Discours et communiqués de presse
Rencontres de Beaune
Discours sur la diversité culturelle


21 octobre 2005

Cher Dan Glickman,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,

Je suis très heureux de vous retrouver à Beaune, pour la deuxième fois en ce qui me concerne.

Nous sommes, cette année encore, c'est décidément une caractéristique à Beaune, au lendemain d'un moment capital dans l'histoire politique de la culture sur la scène internationale. Comme vous le savez en effet, l'UNESCO vient d'adopter lors de la Conférence générale réunie en plénière, ce 20 octobre, le projet de convention sur la promotion de la diversité des contenus et expressions culturelles, à une écrasante majorité.

Pour la France, ainsi que pour tous ceux qui se sont battus pour ce texte, la convention s'appuie sur un constat sans appel et repose sur une conviction politique forte.

Le constat est simple mais éloquent. Dans le domaine culturel en général, et dans celui du cinéma en particulier, l'uniformisation des œuvres et la concentration de l'offre ne font que progresser. D'après des chiffres de l'UNESCO datant de 2000, les 8 plus grands studios d'Hollywood se partagent 85% du marché mondial dont 71% du seul marché européen. De même, 4 groupes se partagent le marché mondial du disque. Le marché ne produit donc pas spontanément, loin de là, la " diversité culturelle ".

La conviction politique, c'est que le combat pour la diversité culturelle est mené au nom de valeurs universelles et humanistes. Pour lutter contre la standardisation culturelle, il faut défendre sans fléchir la liberté de création et d'expression. Il faut se battre pour donner aux artistes la possibilité de fabriquer leurs œuvres écrites et leurs images, et permettre aux peuples de les lire et de les voir. Notre bataille n'a rien à voir avec le protectionnisme dont nous sommes parfois taxés. Je considère pour ma part que le repli des identités sur elles-mêmes ne mène au contraire qu'à la violence et à la négation des droits de l'homme. Je veux dire aussi que si le combat contre l'uniformisation doit être mené, je veux mener le combat plus positif de la promotion de la diversité culturelle.

Le texte que l'UNESCO a adopté répond à ces attentes, et je le considère comme très satisfaisant au regard des objectifs ambitieux de négociation que la France avait fixés dès le début, et que le Président de la République avait formulés à Johannesburg en septembre 2002.

Ce texte, je veux le souligner, constitue une véritable innovation : c'est la première fois que la culture est intégrée en tant que telle dans le droit international.
De manière fondamentale, trois principes sont affirmés :
- la reconnaissance de la nature spécifique des biens et activités culturels ;
- l'affirmation du droit souverain des Etats à conserver, adopter et mettre en œuvre les politiques culturelles qu'ils jugent appropriées à la promotion de la diversité culturelle ;
- le renforcement de la coopération internationale, notamment en direction des pays en développement.

La convention apporte, et ce n'est pas son moindre apport, une réponse à la question complexe de la relation entre culture et commerce. L'article 20, qui a donné lieu à de longues discussions, offre à nos yeux un compromis équilibré. La Convention rappelle que les Etats signataires devront respecter leurs obligations à l'égard des autres traités qu'ils ont ratifiés, mais qu'ils doivent dans le même temps respecter les principes de cette convention dans les autres engagements internationaux qu'ils seraient amenés à prendre. Cela confère une force particulière à la convention. C'est un gage de cohérence important.

Le fait d'ailleurs qu'aucun lien de subordination n'ait été instauré entre ce texte et les autres accords internationaux est déterminant. Il signifie en pratique que la convention de l'UNESCO est placée sur un pied d'égalité avec d'autres accords internationaux, et en particulier ceux de l'OMC qui nous concernent particulièrement ici. Formulé autrement, ceci revient à affirmer que les règles commerciales n'ont pas - ou, plus précisément, n'auront plus à l'avenir - vocation à constituer, à elles seules, le cadre de régulation des politiques publiques. Au contraire, d'autres principes - ceux de la présente convention - doivent également être pris en compte, entre autres par l'organe de règlement de différends de l'OMC s'il est saisi d'un arbitrage qui concerne le champ culturel.

