Discours et communiqués de presse
Discours de Renaud Donnedieu de Vabres
prononcé devant la Commission des affaires culturelles du Sénat

mardi 5 décembre 2006



Monsieur le Président, Cher Jacques Valade,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Je vous remercie de m’avoir invité à présenter devant vous, à la veille de l’examen, par votre Haute Assemblée, du budget du ministère de la culture et de la communication, vendredi prochain, les enjeux et l’état d’avancement de la politique de l’emploi que je conduis sans relâche depuis ma prise de fonction.

Une page est en train de se tourner, j’espère définitivement, sur ce qu’il est convenu d’appeler la crise « des intermittents du spectacle » et que j’appelle, moi, la politique de soutien à l’emploi des artistes et des techniciens du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant.

Des efforts considérables ont été engagés depuis plus de trois ans par le gouvernement, par la représentation nationale. Je tiens à saluer la constance des membres de votre commission. Celle-ci s’est manifestée, depuis 2003, dans votre analyse, mais aussi dans votre présence, au cœur même des évènements, aux côtés de nos artistes et techniciens. Je tiens également à rendre hommage au travail scrupuleux et pédagogique effectué par Serge Lagauche dans le cadre de son rapport budgétaire que vous avez adopté le 23 novembre dernier. Votre commission prend acte de la perspective de sortie de crise. Elle retrace également l’ensemble de la politique menée par le Gouvernement depuis 2004, et qui a permis de contribuer à un diagnostic partagé et à cette articulation historique entre la solidarité nationale et la solidarité interprofessionnelle.
Au delà de cette politique, vous avez raison, Monsieur le rapporteur, de replacer cette question dans le cadre plus général du renforcement de l’attractivité culturelle et économique de notre pays. Oui, vous avez raison de conforter cette direction pour sortir le monde culturel de son isolement. C’est effectivement un objectif commun majeur. Nous le partageons, il reste encore beaucoup de travail pour le faire partager par d’autres.

Depuis, Monsieur le président,
- le rapport de votre commission, en juillet 2004, ;
- le rapport de la mission d’information de la commission des affaires culturelles de l’assemblée nationale rédigé par Christian Kert,
les débats sur le spectacle vivant qui se sont tenus au Sénat, et à l’Assemblée Nationale sous la présidence effective, de bout en bout, de Christian Poncelet et de Jean-Louis Debré, nous avons avancé ensemble.

Ce travail a conforté celui effectué par les partenaires sociaux du secteur comme au niveau confédéral, par les experts qui ont été missionnés( je pense en particulier aux travaux de Jean-Paul Guillot, qui ont éclairé les réflexions des pouvoirs publics comme des partenaires sociaux), par le comité de suivi, initiative originale qui a permis d’apporter des contributions utiles à la construction d’un nouveau système, tous ces efforts sont en train de porter leurs fruits : un nouveau protocole est sur le point d’être signé par plusieurs confédérations de salariés ; dès lors qu’un nouveau système d’assurance chômage est en place, conformément à l’engagement du Premier Ministre, l’intervention de l’Etat, avec le Fonds de professionnalisation et de solidarité, vient renforcer la protection assurée par le régime d’assurance chômage et s’articule avec lui. Les contacts nécessaires sont en cours, entre les administrations concernées et les services de l’UNEDIC, pour garantir la mise en place effective du nouveau système, dès le début de l’année prochaine, dans les meilleures conditions, pour les artistes et les techniciens du spectacle comme pour les agents des ASSEDIC.

Mais surtout sans vouloir préjuger de la conclusion imminente de négociations en cours, la structuration de l’emploi par les conventions collectives est bien engagée. C’est par les conventions collectives, beaucoup plus que par l’assurance chômage, que doit être organisé l’emploi dans le secteur du spectacle vivant et enregistré. C’est la manière la plus vertueuse de mettre fin aux abus qui ont trop longtemps miné le système.

Malgré des difficultés et des tensions entre les représentants des employeurs et les représentants de salariés, inévitables dans ce genre d’exercice, les négociations progressent et plusieurs d’entre elles sont sur le point d’aboutir.

