Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je tiens tout dabord à remercier Didier Le Bret,
Président de lObservatoire Européen de lAudiovisuel,
davoir organisé cette rencontre européenne et
internationale sur la piraterie dans le domaine des industries
audiovisuelles.
La piraterie, en effet, ne connaît pas de frontières. Cest lune des parts dombre de la mondialisation des échanges et du développement des nouvelles technologies.
Pour lutter contre ce fléau international, il faut donc
imaginer des réponses de même nature, en mobilisant les
énergies le plus largement possible : je my emploie en France,
mais aussi en Europe pour agir et faire face collectivement avec mes
collègues européens aux risques de la piraterie et tirer parti
des opportunités nouvelles offertes par les nouvelles technologies.
Ce grand mouvement que jappelle des mes vux concerne les industries
culturelles dans leur ensemble et pas seulement laudiovisuel. La
piraterie touche au premier chef et avec plus de force encore pour
linstant le secteur de la musique.
Lexemple de la musique doit dailleurs amener tous les acteurs de laudiovisuel à une vraie prise de conscience, pour faire face à lexplosion de la piraterie. Les échanges illicites de musique dans le monde sont évalués à 150 milliards de titres pour lannée 2003, soit plus de trois fois les ventes.
En France, lindustrie de la musique a vu son activité régresser de plus de 30% depuis le début de lan dernier. Les restructurations lont conduit à licencier environ le tiers de ses effectifs et à réduire dans les mêmes proportions le développement de nouveaux talents.
La piraterie, cest du vol. Cest la spoliation des créateurs, injustement privés des fruits légitimes de leur travail.
La piraterie, cest aussi du chômage. Cest toute une
industrie et cest toute la vitalité de la création qui est
menacée, avec ses auteurs, ses interprètes, ses techniciens, ses
producteurs, ses distributeurs.
La piraterie conduit finalement à
assécher la création, à réduire la diversité
de la culture. Cest pourquoi il faut se battre. Cest un combat
juste. Cest un combat nécessaire. Le public peut penser profiter
de la piraterie. Disons clairement quil finira par en pâtir : la
piraterie créera un désert culturel si nous ne réagissons
pas rapidement. La lutte contre la piraterie est donc dabord un combat
dans lintérêt du public.
Or, dans le domaine du cinéma et de laudiovisuel, la piraterie se développe plus vite quon aurait pu le croire. Une étude récente du Centre National de la Cinématographie, publiée au dernier Festival de Cannes, a montré que sont échangés chaque jour un million de films, soit quotidiennement le double des entrées en salles et cinq fois plus que les ventes de DVD.
Ces chiffres sont alarmants. Ils montrent que la piraterie commence à sinstaller et que les films ne sont plus protégés par les contraintes techniques. La durée nécessaire au téléchargement dun film il faut entre un et deux jours pour télécharger un film ne rebute plus les adeptes du téléchargement.
Je ne veux pas que continue la spirale infernale de la baisse des
recettes et de la réduction de la création. Cest pourquoi
jai tenu à mobiliser lensemble des acteurs culturels et des
ministères concernés par ce problème.
A la demande du Président de la République, jai présenté une communication au Conseil des Ministres du 19 mai, en annonçant un plan de lutte contre la piraterie dans les industries culturelles.
Je souhaite vous présenter ce matin les principales mesures de ce plan. Je vous propose dagir dans cinq directions.
Le premier axe de ce plan, cest lindispensable sensibilisation du public. Il faut susciter une prise de conscience sur les dangers de la piraterie, pour quelle ne soit plus un phénomène socialement accepté.
Le public doit comprendre que, si chaque acte de piraterie, pris isolément, peut paraître anodin, lensemble de ces actes entraîne une atteinte insupportable à la dignité et aux droits des créateurs, avec des conséquences dramatiques sur la création et la diversité culturelle à laquelle nous sommes si attachés.
Il est aussi nécessaire de développer une pédagogie de la propriété intellectuelle. Le droit de la propriété intellectuelle est un droit complexe. Il faut rappeler que ce droit consacré dans notre pays par la Révolution Française découle directement de labolition des privilèges et de linstauration du droit de propriété, reconnu dans la Déclaration des droits de lHomme et du Citoyen comme un droit inviolable et sacré. Le public doit comprendre quen achetant un disque, une cassette ou un livre, il ne se rend pas propriétaire de luvre mais seulement dun droit dusage, limité au cercle familial et privé. Le partage et léchange duvres dont il nest pas propriétaire sont donc illicites.
Il faut enfin lutter contre la double illusion de la gratuité et de limpunité, qui sont les pêchés de jeunesse dInternet.
Entendons-nous bien : je suis un enthousiaste dInternet, de ce monde décloisonné, de laccès à la connaissance et à linformation pour tous, de lextraordinaire liberté dexpression quil permet. Mais il ny a pas de liberté sans responsabilité, sans prise de conscience de cette responsabilité.
La qualité a un prix, qui est celui de la création originale. Le mythe de la gratuité dont sétaient emparées de nombreuses start-up pour bâtir de nouveaux modèles économiques a fait long feu, provoquant de sévères désillusions.