Contrairement à ce qui se dit ici ou là, cet article 20 ne cherche en rien à remettre en cause les prérogatives de l'OMC. La France, comme d'autres, est en effet très attachée au rôle joué par l'OMC dans la régulation de la mondialisation. Il ne s'agissait donc pas de sortir la culture et l'audiovisuel du champ de l'OMC. Ces services sont et restent en effet couverts par l'accord général sur le commerce des services (AGCS) de l'OMC. Cela n'implique pas l'abandon de toute régulation. Nous revendiquons une mondialisation maîtrisée, soucieuse du respect des valeurs humaines et en particulier des identités culturelles dans leur diversité. Je crois que ce nouveau texte y concourt.

Je tiens d'ailleurs à souligner au passage que, comme Pascal LAMY s'y était engagé lorsque je l'ai rencontré début septembre à Genève, l'OMC n'a jamais cherché à intervenir d'une façon ou d'une autre dans le cadre du processus de négociation en cours à l'UNESCO, malgré les tentatives d'instrumentalisation de certains pays.

A peine plus de deux ans se sont écoulés entre le lancement des travaux à l'UNESCO et leur aboutissement sous forme de cette convention. A l'échelle du temps des négociations internationales, vous observerez avec moi que c'est un délai particulièrement bref pour être souligné, d'autant que les obstacles ont été nombreux et constants.

Je souhaiterais revenir avec vous sur quelques caractéristiques de la négociation, qui ont été essentielles à sa réussite et dont il me semble que nous pouvons tirer quelques enseignements pour l'avenir.

En premier lieu, je veux rappeler que l'idée de bâtir un nouveau texte, ayant force juridique, en faveur de la diversité culturelle revient, en premier lieu, à nos amis canadiens, à la suite d'un panel qu'ils avaient perdu à l'OMC concernant la presse magazine en 1998. Les canadiens ont émis l'idée d'un " instrument international " en faveur de la diversité culturelle. De nombreuses discussions entre la France, le Canada et le Québec, auxquelles Jean Musitelli entre autres [à la tribune] a pris part dès le début - et je tiens ici à saluer son rôle dans cette aventure collective -, ont permis de faire progresser cette notion. C'est lorsque le Canada a imaginé le Réseau International pour la Politique Culturelle (RIPC), premier réseau ne regroupant que des ministres de la culture, que le concept a circulé entre de nombreux pays et a progressivement pris corps. Ce sont enfin les ministres de la culture de ce réseau qui ont formellement demandé en 2003 au Directeur Général de l'UNESCO d'explorer la possibilité d'une convention internationale sur la diversité culturelle.

Le fait d'avoir rallié aussi tôt une cinquantaine de pays, puis davantage, autour de la diversité culturelle, a incontestablement été déterminant pour la dynamique de la négociation en permettant d'atteindre rapidement une " masse critique " de partisans. Même si je peux comprendre que l'expression " exception culturelle " soit regrettée, il faut bien reconnaître que celle de " diversité culturelle " qui lui a été substituée a sans aucun doute été plus fédératrice et plus pertinente. Elle nous a permis de multiplier le nombre de nos alliés dans ce combat, alors que la précédente a toujours été perçue comme trop française.

Dans cette affaire, le mérite de la France aura été de comprendre que la question des identités culturelles est sûrement l'une des grandes questions de ce siècle. Nous avons été le premier pays à porter ce débat au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement. C'est ce qu'a fait le Président de la République au Sommet sur le développement durable de Johannesburg en septembre 2002. Cette victoire diplomatique est une victoire de la France et du Président.

En second lieu, je souhaite m'arrêter sur l'attitude de l'Europe dans cette négociation pour m'en féliciter. Personne n'avait jamais douté - en tout cas pas moi - que la diversité culturelle soit l'un des fondements de l'identité européenne. J'irai même plus loin en affirmant que, si l'on veut maintenant donner un sens à l'avenir de la construction européenne, il faut placer la culture et les valeurs au cœur de notre projet collectif.

J'avais d'ailleurs eu l'occasion d'en discuter avec le président de la Commission José Manuel BARROSO dès janvier 2005 et de constater qu'il partageait ces préoccupations.

Dans les négociations à l'OMC, et notamment dans l'actuel cycle de Doha, l'Union européenne a toujours défendu scrupuleusement ce principe en refusant de prendre le moindre engagement de libéralisation dans l'audiovisuel ou le cinéma, et en s'abstenant aussi de formuler des demandes de libéralisations dans ces secteurs aux autres membres de l'OMC.