Je prendrai l’exemple de la convention pour la production audiovisuelle, dont la négociation est achevée et qui est proposée à la signature des syndicats de salariés, pour illustrer les effets concrets sur l’emploi qui sont attendus des conventions collectives :

- elle assure la couverture des salariés permanents, faisant du contrat à durée indéterminée la norme de référence, quand il était implicitement admis que le contrat à durée déterminée d’usage représentait la seule forme d’organisation du travail ;

- elle encadre le recours au contrat à durée déterminée d’usage, en limitant les fonctions et les emplois, en précisant l’objet pour lequel il peut être conclu ;

- elle prévoit des dispositions qui encouragent à l’allongement de la durée du travail et, notamment, une modulation de la rémunération qui tient compte de la durée du contrat, ainsi qu’une mensualisation de la rémunération, qui permet de donner une plus grande visibilité et une plus grande sécurité aux salariés ;

- elle prend en compte la très grande amplitude des journées de travail, mais prévoit, en contrepartie, que le temps de disponibilité peut être rémunéré ;

-en un mot, elle rapproche les dispositions des contrats de travail de la réalité des pratiques d’emploi et fait ainsi prendre en compte les spécificités des pratiques d’emploi du secteur du spectacle par les conventions collectives - et non plus seulement par les dispositions de l’assurance chômage.

Comme les autres conventions collectives, puisque ces points-là font l’objet d’un groupe de travail commun à l’ensemble des huit commissions mixtes paritaires, un système de prévoyance est prévu pour les non-cadres comme pour les cadres et, avant le 1er juillet prochain, une protection en matière de santé sera mise en place pour les artistes et techniciens intermittents. C’est bien dans le cadre des conventions collectives que se met en place le premier niveau, indispensable, de protection sociale pour les artistes et les techniciens.

Dans chacune des autres commissions mixtes paritaires, les négociations sont intenses, les efforts déployés par les partenaires sociaux, représentants des employeurs comme des salariés, sont considérables et ils font chacun, permettez moi de leur en rendre hommage devant vous, des concessions importantes pour parvenir à un accord dans les délais fixés. Ils y sont aidés par l’exceptionnelle mobilisation, que je voudrais saluer publiquement, de la direction général du travail, des présidents de commissions mixtes paritaires, des services du ministère de la culture et de la communication.

C’est un effort d’une ampleur et d’une cohérence sans précédent qui est engagé pour que, enfin, comme dans tous les autres secteurs d’activité, l’emploi dans le spectacle vivant et enregistré soit organisé par le dialogue social et les conventions collectives.

C’est l’occasion, pour le gouvernement comme pour les partenaires sociaux, de confirmer la spécificité de la conception française du statut des artistes du spectacle, qui les considère comme des salariés et leur assure toutes les protections correspondant au statut de salarié : droits sociaux et syndicaux, rémunération, protection contre le chômage, prévoyance, santé, congés payés, organisés par le droit du travail et la négociation collective.

Il s’agit là, trop souvent méconnu, du volet social de l’exception culturelle française, la présomption de salariat des artistes interprètes, reconnue désormais, grâce à un arrêt du printemps dernier, par la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, même si celle-ci a pris soin d’en préciser et d’en délimiter la portée. Dans la plupart des autres pays, les artistes ont le statut de travailleur indépendant, et seule la protection de leurs droits d’auteur ou d’interprète est assurée.

Par l’accent mis sur la négociation des conventions collectives, le statut de salarié des artistes est clairement réaffirmé.

C’est le socle de la sécurisation des parcours professionnels que le système pérenne de soutien à l’emploi des artistes et techniciens du spectacle a l’ambition de construire. Les annexes 8 et 10, redéfinies par le nouveau protocole, et le nouveau Fonds de professionnalisation et de solidarité constituent, ensemble, avec les conventions collectives, le système pérenne de protection sociale et professionnelle pour les artistes et les techniciens auquel le Gouvernement s’est engagé.

Je sais bien qu’il ne correspond pas, intégralement, à toutes les revendications qui s’étaient exprimées ; que certaines propositions intéressantes qui avaient été formulées n’ont pas été retenues dans la négociation entre les partenaires sociaux interprofessionnels. L’Etat n’a pas à se substituer à eux. En concertation avec eux, l’intervention de l’Etat vise à prendre en compte certains éléments des pratiques d’emploi des artistes et des techniciens qui s’inscrivent dans les objectifs assignés à la politique d’emploi dans le spectacle.

Dans le respect des responsabilités des partenaires sociaux et du dialogue social, ce nouveau système conjugue et articule la solidarité interprofessionnelle et la solidarité nationale au bénéfice des artistes et des techniciens du spectacle, dont les métiers exigeants et les pratiques d’emploi justifient un soutien spécifique.
De manière très concrète, le nouveau système ainsi constitué par les annexes 8 et 10 et le Fonds de professionnalisation et de solidarité prend en compte le rythme d’activité et la saisonnalité spécifiques au secteur du spectacle. Il permet aux artistes et aux techniciens de retrouver, pour la recherche de leurs droits, la période de référence annuelle qui correspond au rythme de l’immense majorité d’entre eux, même si je reconnais qu’on aurait pu y parvenir de manière plus simple.

