Monsieur le Président, Cher Jacques Valade,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Je vous remercie de m’avoir invité à présenter
devant vous, à la veille de l’examen, par votre Haute Assemblée,
du budget du ministère de la culture et de la communication, vendredi
prochain, les enjeux et l’état d’avancement de la politique
de l’emploi que je conduis sans relâche depuis ma prise de fonction.
Une page est en train de se tourner, j’espère définitivement, sur ce qu’il est convenu d’appeler la crise « des intermittents du spectacle » et que j’appelle, moi, la politique de soutien à l’emploi des artistes et des techniciens du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant.
Des efforts considérables ont été engagés
depuis plus de trois ans par le gouvernement, par la représentation
nationale. Je tiens à saluer la constance des membres de votre commission.
Celle-ci s’est manifestée, depuis 2003, dans votre analyse, mais
aussi dans votre présence, au cœur même des évènements,
aux côtés de nos artistes et techniciens. Je tiens également
à rendre hommage au travail scrupuleux et pédagogique effectué
par Serge Lagauche dans le cadre de son rapport budgétaire que vous
avez adopté le 23 novembre dernier. Votre commission prend acte de
la perspective de sortie de crise. Elle retrace également l’ensemble
de la politique menée par le Gouvernement depuis 2004, et qui a permis
de contribuer à un diagnostic partagé et à cette articulation
historique entre la solidarité nationale et la solidarité interprofessionnelle.
Au delà de cette politique, vous avez raison, Monsieur le rapporteur,
de replacer cette question dans le cadre plus général du renforcement
de l’attractivité culturelle et économique de notre pays.
Oui, vous avez raison de conforter cette direction pour sortir le monde culturel
de son isolement. C’est effectivement un objectif commun majeur. Nous
le partageons, il reste encore beaucoup de travail pour le faire partager
par d’autres.
Depuis, Monsieur le président,
- le rapport de votre commission, en juillet 2004, ;
- le rapport de la mission d’information de la commission des affaires
culturelles de l’assemblée nationale rédigé par
Christian Kert,
les débats sur le spectacle vivant qui se sont tenus au Sénat,
et à l’Assemblée Nationale sous la présidence effective,
de bout en bout, de Christian Poncelet et de Jean-Louis Debré, nous
avons avancé ensemble.
Ce travail a conforté celui effectué par les partenaires sociaux
du secteur comme au niveau confédéral, par les experts qui ont
été missionnés( je pense en particulier aux travaux de
Jean-Paul Guillot, qui ont éclairé les réflexions des
pouvoirs publics comme des partenaires sociaux), par le comité de suivi,
initiative originale qui a permis d’apporter des contributions utiles
à la construction d’un nouveau système, tous ces efforts
sont en train de porter leurs fruits : un nouveau protocole est sur le point
d’être signé par plusieurs confédérations
de salariés ; dès lors qu’un nouveau système d’assurance
chômage est en place, conformément à l’engagement
du Premier Ministre, l’intervention de l’Etat, avec le Fonds de
professionnalisation et de solidarité, vient renforcer la protection
assurée par le régime d’assurance chômage et s’articule
avec lui. Les contacts nécessaires sont en cours, entre les administrations
concernées et les services de l’UNEDIC, pour garantir la mise
en place effective du nouveau système, dès le début de
l’année prochaine, dans les meilleures conditions, pour les artistes
et les techniciens du spectacle comme pour les agents des ASSEDIC.
Mais surtout sans vouloir préjuger de la conclusion imminente de négociations
en cours, la structuration de l’emploi par les conventions collectives
est bien engagée. C’est par les conventions collectives, beaucoup
plus que par l’assurance chômage, que doit être organisé
l’emploi dans le secteur du spectacle vivant et enregistré. C’est
la manière la plus vertueuse de mettre fin aux abus qui ont trop longtemps
miné le système.
Malgré des difficultés et des tensions entre les représentants
des employeurs et les représentants de salariés, inévitables
dans ce genre d’exercice, les négociations progressent et plusieurs
d’entre elles sont sur le point d’aboutir.
