Discours et communiqués de presse
Discours de Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, à l’occasion du vote à l’Assemblée nationale du projet de loi relatif au droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information
vendredi 30 juin 2006


Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Députés,

L’examen par l’Assemblée Nationale du projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins à l’ère numérique, a ouvert un véritable débat de société. Un débat riche, complet, argumenté, passionné, et passionnant. Un débat qui s’est prolongé, bien au-delà de l’hémicycle et de l’enceinte du Palais Bourbon, notamment sur le site internet de l’Assemblée. Un débat au cours duquel chacun a pu présenter son point de vue, ses arguments, ses convictions et ses doutes. Un débat approfondi qui a été longuement et mûrement préparé par les travaux de votre commission des lois, dont je tiens à remercier le Président, les vice-présidents, et le Rapporteur, bien sûr. Pour faire écho à ce travail remarquable de la commission saisie au fond, la préparation du débat en séance publique a aussi donné lieu, à des auditions devant la commission des affaires culturelles et devant la commission des affaires économiques. C’était nécessaire, c’était indispensable, tant les enjeux de ce texte sont aussi bien juridiques, qu’économiques, sociaux, et culturels.
Tout au long du débat, le gouvernement n’a cessé d’écouter, de dialoguer, de permettre l’expression la plus complète de toutes les opinions, de tous les points de vue, de toutes les propositions, de toutes les oppositions, qui ont traversé, comme c’est naturel pour un tel débat de société, toutes les familles politiques.
A ceux qui font au gouvernement le grief de la procédure d’urgence, dois-je rappeler, pour m’en tenir à ce texte, et sans évoquer les autres textes à l’ordre du jour de l’Assemblée, que votre séance d’aujourd’hui couronne deux années de travail intensif, venant cinq ans après l’adoption de la directive européenne, adoptée en 2001 ? Dois-je rappeler les quelque 80 heures de débats en séances publiques, ici même, les 417 amendements déposés, sans compter les motions ni les 285 amendements déposés au Sénat ?
Le Parlement a pleinement exercé, tout au long de la discussion de ce texte, ses prérogatives constitutionnelles.
Le législateur a fait œuvre utile. Concilier la circulation des œuvres et le respect du droit d’auteur avec la technologie d’Internet constituait un défi difficile à relever, d’autant plus difficile que vous avez justement refusé de céder aux tentations démagogiques, d’autant plus délicat que vous avez fait le choix de la responsabilité à l’égard de nos concitoyens comme des créateurs.

Notre débat a été long et passionné. C’était légitime. La licence globale optionnelle, la licence globale obligatoire, la taxation des fournisseurs d’accès, en contrepartie d’une possibilité illimitée de copier les œuvres : chacun de ces modèles proposés ou imaginés, en apparence si attractifs, portaient en lui les germes de la destruction de la création musicale et cinématographique française, et aurait provoqué une hausse des coûts des abonnements à Internet, qui aurait défavorisé les personnes aux revenus les plus modestes.
Le texte qui vous est soumis repose sur deux principes fondamentaux. Le premier de ces principes est le respect du droit d’auteur, droit fondamental et intangible. Le respect du droit d’auteur s’appuie sur un principe simple : chacun doit pouvoir vivre des fruits de son travail. A l’initiative de votre Assemblée, l’auteur a été remis au centre de la diffusion de la culture, puisqu’un amendement a rappelé que c’est lui qui choisit la diffusion de ses œuvres, gratuitement s’il le souhaite.
Le deuxième principe fondamental est l’accès le plus large aux œuvres. Il s’agit d’une liberté qui, dans l’univers numérique, doit permettre d’accéder à l’offre la plus diversifiée. Cette liberté exige aussi, bien sûr, le respect de la vie privée des internautes. Il était nécessaire, en reprenant la discussion interrompue en décembre, de repartir en mars de l’article premier, comme nous l’avons fait. Il fallait assurer en toute transparence une cohérence à l’ensemble du texte en affirmant ces deux principes fondamentaux que la Commission mixte paritaire, réunie le 22 juin dernier, a encore renforcés, en aboutissant à un texte commun, un texte d’équilibre.