Il maintient un seuil de 507 heures sur 12 mois tout au long de l’année 2007, soit pendant un an après la conclusion des premières conventions collectives, pour ceux des artistes ou des techniciens qui n’y parviennent pas en 10 mois ou 10 mois et demi, avec une allocation calculée comme l’allocation chômage, plafonnée à 45 € par jour, pour soutenir ceux qui en ont le plus besoin, et versée pendant 3 mois, permettant ainsi aux intéressés de reconstituer leurs heures pour réintégrer normalement les annexes 8 et 10.
Il prend en compte, dans les heures travaillées, les congés de maternité, les congés de maladie de plus de trois mois ou ceux correspondant aux maladies dont le traitement est remboursé à 100 % par l’Assurance maladie, les congés liés aux accidents du travail, les heures de formation dispensées par les artistes et les techniciens dans certaines structures, à hauteur de 120 heures par an. Il garantit le maintien de l’allocation de retour à l’emploi jusqu’à l’âge de la retraite pour les artistes et techniciens qui ont dépassé 60 ans et demi.

Il encourage à déclarer toutes les heures travaillées, et, avec la nouvelle formule de calcul de l’allocation et l’abandon du salaire journalier de référence, il prévoit des montants d’indemnisation proportionnels à la fois à la rémunération et à la durée du travail effectué et déclaré. Il incite à choisir des contrats plus longs. Ainsi, un artiste ou un technicien aura toujours intérêt à choisir de travailler et à déclarer tout son travail plutôt que d’être indemnisé par l’assurance chômage. La nouvelle formule de calcul est plus juste : elle permet d’améliorer le niveau de l’indemnisation pour les plus bas salaires, et de la limiter pour les plus hauts revenus. Ce n’était le cas ni dans le système de 2003 – ni dans les systèmes qui l’ont précédé.

Il prévoit enfin, c’était une revendication très ancienne qui n’avait jamais été satisfaite, une allocation de fin de droits lorsque les artistes et techniciens arrivent au terme de leurs droits à indemnisation et qu’ils ne peuvent pas bénéficier de l’allocation spécifique de solidarité parce que leurs pratiques d’emploi spécifiques ne leur permettent pas d’en remplir les conditions.

La durée de cette allocation, d’un montant de 30 € par jour, est modulable en fonction de l’ancienneté :
-2 mois pour ceux qui ont moins de 5 ans d’ancienneté,
-3 mois, qui peuvent être versés jusqu’à 2 fois pour ceux qui ont entre 5 et 10 ans d’ancienneté,
-6 mois, qui peuvent être versés jusqu’à 3 fois pour ceux qui ont plus de 10 ans d’ancienneté.
Ainsi, un artiste ou un technicien pourra bénéficier de cette allocation de fin de droits jusqu’à 6 fois dans son parcours.
Le versement de cette allocation sera accompagné d’un soutien professionnel adapté à la situation et aux aspirations de chacun d’entre eux grâce à une plus forte mobilisation et une meilleure coordination des organismes sociaux du spectacle (AUDIENS, l’organisme de prévoyance du secteur, l’AFDAS, l’organisme de formation, l’ANPE spectacle).

Le Fonds permettra, en effet, de détecter les artistes et techniciens en situation de vulnérabilité professionnelle et, sur la base du volontariat de leur part, de leur proposer un soutien professionnel adapté.
A partir des données recueillies par Audiens, pourront être détectés, de manière systématique et exhaustive, les artistes et techniciens qui, dans les cinq dernières années, sans que ce soit obligatoirement le signe d’une fragilité professionnelle de leur part, sont sortis au moins une fois du régime d’assurance-chômage, ont eu un volume d’activité qui reste durablement fixé autour du seuil minimum d’affiliation ou qui perçoivent des revenus durablement faibles de leur activité.