Je prendrai l’exemple de la convention pour la production audiovisuelle,
dont la négociation est achevée et qui est proposée à
la signature des syndicats de salariés, pour illustrer les effets concrets
sur l’emploi qui sont attendus des conventions collectives :
- elle assure la couverture des salariés permanents, faisant du contrat
à durée indéterminée la norme de référence,
quand il était implicitement admis que le contrat à durée
déterminée d’usage représentait la seule forme
d’organisation du travail ;
- elle encadre le recours au contrat à durée déterminée
d’usage, en limitant les fonctions et les emplois, en précisant
l’objet pour lequel il peut être conclu ;
- elle prévoit des dispositions qui encouragent à l’allongement
de la durée du travail et, notamment, une modulation de la rémunération
qui tient compte de la durée du contrat, ainsi qu’une mensualisation
de la rémunération, qui permet de donner une plus grande visibilité
et une plus grande sécurité aux salariés ;
- elle prend en compte la très grande amplitude des journées
de travail, mais prévoit, en contrepartie, que le temps de disponibilité
peut être rémunéré ;
-en un mot, elle rapproche les dispositions des contrats de travail de la
réalité des pratiques d’emploi et fait ainsi prendre en
compte les spécificités des pratiques d’emploi du secteur
du spectacle par les conventions collectives - et non plus seulement par les
dispositions de l’assurance chômage.
Comme les autres conventions collectives, puisque ces points-là font
l’objet d’un groupe de travail commun à l’ensemble
des huit commissions mixtes paritaires, un système de prévoyance
est prévu pour les non-cadres comme pour les cadres et, avant le 1er
juillet prochain, une protection en matière de santé sera mise
en place pour les artistes et techniciens intermittents. C’est bien
dans le cadre des conventions collectives que se met en place le premier niveau,
indispensable, de protection sociale pour les artistes et les techniciens.
Dans chacune des autres commissions mixtes paritaires, les négociations
sont intenses, les efforts déployés par les partenaires sociaux,
représentants des employeurs comme des salariés, sont considérables
et ils font chacun, permettez moi de leur en rendre hommage devant vous, des
concessions importantes pour parvenir à un accord dans les délais
fixés. Ils y sont aidés par l’exceptionnelle mobilisation,
que je voudrais saluer publiquement, de la direction général
du travail, des présidents de commissions mixtes paritaires, des services
du ministère de la culture et de la communication.
C’est un effort d’une ampleur et d’une cohérence
sans précédent qui est engagé pour que, enfin, comme
dans tous les autres secteurs d’activité, l’emploi dans
le spectacle vivant et enregistré soit organisé par le dialogue
social et les conventions collectives.
C’est l’occasion, pour le gouvernement comme pour les partenaires
sociaux, de confirmer la spécificité de la conception française
du statut des artistes du spectacle, qui les considère comme des salariés
et leur assure toutes les protections correspondant au statut de salarié
: droits sociaux et syndicaux, rémunération, protection contre
le chômage, prévoyance, santé, congés payés,
organisés par le droit du travail et la négociation collective.
Il s’agit là, trop souvent méconnu, du volet social de
l’exception culturelle française, la présomption de salariat
des artistes interprètes, reconnue désormais, grâce à
un arrêt du printemps dernier, par la jurisprudence de la Cour de justice
des communautés européennes, même si celle-ci a pris soin
d’en préciser et d’en délimiter la portée.
Dans la plupart des autres pays, les artistes ont le statut de travailleur
indépendant, et seule la protection de leurs droits d’auteur
ou d’interprète est assurée.
Par l’accent mis sur la négociation des conventions collectives,
le statut de salarié des artistes est clairement réaffirmé.
C’est le socle de la sécurisation des parcours professionnels
que le système pérenne de soutien à l’emploi des
artistes et techniciens du spectacle a l’ambition de construire. Les
annexes 8 et 10, redéfinies par le nouveau protocole, et le nouveau
Fonds de professionnalisation et de solidarité constituent, ensemble,
avec les conventions collectives, le système pérenne de protection
sociale et professionnelle pour les artistes et les techniciens auquel le
Gouvernement s’est engagé.
Je sais bien qu’il ne correspond pas, intégralement, à
toutes les revendications qui s’étaient exprimées ; que
certaines propositions intéressantes qui avaient été
formulées n’ont pas été retenues dans la négociation
entre les partenaires sociaux interprofessionnels. L’Etat n’a
pas à se substituer à eux. En concertation avec eux, l’intervention
de l’Etat vise à prendre en compte certains éléments
des pratiques d’emploi des artistes et des techniciens qui s’inscrivent
dans les objectifs assignés à la politique d’emploi dans
le spectacle.
Dans le respect des responsabilités des partenaires sociaux et du dialogue
social, ce nouveau système conjugue et articule la solidarité
interprofessionnelle et la solidarité nationale au bénéfice
des artistes et des techniciens du spectacle, dont les métiers exigeants
et les pratiques d’emploi justifient un soutien spécifique.