Internet nest pas un espace dimpunité anonyme. La loi permet désormais au juge de lever lanonymat en cas dinfraction. Internet nest pas, ne doit pas être un espace de non-droit.
Les jeunes tiennent une place particulière dans cette campagne de sensibilisation que nous devons menée. Parce quils sont la « génération Internet ».
Avec le Ministre de lEducation Nationale, nous allons mettre en place plusieurs actions, pour sensibiliser les élèves des collèges et lycées, ainsi que les enseignants, qui ont un rôle évidemment essentiel.
Je souhaite mettre en place une Journée nationale des auteurs à lécole, avec les sociétés dauteurs et le ministère de léducation nationale, pour partager la valeur création, mettre en avant les auteurs et leur métier formidable et sensibiliser les jeunes aux fondements de la propriété intellectuelle.
Je souhaite pouvoir également examiner avec le Ministre de lEducation Nationale le renforcement, sur ce point précis, du Certificat et du Brevet Informatique et Internet, afin quils prennent en compte les questions liées à léchange de titres musicaux et de films.
Il faut sensibiliser les jeunes, il faut également toucher le grand public dans son ensemble.
Je souhaite mobiliser le service public de laudiovisuel qui a un rôle particulier à jouer pour promouvoir et protéger une culture de qualité auprès du grand public. Jexaminerai avec les présidents de services publics les actions pédagogiques à mettre en oeuvre.
Enfin, je souhaite lancer en place, avec les professionnels concernés une campagne gouvernementale dintérêt général à destination du grand public.
Lensemble de ces mesures suscitera une prise de conscience des dangers de la piraterie, tout en sinscrivant dans la durée afin de faire évoluer les mentalités.
Je serais dans cet esprit très attentif à toutes vos propositions et en particulier aux échanges de « bonnes pratiques ».
Le deuxième axe du plan daction, cest la création dun comité national anti-piraterie, que jinstallerai avec M. Patrick DEVEDJIAN, Ministre délégué à lIndustrie le 15 juillet.
Ce comité aura pour première mission de favoriser le dialogue entre les acteurs sur la mise en place dune offre légale et payante sur les réseaux et sur la lutte contre la piraterie. Ces deux aspects sont liés, parce quune offre légale et payante ne pourra réellement exister si les mêmes contenus sont accessibles gratuitement.
Le comité aura pour deuxième mission de coordonner laction des services de lEtat et des professionnels. Il réunira à cet effet, sous légide de lEtat : les différentes catégories dayants-droit, auteurs, interprètes, réalisateurs, éditeurs, producteurs, les distributeurs, les fournisseurs daccès à Internet, les industriels fournissant les moyens techniques et bien entendu les consommateurs.
Ce comité, animé par MM. Philippe Chantepie et Jean Berbinau, sera une véritable structure de mission, chargée de faciliter le dialogue et la coordination pour accompagner la mutation des industries culturelles à lère du numérique.
Il coordonnera laction de plusieurs groupes de dialogue spécifiques : entre les fournisseurs daccès à Internet et les producteurs de disque ; entre les différents maillons de la chaîne des industries culturelles. Ce dialogue permettra de développer la vidéo sur les réseaux, de mieux prendre en compte les attentes des consommateurs et délaborer conjointement les messages de sensibilisation sur les dangers de la piraterie.
Le dialogue avec les fournisseurs daccès à Internet est particulièrement important, afin de déterminer les conditions qui leur permettront de faire de promouvoir et développer avec les ayants-droit loffre légale et payante sur Internet, tout en trouvant les moyens de réduire loffre gratuite et illicite sur Internet.
Jattends beaucoup du dialogue sur le développement de la
vidéo sur les réseaux. Si Internet pourrait être
considéré par certains comme une menace pour les industries
culturelles, je le vois surtout louverture dun nouveau territoire
à explorer
Ce nouvel espace étant encore quasiment vierge
doffre existante, il doit être occupé pour ne pas laisser la
place à la seule piraterie. Je souhaite que les producteurs
français et européens prennent position là-dessus et nous
examinerons ensemble les moyens à mettre éventuellement en
uvre pour les y inciter.
Je suis convaincu quInternet peut devenir un formidable outil au service de la diversité culturelle et de laccès aux uvres. En effet, il permet de distribuer des catalogues de grande taille quaucun distributeur classique ne peut égaler. Il permet aussi des formes de présentation et de promotion ciblées et novatrices.
Ce dialogue sera très utile pour parvenir collectivement pour mettre en place des nouveaux modèles de distribution de contenus, qui répondent aux attentes des différents acteurs.
Le troisième axe de mon plan daction vise à renforcer la réglementation. Les outils juridiques sont indispensables pour lutter efficacement contre les réseaux de distribution parallèle de contenus pirate. Je pense notamment aux réseaux gérés par des mafias. Car, la piraterie pratiquée à grande échelle est une activité très lucrative, souvent même plus rentable que le trafic de drogue.
