Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Députés,
L’examen par l’Assemblée Nationale du
projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins à
l’ère numérique, a ouvert un véritable débat
de société. Un débat riche, complet, argumenté,
passionné, et passionnant. Un débat qui s’est prolongé,
bien au-delà de l’hémicycle et de l’enceinte du
Palais Bourbon, notamment sur le site internet de l’Assemblée.
Un débat au cours duquel chacun a pu présenter son point de
vue, ses arguments, ses convictions et ses doutes. Un débat approfondi
qui a été longuement et mûrement préparé
par les travaux de votre commission des lois, dont je tiens à remercier
le Président, les vice-présidents, et le Rapporteur, bien sûr.
Pour faire écho à ce travail remarquable de la commission saisie
au fond, la préparation du débat en séance publique a
aussi donné lieu, à des auditions devant la commission des affaires
culturelles et devant la commission des affaires économiques. C’était
nécessaire, c’était indispensable, tant les enjeux de
ce texte sont aussi bien juridiques, qu’économiques, sociaux,
et culturels.
Tout au long du débat, le gouvernement n’a cessé d’écouter,
de dialoguer, de permettre l’expression la plus complète de toutes
les opinions, de tous les points de vue, de toutes les propositions, de toutes
les oppositions, qui ont traversé, comme c’est naturel pour un
tel débat de société, toutes les familles politiques.
A ceux qui font au gouvernement le grief de la procédure d’urgence,
dois-je rappeler, pour m’en tenir à ce texte, et sans évoquer
les autres textes à l’ordre du jour de l’Assemblée,
que votre séance d’aujourd’hui couronne deux années
de travail intensif, venant cinq ans après l’adoption de la directive
européenne, adoptée en 2001 ? Dois-je rappeler les quelque 80
heures de débats en séances publiques, ici même, les 417
amendements déposés, sans compter les motions ni les 285 amendements
déposés au Sénat ?
Le Parlement a pleinement exercé, tout au long de la discussion de
ce texte, ses prérogatives constitutionnelles.
Le législateur a fait œuvre utile. Concilier la circulation des
œuvres et le respect du droit d’auteur avec la technologie d’Internet
constituait un défi difficile à relever, d’autant plus
difficile que vous avez justement refusé de céder aux tentations
démagogiques, d’autant plus délicat que vous avez fait
le choix de la responsabilité à l’égard de nos
concitoyens comme des créateurs.
Notre débat a été long et passionné.
C’était légitime. La licence globale optionnelle, la licence
globale obligatoire, la taxation des fournisseurs d’accès, en
contrepartie d’une possibilité illimitée de copier les
œuvres : chacun de ces modèles proposés ou imaginés,
en apparence si attractifs, portaient en lui les germes de la destruction
de la création musicale et cinématographique française,
et aurait provoqué une hausse des coûts des abonnements à
Internet, qui aurait défavorisé les personnes aux revenus les
plus modestes.
Le texte qui vous est soumis repose sur deux principes fondamentaux. Le premier
de ces principes est le respect du droit d’auteur, droit fondamental
et intangible. Le respect du droit d’auteur s’appuie sur un principe
simple : chacun doit pouvoir vivre des fruits de son travail. A l’initiative
de votre Assemblée, l’auteur a été remis au centre
de la diffusion de la culture, puisqu’un amendement a rappelé
que c’est lui qui choisit la diffusion de ses œuvres, gratuitement
s’il le souhaite.
Le deuxième principe fondamental est l’accès le plus large
aux œuvres. Il s’agit d’une liberté qui, dans l’univers
numérique, doit permettre d’accéder à l’offre
la plus diversifiée. Cette liberté exige aussi, bien sûr,
le respect de la vie privée des internautes. Il était nécessaire,
en reprenant la discussion interrompue en décembre, de repartir en
mars de l’article premier, comme nous l’avons fait. Il fallait
assurer en toute transparence une cohérence à l’ensemble
du texte en affirmant ces deux principes fondamentaux que la Commission mixte
paritaire, réunie le 22 juin dernier, a encore renforcés, en
aboutissant à un texte commun, un texte d’équilibre.