De manière très concrète, le nouveau système ainsi
constitué par les annexes 8 et 10 et le Fonds de professionnalisation
et de solidarité prend en compte le rythme d’activité
et la saisonnalité spécifiques au secteur du spectacle. Il permet
aux artistes et aux techniciens de retrouver, pour la recherche de leurs droits,
la période de référence annuelle qui correspond au rythme
de l’immense majorité d’entre eux, même si je reconnais
qu’on aurait pu y parvenir de manière plus simple.
Il maintient un seuil de 507 heures sur 12 mois tout au long de l’année
2007, soit pendant un an après la conclusion des premières conventions
collectives, pour ceux des artistes ou des techniciens qui n’y parviennent
pas en 10 mois ou 10 mois et demi, avec une allocation calculée comme
l’allocation chômage, plafonnée à 45 € par
jour, pour soutenir ceux qui en ont le plus besoin, et versée pendant
3 mois, permettant ainsi aux intéressés de reconstituer leurs
heures pour réintégrer normalement les annexes 8 et 10.
Il prend en compte, dans les heures travaillées, les congés
de maternité, les congés de maladie de plus de trois mois ou
ceux correspondant aux maladies dont le traitement est remboursé à
100 % par l’Assurance maladie, les congés liés aux accidents
du travail, les heures de formation dispensées par les artistes et
les techniciens dans certaines structures, à hauteur de 120 heures
par an. Il garantit le maintien de l’allocation de retour à l’emploi
jusqu’à l’âge de la retraite pour les artistes et
techniciens qui ont dépassé 60 ans et demi.
Il encourage à déclarer toutes les heures travaillées,
et, avec la nouvelle formule de calcul de l’allocation et l’abandon
du salaire journalier de référence, il prévoit des montants
d’indemnisation proportionnels à la fois à la rémunération
et à la durée du travail effectué et déclaré.
Il incite à choisir des contrats plus longs. Ainsi, un artiste ou un
technicien aura toujours intérêt à choisir de travailler
et à déclarer tout son travail plutôt que d’être
indemnisé par l’assurance chômage. La nouvelle formule
de calcul est plus juste : elle permet d’améliorer le niveau
de l’indemnisation pour les plus bas salaires, et de la limiter pour
les plus hauts revenus. Ce n’était le cas ni dans le système
de 2003 – ni dans les systèmes qui l’ont précédé.
Il prévoit enfin, c’était une revendication très
ancienne qui n’avait jamais été satisfaite, une allocation
de fin de droits lorsque les artistes et techniciens arrivent au terme de
leurs droits à indemnisation et qu’ils ne peuvent pas bénéficier
de l’allocation spécifique de solidarité parce que leurs
pratiques d’emploi spécifiques ne leur permettent pas d’en
remplir les conditions.
La durée de cette allocation, d’un montant de 30 € par jour,
est modulable en fonction de l’ancienneté :
-2 mois pour ceux qui ont moins de 5 ans d’ancienneté,
-3 mois, qui peuvent être versés jusqu’à 2 fois
pour ceux qui ont entre 5 et 10 ans d’ancienneté,
-6 mois, qui peuvent être versés jusqu’à 3 fois
pour ceux qui ont plus de 10 ans d’ancienneté.
Ainsi, un artiste ou un technicien pourra bénéficier de cette
allocation de fin de droits jusqu’à 6 fois dans son parcours.
Le versement de cette allocation sera accompagné d’un soutien
professionnel adapté à la situation et aux aspirations de chacun
d’entre eux grâce à une plus forte mobilisation et une
meilleure coordination des organismes sociaux du spectacle (AUDIENS, l’organisme
de prévoyance du secteur, l’AFDAS, l’organisme de formation,
l’ANPE spectacle).
Le Fonds permettra, en effet, de détecter les artistes et techniciens
en situation de vulnérabilité professionnelle et, sur la base
du volontariat de leur part, de leur proposer un soutien professionnel adapté.
A partir des données recueillies par Audiens, pourront être détectés,
de manière systématique et exhaustive, les artistes et techniciens
qui, dans les cinq dernières années, sans que ce soit obligatoirement
le signe d’une fragilité professionnelle de leur part, sont sortis
au moins une fois du régime d’assurance-chômage, ont eu
un volume d’activité qui reste durablement fixé autour
du seuil minimum d’affiliation ou qui perçoivent des revenus
durablement faibles de leur activité.
En complément de la mise en œuvre de l’accompagnement personnalisé
prévu par le protocole d’accord du 18 avril 2006, grâce
à une coopération étroite avec le réseau ANPE
spectacle et l’AFDAS, ces personnes, si elles répondent volontairement
à l’invitation qui leur sera faite à un entretien, pourront
se voir proposer un soutien en termes d’appui professionnel, de formation
dans le secteur ou, le cas échéant, d’une formation en
vue d’une aide à la reconversion si elles envisagent de quitter
un secteur dans lequel il est particulièrement difficile de se maintenir.