L’accès aux œuvres est, bien sûr, l’un des facteurs clefs de motivation de l’accès à internet, et l’un des facteurs décisifs de l’essor des fournisseurs d’accès. C’est pourquoi les acteurs de la distribution des œuvres par Internet ou sur d’autres réseaux numériques participeront davantage à l’effort de contribution à la création. C’est le sens de l’accord sur la vidéo à la demande qui a été signé en décembre 2005 avec l’ensemble des organisations professionnelles du cinéma.
Le texte qui vous est soumis garantit le respect du droit d’auteur, l’interopérabilité et la copie privée. Il concilie l’avenir de la création musicale et cinématographique française et l’avenir du logiciel libre.
Ce texte affirme un principe nouveau, l’interopérabilité, qui fait de la France un pays pionnier en Europe, entraînant dans son sillage la Suède, le Danemark, la Norvège et le Royaume-Uni. Toute œuvre acquise légalement doit pouvoir être lue sur n’importe quel support numérique. L’interopérabilité est fondamentale pour les consommateurs comme pour les créateurs, car elle permettra une plus grande circulation des œuvres, dans le respect du droit d’auteur. Le texte de la Commission mixte paritaire a défini un cadre opérationnel précis pour mettre en œuvre ce principe. Les mesures techniques de protection ne doivent pas avoir pour effet d’empêcher la mise en œuvre effective de l’interopérabilité. A cet effet, les fabricants de mesures techniques de protection ont l’obligation de fournir les informations essentielles à l’interopérabilité, afin de favoriser l’innovation et la concurrence.
Le texte garantira par ailleurs la copie privée : chacun a le droit de réaliser, en fonction du type de support, pour son usage personnel ou celui de ses proches, un nombre raisonnable de copies d’œuvres acquises légalement. Cette garantie est tout à fait essentielle, à l’heure où la copie privée fait l’objet de contestations de la part de la Commission européenne.
Le texte garantit pleinement l’avenir du logiciel libre. La transposition de directive place la France dans un cadre européen harmonisé, mais nous avons utilisé toutes les souplesses possibles en faveur du logiciel libre. Le projet de loi clarifie la définition des mesures techniques, il préserve clairement l’exception de décompilation, qui est une alternative aux procédures engagées auprès de l’autorité pour obtenir les informations essentielles à l’interopérabilité et il exclut explicitement de l’interdiction de contournement des mesures techniques les actes réalisés à des fins d’interopérabilité.
L’Autorité de régulation des mesures techniques, qui sera composée de six membres, protégera et conciliera à la fois le droit d’auteur, la copie privée et l’interopérabilité, tout en étant en phase avec l’innovation technologique et avec la modification des pratiques des internautes. En créant cette Autorité, nous ne faisons pas le choix d’une interopérabilité théorique qui ne serait pas appliquée, nous faisons le choix d’une interopérabilité qui sera rendue possible. Et afin d’éviter de figer dans la loi des règles qui pourraient être rendues obsolètes par l’évolution technologique, l’Autorité aura le rôle de déterminer le nombre de copies en fonction du type de support.
Pour que l’offre d’œuvres protégées puisse se développer sur Internet, il faut réunir deux conditions : d’une part, chaque internaute doit être pleinement conscient et responsable de ses actes, d’autre part la petite minorité de ceux qui sont à l’origine des systèmes de piratage doivent être clairement dissuadés et empêchés d’agir. C’est pourquoi le texte qui vous est soumis à votre vote différencie clairement les responsabilités et instaure une véritable gradation proportionnée des sanctions, adaptée aux fautes commises. Un internaute qui télécharge illégalement de la musique ou un film sur Internet pour son usage personnel ne risquera plus la prison ! La responsabilisation de l’abonné s’inscrit dans une logique de prévention complémentaire. Elle permet d’abord de préciser le régime de droit commun de la responsabilité des choses qu’on a sous sa garde. Elle évitera d’alourdir la procédure de prononcé des contraventions et surtout permettra de protéger l’abonné d’enquêtes intrusives dans sa vie privée qui seraient nécessaires pour identifier l’utilisateur premier responsable.