L’accès aux œuvres est, bien sûr, l’un des facteurs
clefs de motivation de l’accès à internet, et l’un
des facteurs décisifs de l’essor des fournisseurs d’accès.
C’est pourquoi les acteurs de la distribution des œuvres par Internet
ou sur d’autres réseaux numériques participeront davantage
à l’effort de contribution à la création. C’est
le sens de l’accord sur la vidéo à la demande qui a été
signé en décembre 2005 avec l’ensemble des organisations
professionnelles du cinéma.
Le texte qui vous est soumis garantit le respect du droit d’auteur,
l’interopérabilité et la copie privée. Il concilie
l’avenir de la création musicale et cinématographique
française et l’avenir du logiciel libre.
Ce texte affirme un principe nouveau, l’interopérabilité,
qui fait de la France un pays pionnier en Europe, entraînant dans son
sillage la Suède, le Danemark, la Norvège et le Royaume-Uni.
Toute œuvre acquise légalement doit pouvoir être lue sur
n’importe quel support numérique. L’interopérabilité
est fondamentale pour les consommateurs comme pour les créateurs, car
elle permettra une plus grande circulation des œuvres, dans le respect
du droit d’auteur. Le texte de la Commission mixte paritaire a défini
un cadre opérationnel précis pour mettre en œuvre ce principe.
Les mesures techniques de protection ne doivent pas avoir pour effet d’empêcher
la mise en œuvre effective de l’interopérabilité.
A cet effet, les fabricants de mesures techniques de protection ont l’obligation
de fournir les informations essentielles à l’interopérabilité,
afin de favoriser l’innovation et la concurrence.
Le texte garantira par ailleurs la copie privée : chacun a le droit
de réaliser, en fonction du type de support, pour son usage personnel
ou celui de ses proches, un nombre raisonnable de copies d’œuvres
acquises légalement. Cette garantie est tout à fait essentielle,
à l’heure où la copie privée fait l’objet
de contestations de la part de la Commission européenne.
Le texte garantit pleinement l’avenir du logiciel libre. La transposition
de directive place la France dans un cadre européen harmonisé,
mais nous avons utilisé toutes les souplesses possibles en faveur du
logiciel libre. Le projet de loi clarifie la définition des mesures
techniques, il préserve clairement l’exception de décompilation,
qui est une alternative aux procédures engagées auprès
de l’autorité pour obtenir les informations essentielles à
l’interopérabilité et il exclut explicitement de l’interdiction
de contournement des mesures techniques les actes réalisés à
des fins d’interopérabilité.
L’Autorité de régulation des mesures techniques, qui sera
composée de six membres, protégera et conciliera à la
fois le droit d’auteur, la copie privée et l’interopérabilité,
tout en étant en phase avec l’innovation technologique et avec
la modification des pratiques des internautes. En créant cette Autorité,
nous ne faisons pas le choix d’une interopérabilité théorique
qui ne serait pas appliquée, nous faisons le choix d’une interopérabilité
qui sera rendue possible. Et afin d’éviter de figer dans la loi
des règles qui pourraient être rendues obsolètes par l’évolution
technologique, l’Autorité aura le rôle de déterminer
le nombre de copies en fonction du type de support.
Pour que l’offre d’œuvres protégées puisse
se développer sur Internet, il faut réunir deux conditions :
d’une part, chaque internaute doit être pleinement conscient et
responsable de ses actes, d’autre part la petite minorité de
ceux qui sont à l’origine des systèmes de piratage doivent
être clairement dissuadés et empêchés d’agir.
C’est pourquoi le texte qui vous est soumis à votre vote différencie
clairement les responsabilités et instaure une véritable gradation
proportionnée des sanctions, adaptée aux fautes commises. Un
internaute qui télécharge illégalement de la musique
ou un film sur Internet pour son usage personnel ne risquera plus la prison
! La responsabilisation de l’abonné s’inscrit dans une
logique de prévention complémentaire. Elle permet d’abord
de préciser le régime de droit commun de la responsabilité
des choses qu’on a sous sa garde. Elle évitera d’alourdir
la procédure de prononcé des contraventions et surtout permettra
de protéger l’abonné d’enquêtes intrusives
dans sa vie privée qui seraient nécessaires pour identifier
l’utilisateur premier responsable.