Cette démarche pourra être renouvelée tous les cinq ans
et apportera ainsi aux artistes et techniciens un suivi de leur carrière
sur la durée.
Ce repérage systématique n’est pas exclusif de démarches
individuelles volontaires d’artistes ou de techniciens qui voudraient
bénéficier d’un soutien professionnel adapté.
De manière plus spécifique, mais également systématique,
un accueil sera prévu pour les femmes enceintes, pour les informer
très précisément de tous les droits qui leur sont ouverts
– et que, bien souvent, au-delà de ceux dont elles sont informées
par leur caisse primaire d’assurance maladie ou leur caisse d’allocations
familiales, elles ne connaissent pas – et pour les aider à préparer
leur reprise d’emploi, au terme de leur congé de maternité.
Au travers de ce dispositif, c’est bien la notion de parcours professionnel
qui est prise en compte, et, par les effets conjugués des annexes,
du Fonds de professionnalisation et de solidarité et des dispositions
des conventions collectives, l’objectif est bien de proposer aux artistes
et aux techniciens une sécurisation de leur parcours professionnel.
Vous me permettrez, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les
Sénateurs, en terminant, de souligner que cette préoccupation
de l’emploi, de la qualité de l’emploi, est une ligne de
force de l’action de mon ministère, et pas seulement dans le
spectacle.
Grâce aux budgets que vous avez votés pour mon département
ministériel - et vous serez sollicités, à nouveau, ce
vendredi -, j’ai pu mettre fin à des situations d’emploi
indignes d’une administration publique, qui doit s’efforcer de
donner l’exemple en matière de qualité de l’emploi,
de dialogue social et de lutte contre la précarité :
- j’ai engagé, à cette rentrée, la contractualisation des enseignants vacataires des écoles d’architecture, projet qui était en souffrance depuis plus de 20 ans ;
- j’ai entrepris un plan de repyramidage de la filière d’accueil et de surveillance, afin que soit rendue possible la valorisation de notre patrimoine muséographique et monumental ; cela faisait plus de 25 ans que de nombreux agents n’avaient aucune perspective d’évolution ;
- j’ai décidé de placer sur contrat à durée indéterminée 350 archéologues de l’Institut national de recherche en archéologie préventive, qui enchaînaient les contrats à durée déterminée dans des conditions de régularité douteuses ;
- j’ai organisé, grâce à une politique de recrutement et de formation, le renouvellement des compétences dans les métiers d’art, qui recouvrent des spécialités rares, qu’il est essentiel de préserver pour notre patrimoine ;
- dans le spectacle, des projets de textes, de niveau législatif ou réglementaire, sont en cours de finalisation :
- pour encadrer et encourager les pratiques amateurs, dans des conditions qui ne fassent pas concurrence aux professionnels,
- pour permettre aux artistes et aux techniciens qui exercent en dehors du secteur du spectacle de bénéficier d’une couverture conventionnelle,
- pour mieux définir les conditions de délivrance des licences d’entrepreneurs de spectacles,
- pour lier davantage subventions publiques et conditions d’emploi,
- pour renforcer les contrôles et leurs conséquences vis à vis des employeurs ;
- j’ai engagé avec le concours de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), dans trois régions, une démarche expérimentale de consolidation de l’emploi dans les différentes structures du spectacle vivant et enregistré,
- j’ai invité les employeurs de l’audiovisuel public à constituer un observatoire de l’emploi dans l’audiovisuel public et à élaborer un guide des bonnes pratiques en matière de recours à l’intermittence : ils ont confié ces missions à l’Association des employeurs du service public de l’audiovisuel (AESPA).
Il ne s’agit pas, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Monsieur
le Président, d’une politique conjoncturelle, liée à
« la crise des intermittents » ; il s’agit d’un mouvement
de fond, durable, qui traduit la prise de conscience, par le Ministère
de la culture et de la communication, de la responsabilité éminente
qui lui incombe en matière d’emploi, avec le concours et le soutien
actif des autres départements ministériels que je voudrais remercier
devant vous, de l’Emploi, certes, mais aussi de la Fonction publique
et du Budget, sous l’autorité du Premier Ministre.
Pour cet enjeu, pour cette transformation, je sais pouvoir compter sur tout votre appui – et je voudrais très profondément, très sincèrement, très chaleureusement, vous en remercier.