Il faut se féliciter que la même attitude, unie et sans faille, ait été celle de l'Union européenne tout entière lors de la négociation de l'UNESCO. La Commission européenne, armée d'un mandat clair des Etats membres, a pu affirmer sans ambiguïté une position forte. C'était une première pour elle, dans le contexte très spécifique de l'UNESCO, et je suis convaincu que cette unité a contribué de manière décisive à l'avancée rapide de la discussion. On imagine d'ailleurs sans mal l'effet désastreux qu'aurait, à l'inverse, provoqué une cacophonie européenne sur un sujet aussi essentiel.

Enfin, l'implication permanente et le soutien actif des milieux professionnels ont été particulièrement marquants tout au long du processus de l'UNESCO. Il serait trop long de rappeler l'ensemble des initiatives, rencontres, déclarations qui ont émaillé ce parcours. Toutes ont été précieuses pour mobiliser les consciences et expliquer le sens et l'absolue nécessité de la négociation. Je pense entre autres au travail remarquable des coalitions en faveur de la diversité culturelle, qui sont maintenant une trentaine à travers le monde, et notamment la coalition française présidée par Pascal ROGARD [à la table, modérateur] dont je salue l'engagement, coalition dont l'ARP est également un membre très actif.

Permettez-moi aussi de me réjouir que les rencontres pour l'Europe de la Culture, dont la France a pris l'initiative de la première édition en mai dernier à Paris en présence de plus de 800 artistes, écrivains et professionnels de l'Europe entière, soient maintenant devenues un rendez-vous régulier, avec la deuxième édition qui aura lieu à Budapest en novembre puis en Espagne l'an prochain. Ces premières rencontres ont été l'occasion de mettre des voix, des visages, des noms européens sur ces concepts de diversité culturelle. Elle a aussi été l'occasion pour les participants d'adopter une déclaration en faveur d'une charte pour l'Europe de la culture qui, je l'espère, servira de base à l'avenir à nos réflexions sur la meilleure prise en compte de la culture dans le projet européen.

Pour autant, notre travail n'est pas terminé et notre engagement collectif ne doit pas s'arrêter là.

La première des choses à faire est bien évidemment de faire ratifier cette convention. Pour qu'elle entre en vigueur, il est en effet nécessaire en vertu des règles de l'UNESCO que celle-ci soit ratifiée par un minimum de 30 Etats. Par ailleurs, cette ratification doit intervenir rapidement afin que la première réunion des Etats parties à cette convention puisse se tenir d'ici 2 ans, lors de la prochaine Conférence générale de l'UNESCO.

En vérité, nous devons nous fixer un objectif plus ambitieux, à savoir faire ratifier au plus vite le plus grand nombre d'Etats, au premier rang desquels les pays membres de l'Union européenne et nos amis du RIPC. Une lenteur excessive dans le processus de ratification n'augurerait rien de positif pour l'avenir de la Convention, sa mise en œuvre effective et donc le rôle de contrepoids que nous lui assignons vis-à-vis de l'OMC.

Là encore, les efforts conjoints des professionnels et des Etats seront indispensables et la mobilisation doit se maintenir à son plus haut niveau. Ils sont d'autant plus nécessaires qu'il est vraisemblable que les pays qui n'étaient pas favorables à ce texte, vont en sens inverse user de toutes leurs capacités d'influence pour retarder son entrée en vigueur.

Le diversité culturelle n'a pas qu'une dimension internationale et européenne : elle doit s'incarner dans chacun des pays. Je le fais en France. J'y reviendrai tout à l'heure. Nous pouvons nous féliciter d'avoir fait aboutir tous ensemble une grande ambition au service de la culture et de la communauté internationale.

Je voudrais terminer en revenant sur la diversité culturelle sous l'angle européen. Je disais tout à l'heure qu'il y avait tout lieu de se réjouir de l'unité européenne autour de la Commission européenne. Je veux y voir une prise de conscience et un engagement déterminé de la Commission européenne en faveur de la promotion de la diversité culturelle sur la scène internationale.

