'un certain nombre d'entre elles aient accepté de jouer le jeu lors de cette manifestation à la BPI, en mettant en valeur leur contribution à la diversité linguistique.

Je suis très heureux que le grand écrivain voyageur, le grand essayiste italien à l’âme vagabonde, Claudio Magris, qui nous a entraîné sur les rives du Danube, puis dans l’intimité de ses Microcosmes, en pensant si brillamment les liens entre l’altérité et l’identité, se joigne à nous aujourd’hui, pour éclairer notre réflexion sur le dialogue et la diversité des langues.

Cher Claudio Magris, vos analyses magistrales, je pense par exemple à celles de L’Anneau de Clarisse, qui prolongent les leçons que vous avez données au Collège de France, nous invitent à de passionnantes lectures ou relectures de monuments de la littérature européenne. A chaque page, vous nous montrez combien les créations de l’esprit humain permettent aux individus que nous sommes, dans leur multiplicité, de trouver des repères et des sens nouveaux, au sein de la grande et diverse « prose du monde ». Je sais combien vos étudiants, vos lecteurs, dans toutes les langues, vous sollicitent, et je tiens à vous dire combien nous sommes sensibles à votre présence parmi nous ce soir.

La diversité culturelle ne se divise pas, et la diversité linguistique en fait partie intégrante. Mieux encore : parce qu’une langue n’est jamais seulement un outil de communication, mais aussi un marqueur d’identité et un matériau de création, la diversité des langues dans le monde en est l’expression privilégiée. C’est au rappel de cette évidence, de cette exigence, que nous convie la Journée européenne des langues, et je me réjouis que vous soyez venus si nombreux ce soir à la BPI pour la célébrer.

Je vous remercie.


[ Discours et communiqués ]