Discours et communiqués de presse
Allocution de Renaud Donnedieu de Vabres

Conférence internationale de l’observatoire européen de l’audiovisuel
Nouvelles technologies et piratage : les industries audiovisuelles en question

Centre de conférences internationales kléber - vendredi 18 juin 2004

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,


Je tiens tout d’abord à remercier Didier Le Bret, Président de l’Observatoire Européen de l’Audiovisuel, d’avoir organisé cette rencontre européenne et internationale sur la piraterie dans le domaine des industries audiovisuelles.

La piraterie, en effet, ne connaît pas de frontières. C’est l’une des parts d’ombre de la mondialisation des échanges et du développement des nouvelles technologies.

Pour lutter contre ce fléau international, il faut donc imaginer des réponses de même nature, en mobilisant les énergies le plus largement possible : je m’y emploie en France, mais aussi en Europe pour agir et faire face collectivement avec mes collègues européens aux risques de la piraterie et tirer parti des opportunités nouvelles offertes par les nouvelles technologies.
Ce grand mouvement que j’appelle des mes vœux concerne les industries culturelles dans leur ensemble et pas seulement l’audiovisuel. La piraterie touche au premier chef et avec plus de force encore – pour l’instant – le secteur de la musique.

L’exemple de la musique doit d’ailleurs amener tous les acteurs de l’audiovisuel à une vraie prise de conscience, pour faire face à l’explosion de la piraterie. Les échanges illicites de musique dans le monde sont évalués à 150 milliards de titres pour l’année 2003, soit plus de trois fois les ventes.

En France, l’industrie de la musique a vu son activité régresser de plus de 30% depuis le début de l’an dernier. Les restructurations l’ont conduit à licencier environ le tiers de ses effectifs et à réduire dans les mêmes proportions le développement de nouveaux talents.

La piraterie, c’est du vol. C’est la spoliation des créateurs, injustement privés des fruits légitimes de leur travail.

La piraterie, c’est aussi du chômage. C’est toute une industrie et c’est toute la vitalité de la création qui est menacée, avec ses auteurs, ses interprètes, ses techniciens, ses producteurs, ses distributeurs.
La piraterie conduit finalement à assécher la création, à réduire la diversité de la culture. C’est pourquoi il faut se battre. C’est un combat juste. C’est un combat nécessaire. Le public peut penser profiter de la piraterie. Disons clairement qu’il finira par en pâtir : la piraterie créera un désert culturel si nous ne réagissons pas rapidement. La lutte contre la piraterie est donc d’abord un combat dans l’intérêt du public.

Or, dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel, la piraterie se développe plus vite qu’on aurait pu le croire. Une étude récente du Centre National de la Cinématographie, publiée au dernier Festival de Cannes, a montré que sont échangés chaque jour un million de films, soit quotidiennement le double des entrées en salles et cinq fois plus que les ventes de DVD.

Ces chiffres sont alarmants. Ils montrent que la piraterie commence à s’installer et que les films ne sont plus protégés par les contraintes techniques. La durée nécessaire au téléchargement d’un film – il faut entre un et deux jours pour télécharger un film – ne rebute plus les adeptes du téléchargement.


Je ne veux pas que continue la spirale infernale de la baisse des recettes et de la réduction de la création. C’est pourquoi j’ai tenu à mobiliser l’ensemble des acteurs culturels et des ministères concernés par ce problème.

A la demande du Président de la République, j’ai présenté une communication au Conseil des Ministres du 19 mai, en annonçant un plan de lutte contre la piraterie dans les industries culturelles.

Je souhaite vous présenter ce matin les principales mesures de ce plan. Je vous propose d’agir dans cinq directions.

Le premier axe de ce plan, c’est l’indispensable sensibilisation du public. Il faut susciter une prise de conscience sur les dangers de la piraterie, pour qu’elle ne soit plus un phénomène socialement accepté.