Ces sanctions ont été conçues pour être adaptées
et elles seront effectives. Elles sont d’un montant peu élevé,
car – et c’est ma priorité – celles qui concernent
ceux qui organisent le piratage de la musique et du cinéma seront lourdes,
qu’elles visent ceux qui conçoivent et donnent les moyens de
casser les mesures techniques de protection et, plus encore, ceux qui éditent
des logiciels manifestement destinés à la mise à disposition
non autorisée d’œuvres protégées. C’est
parce que les œuvres seront protégées qu’elles pourront
circuler davantage. Vouloir remettre à plat le cadre juridique de la
directive européenne, pour casser les mesures techniques de protection,
c’est ne pas avoir pris conscience à la fois des enjeux européens
et des enjeux pour l’avenir de la création audiovisuelle et cinématographique
française. Je relève cependant que sur ces sujets, il y a une
divergence profonde d’analyse, entre les tenants de l’immobilisme
et ceux de la démagogie la plus extrême, qui me rappellent ce
vieux slogan de mai 68 : « cours camarade, le vieux monde est derrière
toi ! ».
Le projet de loi instaure deux exceptions nouvelles importantes. L’une
autorise désormais les associations et certains établissements
œuvrant en faveur des personnes handicapées, à transcrire
et à diffuser les œuvres dans des formats adaptés. L’autre
est une exception pédagogique, que la Commission mixte paritaire a
précisée. Cette exception prendra le relais, début 2009,
des accords signés entre les ayants-droit et le ministère de
l’éducation nationale, afin d’autoriser les utilisations
des œuvres à des fins pédagogiques et de recherche en contrepartie
d’une rémunération négociée.
Le texte que vous avez élaboré donne un avenir à la diversité
culturelle, entrée dans le droit international en octobre 2005, avec
l’adoption, à la quasi-unanimité de la communauté
internationale, de la convention de l’Unesco.
Grâce au texte voté par la Commission mixte paritaire, une réflexion
sera engagée pour la mise en place d’une plate-forme publique
de téléchargement de musique, visant la diffusion notamment
des œuvres des jeunes créateurs dont les œuvres ne sont pas
disponibles à la vente sur les plates-formes légales de téléchargement.
Le texte qui vous est soumis instaure une autre avancée majeure : le
crédit d’impôt pour la musique, qui consolidera la diversité
de l’offre, en s’adressant aux petites structures indépendantes,
souvent fragiles sur le plan économique. Je ne doute pas que cette
mesure connaîtra un succès comparable à celui du crédit
d’impôt pour le cinéma et l’audiovisuel, qui a permis
de relocaliser en France 35 % de tournages supplémentaires en seulement
un an.
L’enjeu central de ce texte est celui de l’insertion de la France
dans la société de l’information. Plus de la moitié
des Français est internaute et plus de huit internautes sur dix sont
connectés à domicile en haut débit. Une offre légale
et diversifiée répondant au rapide équipement en haut
débit des Français est donc très attendue. Le travail
réalisé est à la hauteur de cet enjeu et crée
les conditions pour que se multiplient les offres de musique et de films qui
seront de qualité, sécurisées, diversifiées, à
des prix raisonnables et lisibles sur tous les supports.
Le projet de loi qui vous est soumis garantit le droit d’auteur, il
garantit la copie privée, il garantit l’innovation technologique,
il garantit les libertés numériques. Il permettra d’assurer
le développement des offres légales. La rémunération
de la création justifie la mise en place de mesures techniques de protection
lorsque ces œuvres sont protégées. Car c’est l’avenir
de la musique et du cinéma français qui est en jeu, et l’avenir,
il faut avant tout le rendre possible en agissant. En adoptant ce texte, soyez
fiers de votre action de législateur !