En complément de la mise en œuvre de l’accompagnement personnalisé prévu par le protocole d’accord du 18 avril 2006, grâce à une coopération étroite avec le réseau ANPE spectacle et l’AFDAS, ces personnes, si elles répondent volontairement à l’invitation qui leur sera faite à un entretien, pourront se voir proposer un soutien en termes d’appui professionnel, de formation dans le secteur ou, le cas échéant, d’une formation en vue d’une aide à la reconversion si elles envisagent de quitter un secteur dans lequel il est particulièrement difficile de se maintenir.
Cette démarche pourra être renouvelée tous les cinq ans et apportera ainsi aux artistes et techniciens un suivi de leur carrière sur la durée.
Ce repérage systématique n’est pas exclusif de démarches individuelles volontaires d’artistes ou de techniciens qui voudraient bénéficier d’un soutien professionnel adapté.

De manière plus spécifique, mais également systématique, un accueil sera prévu pour les femmes enceintes, pour les informer très précisément de tous les droits qui leur sont ouverts – et que, bien souvent, au-delà de ceux dont elles sont informées par leur caisse primaire d’assurance maladie ou leur caisse d’allocations familiales, elles ne connaissent pas – et pour les aider à préparer leur reprise d’emploi, au terme de leur congé de maternité.
Au travers de ce dispositif, c’est bien la notion de parcours professionnel qui est prise en compte, et, par les effets conjugués des annexes, du Fonds de professionnalisation et de solidarité et des dispositions des conventions collectives, l’objectif est bien de proposer aux artistes et aux techniciens une sécurisation de leur parcours professionnel.

Vous me permettrez, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, en terminant, de souligner que cette préoccupation de l’emploi, de la qualité de l’emploi, est une ligne de force de l’action de mon ministère, et pas seulement dans le spectacle.

Grâce aux budgets que vous avez votés pour mon département ministériel - et vous serez sollicités, à nouveau, ce vendredi -, j’ai pu mettre fin à des situations d’emploi indignes d’une administration publique, qui doit s’efforcer de donner l’exemple en matière de qualité de l’emploi, de dialogue social et de lutte contre la précarité :

- j’ai engagé, à cette rentrée, la contractualisation des enseignants vacataires des écoles d’architecture, projet qui était en souffrance depuis plus de 20 ans ;

- j’ai entrepris un plan de repyramidage de la filière d’accueil et de surveillance, afin que soit rendue possible la valorisation de notre patrimoine muséographique et monumental ; cela faisait plus de 25 ans que de nombreux agents n’avaient aucune perspective d’évolution ;

- j’ai décidé de placer sur contrat à durée indéterminée 350 archéologues de l’Institut national de recherche en archéologie préventive, qui enchaînaient les contrats à durée déterminée dans des conditions de régularité douteuses ;

- j’ai organisé, grâce à une politique de recrutement et de formation, le renouvellement des compétences dans les métiers d’art, qui recouvrent des spécialités rares, qu’il est essentiel de préserver pour notre patrimoine ;

- dans le spectacle, des projets de textes, de niveau législatif ou réglementaire, sont en cours de finalisation :

- pour encadrer et encourager les pratiques amateurs, dans des conditions qui ne fassent pas concurrence aux professionnels,

- pour permettre aux artistes et aux techniciens qui exercent en dehors du secteur du spectacle de bénéficier d’une couverture conventionnelle,

- pour mieux définir les conditions de délivrance des licences d’entrepreneurs de spectacles,

- pour lier davantage subventions publiques et conditions d’emploi,

- pour renforcer les contrôles et leurs conséquences vis à vis des employeurs ;

- j’ai engagé avec le concours de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), dans trois régions, une démarche expérimentale de consolidation de l’emploi dans les différentes structures du spectacle vivant et enregistré,

- j’ai invité les employeurs de l’audiovisuel public à constituer un observatoire de l’emploi dans l’audiovisuel public et à élaborer un guide des bonnes pratiques en matière de recours à l’intermittence : ils ont confié ces missions à l’Association des employeurs du service public de l’audiovisuel (AESPA).


Il ne s’agit pas, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Monsieur le Président, d’une politique conjoncturelle, liée à « la crise des intermittents » ; il s’agit d’un mouvement de fond, durable, qui traduit la prise de conscience, par le Ministère de la culture et de la communication, de la responsabilité éminente qui lui incombe en matière d’emploi, avec le concours et le soutien actif des autres départements ministériels que je voudrais remercier devant vous, de l’Emploi, certes, mais aussi de la Fonction publique et du Budget, sous l’autorité du Premier Ministre.

Pour cet enjeu, pour cette transformation, je sais pouvoir compter sur tout votre appui – et je voudrais très profondément, très sincèrement, très chaleureusement, vous en remercier.


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