Comme j'ai eu l'occasion de le dire en septembre dernier à la commissaire Viviane REDING ainsi qu'à sa collègue en charge de la concurrence, Neelie KROES, il ne me paraîtrait pas compréhensible que la Commission européenne adopte maintenant une attitude différente vis-à-vis de la diversité culturelle à l'intérieur même de l'Union européenne.

L'une des premières occasions à saisir est à l'évidence la renégociation de la directive télévision sans frontières. Ce texte, constitué depuis 1989, est aujourd'hui encore un formidable instrument de promotion des contenus européens dans leur diversité sur les chaînes de télévision " classiques ". A l'occasion de la renégociation de ce texte, s'est engagée la réflexion sur son élargissement du champ aux nouveaux services et aux nouveaux supports audiovisuels. Je souhaite que nous maintenions cette ambition légitime de diversité afin que les contenus européens bénéficient pleinement de la révolution numérique et de ses nouveaux débouchés, dont vous reparlerez ici même à Beaune dans les débats qui suivront.

La France attend donc que la future directive prévoie des dispositions en faveur de la promotion de la diversité culturelle pour ce que l'on appelle les services " non linéaires ". Je serai très attentif à ce point dans le projet de directive que la Commission européenne devrait transmettre aux Etats membres d'ici la fin de l'année.

L'autre occasion pour l'Europe de se montrer ambitieuse en matière de diversité culturelle tiendra à la façon dont la direction générale de la concurrence entend encadrer les politiques publiques, et tout particulièrement celles en faveur du cinéma. C'est une question d'actualité pour la France.

Comme vous le savez en effet, la Commission est maintenant entrée dans la phase active d'examen du système de soutien français au cinéma et à l'audiovisuel que la France lui a notifié fin 2004. La Commissaire m'a assurée être pleinement consciente des enjeux que représentaient ces aides pour l'existence du cinéma français et européen. Je lui ai redit que, de mon point de vue et de celui de mes collègues européens, il ne saurait y avoir de cinémas nationaux en Europe, donc pas de cinéma européen, sans aides publiques.

Les contacts entre le CNC et les services de la Commission européenne s'étant intensifiés ces derniers jours, nous avons maintenant le sentiment qu'une partie importante de notre système pourrait être autorisée prochainement par la Commission, pour autant que nous procédions à l'aménagement de certains dispositifs qui posent des problèmes de conformité au droit européen. C'est le cas principalement des crédits d'impôt au cinéma et à l'audiovisuel, et des dispositifs d'aide aux industries techniques.

J'ai donc demandé à Véronique CAYLA, directrice générale du CNC, de se rapprocher de la profession dans les jours qui viennent, afin de discuter avec vous des modalités possibles d'évolution de ces outils. Nous savons tous qu'ils sont efficaces et nécessaires au développement du cinéma français. Il n'est donc pas question de les supprimer. Mon souhait et d'en préserver l'esprit, l'objet et l'efficacité, et d'en aménager les modalités de fonctionnement pour garantir leur parfaite compatibilité avec les exigences communautaires. Tel est l'engagement personnel que j'ai pris auprès de la Commissaire.

J'ai également indiqué à Neelie KROES que je souhaitais la revoir d'ici la fin de l'année afin, de trouver une issue rapide à cette négociation.

Au-delà de cette échéance de court terme qui ne concerne que la France - mais ô combien essentielle - qu'est le renouvellement de l'autorisation de nos aides au cinéma et à l'audiovisuel, nous devons aussi rester mobilisés ensemble en vue de l'échéance de 2007, date à laquelle la Commission a annoncé qu'elle envisageait de revoir les règles applicables aux aides au cinéma en Europe. Je sais que je pourrai compter sur votre mobilisation dans les deux ans qui viennent auprès de vos partenaires européens.

Je le répète : la diversité culturelle n'a pas qu'une dimension internationale et européenne : elle doit s'incarner dans chacun des pays. Je le fais en France que ce soit pour le court-métrage pour lequel le CNC à sa demande a confié une mission à Alain Rocca ou pour le maintien de l'attractivité de l'instrument financier que représentent les soficas ou encore la mise au point du mécanisme de riposte graduée dans le cadre du projet de loi sur le droit d'auteur. Je pourrais citer d'autres exemples qui tous témoignent de ma volonté de préserver, de développer la création et la diversité dans toutes ses composantes, y compris les plus fragiles.

Je vous remercie.



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