Le public doit comprendre que, si chaque acte de piraterie, pris isolément, peut paraître anodin, l’ensemble de ces actes entraîne une atteinte insupportable à la dignité et aux droits des créateurs, avec des conséquences dramatiques sur la création et la diversité culturelle à laquelle nous sommes si attachés.

Il est aussi nécessaire de développer une pédagogie de la propriété intellectuelle. Le droit de la propriété intellectuelle est un droit complexe. Il faut rappeler que ce droit consacré dans notre pays par la Révolution Française découle directement de l’abolition des privilèges et de l’instauration du droit de propriété, reconnu dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen comme un droit inviolable et sacré. Le public doit comprendre qu’en achetant un disque, une cassette ou un livre, il ne se rend pas propriétaire de l’œuvre mais seulement d’un droit d’usage, limité au cercle familial et privé. Le partage et l’échange d’œuvres dont il n’est pas propriétaire sont donc illicites.

Il faut enfin lutter contre la double illusion de la gratuité et de l’impunité, qui sont les pêchés de jeunesse d’Internet.

Entendons-nous bien : je suis un enthousiaste d’Internet, de ce monde décloisonné, de l’accès à la connaissance et à l’information pour tous, de l’extraordinaire liberté d’expression qu’il permet. Mais il n’y a pas de liberté sans responsabilité, sans prise de conscience de cette responsabilité.

La qualité a un prix, qui est celui de la création originale. Le mythe de la gratuité dont s’étaient emparées de nombreuses start-up pour bâtir de nouveaux modèles économiques a fait long feu, provoquant de sévères désillusions.

Internet n’est pas un espace d’impunité anonyme. La loi permet désormais au juge de lever l’anonymat en cas d’infraction. Internet n’est pas, ne doit pas être un espace de non-droit.

Les jeunes tiennent une place particulière dans cette campagne de sensibilisation que nous devons menée. Parce qu’ils sont la « génération Internet ».

Avec le Ministre de l’Education Nationale, nous allons mettre en place plusieurs actions, pour sensibiliser les élèves des collèges et lycées, ainsi que les enseignants, qui ont un rôle évidemment essentiel.

Je souhaite mettre en place une Journée nationale des auteurs à l’école, avec les sociétés d’auteurs et le ministère de l’éducation nationale, pour partager la valeur création, mettre en avant les auteurs et leur métier formidable et sensibiliser les jeunes aux fondements de la propriété intellectuelle.

Je souhaite pouvoir également examiner avec le Ministre de l’Education Nationale le renforcement, sur ce point précis, du Certificat et du Brevet Informatique et Internet, afin qu’ils prennent en compte les questions liées à l’échange de titres musicaux et de films.

Il faut sensibiliser les jeunes, il faut également toucher le grand public dans son ensemble.

Je souhaite mobiliser le service public de l’audiovisuel qui a un rôle particulier à jouer pour promouvoir et protéger une culture de qualité auprès du grand public. J’examinerai avec les présidents de services publics les actions pédagogiques à mettre en oeuvre.

Enfin, je souhaite lancer en place, avec les professionnels concernés une campagne gouvernementale d’intérêt général à destination du grand public.

L’ensemble de ces mesures suscitera une prise de conscience des dangers de la piraterie, tout en s’inscrivant dans la durée afin de faire évoluer les mentalités.

Je serais dans cet esprit très attentif à toutes vos propositions et en particulier aux échanges de « bonnes pratiques ».

Le deuxième axe du plan d’action, c’est la création d’un comité national anti-piraterie, que j’installerai avec M. Patrick DEVEDJIAN, Ministre délégué à l’Industrie le 15 juillet.

Ce comité aura pour première mission de favoriser le dialogue entre les acteurs sur la mise en place d’une offre légale et payante sur les réseaux et sur la lutte contre la piraterie. Ces deux aspects sont liés, parce qu’une offre légale et payante ne pourra réellement exister si les mêmes contenus sont accessibles gratuitement.