La loi pour la confiance dans léconomie numérique, qui vient dêtre adoptée par le Parlement apporte les premiers outils nécessaires à la lutte contre la piraterie sur Internet.
Le projet de loi sur les données personnelles, qui doit bientôt être examiné en deuxième lecture au Sénat, complètera cette boîte à outils. Grâce à un amendement introduit à lAssemblée Nationale, il permettra aux organismes professionnels dayants-droit de mettre en place des traitements automatisés de données dinfractions afin de pouvoir défendre leurs droits.
Ainsi, ces organismes pourront traiter un grand nombre de données pour une action doublement efficace. En matière de répression, ils pourront mieux cibler les serveurs et les bandes organisées qui alimentent massivement le réseau en contenus pirates. En matière de prévention, et jy attache une très grande importance, ils pourront transmettre en grande quantité des messages individuels aux internautes qui partageraient de manière illicite des uvres protégées.
Je présenterai ensuite au Parlement le projet de loi sur le droit dauteur et les droits voisins dans la société de linformation, qui permettra dapporter une sécurité juridique aux nouvelles offres légales et payantes utilisant des mesures techniques de protection. La sécurisation des nouvelles offres sur Internet est cruciale, pour éviter que les téléchargements légaux nalimentent les réseaux pirates.
Enfin, je proposerai rapidement, avec M. Dominique PERBEN et M. Patrick DEVEDJIAN, un texte de transposition de Directive contrefaçon, récemment adoptée par le Conseil. La France dispose dune législation parmi les plus protectrices dEurope, proche de lobjectif fixé par la Directive.
Lensemble de ces textes améliorera la protection accordée aux ayants-droit contre la piraterie.
Le quatrième axe de mon plan vise à mieux coordonner les actions menées à linitiative des professionnels avec celles des services de lEtat, et je pense en particulier avec celles des forces de lordre ou la Justice.
Le ministère de léconomie, des finances et de lindustrie, le ministère de lintérieur, le ministère de la justice, sont concernés.
Enfin, ces quatre piliers de la lutte contre la piraterie ne pourront donner tout leur effet que sils sappuient sur un cinquième que je tiens pour essentiel : un plan européen de lutte contre la piraterie. Je lai dit, il nous faut des réponses communes à ce phénomène international.
Je présenterai des propositions à mes homologues
européens lors de notre rencontre informelle le 13 juillet à
Rotterdam, afin de les mobiliser dans cette lutte commune.
Je souhaite
en particulier les nouveaux Etats-membres. La piraterie est un thème
prioritaire de tous mes contacts bilatéraux. Il me paraît
souhaitable que la Commission européenne mette en uvre des
indicateurs permettant de sassurer de lapplication effective des
législations protégeant la propriété intellectuelle
dans tous les Etats-membres de lUnion.
LUnion européenne doit développer des échanges de bonnes pratiques, y compris avec les Etats-Unis, et relayer notre lutte commune contre la piraterie auprès de nos partenaires commerciaux et à lOrganisation mondiale du commerce.
Je souhaite que le volet pénal initialement proposé par la Commission dans la directive contrefaçon soit repris dans une décision-cadre spécifique. Ce texte permettra dharmoniser également les législations dans le domaine des sanctions afin de ne pas créer en Europe de sanctuaires pour les pirates.
Je souhaite également que la Commission européenne agisse en direction des industriels pour favoriser linteropérabilité des mesures techniques de protection. Cest une mesure essentielle pour satisfaire les attentes légitimes des consommateurs et ne peut pas créer de frein à ladoption de services légaux de téléchargement.
Jai réuni à Cannes, le 16 mai dernier, de nombreux responsables de studios européens, américains et internationaux, dont Jack Valenti, pour évoquer la nécessité dune action forte, urgente et coordonnée contre la piraterie. Dans une déclaration commune à lissue de cette réunion, nous avons unanimement insisté sur la nécessité de la diversité culturelle, condition essentielle d'une mobilisation des pouvoirs publics des différents pays.
La France prendra toute sa part de ce combat pour la création et la diversité culturelle.
Je rappelle que dans le domaine du cinéma, la France a mis en place en 2004 un crédit dimpôt destiné à favoriser la production cinématographique. Je souhaite étendre en 2005 ce crédit dimpôt en faveur de la production audiovisuelle.
Dans le domaine de la musique, je vous annonce que je vais à nouveau attirer lattention de mon collègue de l'économie et des finances sur la nécessité de réduire la TVA sur le disque afin d'aider l'industrie au moment où elle est frappée de plein fouet par les effets de la piraterie.
Mesdames et Messieurs,
Je me réjouis que nous
débattiez aujourdhui de ces questions. Je serais très
attentifs aux résultats de vos travaux daujourdhui. Car
cest collectivement que les industries culturelles doivent affronter le
phénomène pour mettre en place de nouvelles offres et accompagner
les mutations de lère numérique.
Je compte sur vos propositions. Vous pouvez compter dans ce combat qui
ne fait que commencer sur mon soutien.
Je vous remercie.