Ces sanctions ont été conçues pour être adaptées et elles seront effectives. Elles sont d’un montant peu élevé, car – et c’est ma priorité – celles qui concernent ceux qui organisent le piratage de la musique et du cinéma seront lourdes, qu’elles visent ceux qui conçoivent et donnent les moyens de casser les mesures techniques de protection et, plus encore, ceux qui éditent des logiciels manifestement destinés à la mise à disposition non autorisée d’œuvres protégées. C’est parce que les œuvres seront protégées qu’elles pourront circuler davantage. Vouloir remettre à plat le cadre juridique de la directive européenne, pour casser les mesures techniques de protection, c’est ne pas avoir pris conscience à la fois des enjeux européens et des enjeux pour l’avenir de la création audiovisuelle et cinématographique française. Je relève cependant que sur ces sujets, il y a une divergence profonde d’analyse, entre les tenants de l’immobilisme et ceux de la démagogie la plus extrême, qui me rappellent ce vieux slogan de mai 68 : « cours camarade, le vieux monde est derrière toi ! ».
Le projet de loi instaure deux exceptions nouvelles importantes. L’une autorise désormais les associations et certains établissements œuvrant en faveur des personnes handicapées, à transcrire et à diffuser les œuvres dans des formats adaptés. L’autre est une exception pédagogique, que la Commission mixte paritaire a précisée. Cette exception prendra le relais, début 2009, des accords signés entre les ayants-droit et le ministère de l’éducation nationale, afin d’autoriser les utilisations des œuvres à des fins pédagogiques et de recherche en contrepartie d’une rémunération négociée.
Le texte que vous avez élaboré donne un avenir à la diversité culturelle, entrée dans le droit international en octobre 2005, avec l’adoption, à la quasi-unanimité de la communauté internationale, de la convention de l’Unesco.
Grâce au texte voté par la Commission mixte paritaire, une réflexion sera engagée pour la mise en place d’une plate-forme publique de téléchargement de musique, visant la diffusion notamment des œuvres des jeunes créateurs dont les œuvres ne sont pas disponibles à la vente sur les plates-formes légales de téléchargement.
Le texte qui vous est soumis instaure une autre avancée majeure : le crédit d’impôt pour la musique, qui consolidera la diversité de l’offre, en s’adressant aux petites structures indépendantes, souvent fragiles sur le plan économique. Je ne doute pas que cette mesure connaîtra un succès comparable à celui du crédit d’impôt pour le cinéma et l’audiovisuel, qui a permis de relocaliser en France 35 % de tournages supplémentaires en seulement un an.
L’enjeu central de ce texte est celui de l’insertion de la France dans la société de l’information. Plus de la moitié des Français est internaute et plus de huit internautes sur dix sont connectés à domicile en haut débit. Une offre légale et diversifiée répondant au rapide équipement en haut débit des Français est donc très attendue. Le travail réalisé est à la hauteur de cet enjeu et crée les conditions pour que se multiplient les offres de musique et de films qui seront de qualité, sécurisées, diversifiées, à des prix raisonnables et lisibles sur tous les supports.
Le projet de loi qui vous est soumis garantit le droit d’auteur, il garantit la copie privée, il garantit l’innovation technologique, il garantit les libertés numériques. Il permettra d’assurer le développement des offres légales. La rémunération de la création justifie la mise en place de mesures techniques de protection lorsque ces œuvres sont protégées. Car c’est l’avenir de la musique et du cinéma français qui est en jeu, et l’avenir, il faut avant tout le rendre possible en agissant. En adoptant ce texte, soyez fiers de votre action de législateur !


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