Le comité aura pour deuxième mission de coordonner l’action des services de l’Etat et des professionnels. Il réunira à cet effet, sous l’égide de l’Etat : les différentes catégories d’ayants-droit, auteurs, interprètes, réalisateurs, éditeurs, producteurs, les distributeurs, les fournisseurs d’accès à Internet, les industriels fournissant les moyens techniques et bien entendu les consommateurs.

Ce comité, animé par MM. Philippe Chantepie et Jean Berbinau, sera une véritable structure de mission, chargée de faciliter le dialogue et la coordination pour accompagner la mutation des industries culturelles à l’ère du numérique.

Il coordonnera l’action de plusieurs groupes de dialogue spécifiques : entre les fournisseurs d’accès à Internet et les producteurs de disque ; entre les différents maillons de la chaîne des industries culturelles. Ce dialogue permettra de développer la vidéo sur les réseaux, de mieux prendre en compte les attentes des consommateurs et d’élaborer conjointement les messages de sensibilisation sur les dangers de la piraterie.

Le dialogue avec les fournisseurs d’accès à Internet est particulièrement important, afin de déterminer les conditions qui leur permettront de faire de promouvoir et développer avec les ayants-droit l’offre légale et payante sur Internet, tout en trouvant les moyens de réduire l’offre gratuite et illicite sur Internet.

J’attends beaucoup du dialogue sur le développement de la vidéo sur les réseaux. Si Internet pourrait être considéré par certains comme une menace pour les industries culturelles, je le vois surtout l’ouverture d’un nouveau territoire à explorer
Ce nouvel espace étant encore quasiment vierge d’offre existante, il doit être occupé pour ne pas laisser la place à la seule piraterie. Je souhaite que les producteurs français et européens prennent position là-dessus et nous examinerons ensemble les moyens à mettre éventuellement en œuvre pour les y inciter.

Je suis convaincu qu’Internet peut devenir un formidable outil au service de la diversité culturelle et de l’accès aux œuvres. En effet, il permet de distribuer des catalogues de grande taille qu’aucun distributeur classique ne peut égaler. Il permet aussi des formes de présentation et de promotion ciblées et novatrices.

Ce dialogue sera très utile pour parvenir collectivement pour mettre en place des nouveaux modèles de distribution de contenus, qui répondent aux attentes des différents acteurs.

Le troisième axe de mon plan d’action vise à renforcer la réglementation. Les outils juridiques sont indispensables pour lutter efficacement contre les réseaux de distribution parallèle de contenus pirate. Je pense notamment aux réseaux gérés par des mafias. Car, la piraterie pratiquée à grande échelle est une activité très lucrative, souvent même plus rentable que le trafic de drogue.

La loi pour la confiance dans l’économie numérique, qui vient d’être adoptée par le Parlement apporte les premiers outils nécessaires à la lutte contre la piraterie sur Internet.

Le projet de loi sur les données personnelles, qui doit bientôt être examiné en deuxième lecture au Sénat, complètera cette boîte à outils. Grâce à un amendement introduit à l’Assemblée Nationale, il permettra aux organismes professionnels d’ayants-droit de mettre en place des traitements automatisés de données d’infractions afin de pouvoir défendre leurs droits.

Ainsi, ces organismes pourront traiter un grand nombre de données pour une action doublement efficace. En matière de répression, ils pourront mieux cibler les serveurs et les bandes organisées qui alimentent massivement le réseau en contenus pirates. En matière de prévention, et j’y attache une très grande importance, ils pourront transmettre en grande quantité des messages individuels aux internautes qui partageraient de manière illicite des œuvres protégées.

Je présenterai ensuite au Parlement le projet de loi sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information, qui permettra d’apporter une sécurité juridique aux nouvelles offres légales et payantes utilisant des mesures techniques de protection. La sécurisation des nouvelles offres sur Internet est cruciale, pour éviter que les téléchargements légaux n’alimentent les réseaux pirates.

Enfin, je proposerai rapidement, avec M. Dominique PERBEN et M. Patrick DEVEDJIAN, un texte de transposition de Directive contrefaçon, récemment adoptée par le Conseil. La France dispose d’une législation parmi les plus protectrices d’Europe, proche de l’objectif fixé par la Directive.

L’ensemble de ces textes améliorera la protection accordée aux ayants-droit contre la piraterie.

Le quatrième axe de mon plan vise à mieux coordonner les actions menées à l’initiative des professionnels avec celles des services de l’Etat, et je pense en particulier avec celles des forces de l’ordre ou la Justice.

Le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, le ministère de l’intérieur, le ministère de la justice, sont concernés.

Enfin, ces quatre piliers de la lutte contre la piraterie ne pourront donner tout leur effet que s’ils s’appuient sur un cinquième que je tiens pour essentiel : un plan européen de lutte contre la piraterie. Je l’ai dit, il nous faut des réponses communes à ce phénomène international.

Je présenterai des propositions à mes homologues européens lors de notre rencontre informelle le 13 juillet à Rotterdam, afin de les mobiliser dans cette lutte commune.

Je souhaite en particulier les nouveaux Etats-membres. La piraterie est un thème prioritaire de tous mes contacts bilatéraux. Il me paraît souhaitable que la Commission européenne mette en œuvre des indicateurs permettant de s’assurer de l’application effective des législations protégeant la propriété intellectuelle dans tous les Etats-membres de l’Union.

L’Union européenne doit développer des échanges de bonnes pratiques, y compris avec les Etats-Unis, et relayer notre lutte commune contre la piraterie auprès de nos partenaires commerciaux et à l’Organisation mondiale du commerce.

Je souhaite que le volet pénal initialement proposé par la Commission dans la directive contrefaçon soit repris dans une décision-cadre spécifique. Ce texte permettra d’harmoniser également les législations dans le domaine des sanctions afin de ne pas créer en Europe de sanctuaires pour les pirates.

Je souhaite également que la Commission européenne agisse en direction des industriels pour favoriser l’interopérabilité des mesures techniques de protection. C’est une mesure essentielle pour satisfaire les attentes légitimes des consommateurs et ne peut pas créer de frein à l’adoption de services légaux de téléchargement.

J’ai réuni à Cannes, le 16 mai dernier, de nombreux responsables de studios européens, américains et internationaux, dont Jack Valenti, pour évoquer la nécessité d’une action forte, urgente et coordonnée contre la piraterie. Dans une déclaration commune à l’issue de cette réunion, nous avons unanimement insisté sur la nécessité de la diversité culturelle, condition essentielle d'une mobilisation des pouvoirs publics des différents pays.

La France prendra toute sa part de ce combat pour la création et la diversité culturelle.

Je rappelle que dans le domaine du cinéma, la France a mis en place en 2004 un crédit d’impôt destiné à favoriser la production cinématographique. Je souhaite étendre en 2005 ce crédit d’impôt en faveur de la production audiovisuelle.

Dans le domaine de la musique, je vous annonce que je vais à nouveau attirer l’attention de mon collègue de l'économie et des finances sur la nécessité de réduire la TVA sur le disque afin d'aider l'industrie au moment où elle est frappée de plein fouet par les effets de la piraterie.


Mesdames et Messieurs,
Je me réjouis que nous débattiez aujourd’hui de ces questions. Je serais très attentifs aux résultats de vos travaux d’aujourd’hui. Car c’est collectivement que les industries culturelles doivent affronter le phénomène pour mettre en place de nouvelles offres et accompagner les mutations de l’ère numérique.

Je compte sur vos propositions. Vous pouvez compter dans ce combat qui ne fait que commencer sur mon soutien.
Je vous remercie.



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