Discours et communiqués de presse
Elévation d'Agnès Varda à la dignité de Grand officier dans l'ordre national du mérite
USA - jeudi 1er mars 2007

Chère Agnès Varda,

C’est un très grand plaisir pour moi, de vous rendre cet hommage inédit, entre ciel et terre, à l’image de votre œuvre unique, et inclassable, qui suit le fil de votre inspiration vagabonde, et des rencontres prestigieuses qui ont jalonné votre chemin.

Elève de Gaston Bachelard à la Sorbonne, étudiante à l'École du Louvre, vous vous lancez dans votre première passion, la photographie, aux côtés de Jean Vilar, au Théâtre National Populaire, deux ans après la création de son désormais célèbre Festival d’Avignon. Vos clichés de Maria Casarès et de Gérard Philipe vous valent votre première reconnaissance, et lorsque vous décidez de vous essayer à la réalisation, c’est avec deux acteurs du TNP alors débutants, Sylvia Monfort et Philippe Noiret. Votre premier long-métrage, La Pointe courte, a pour monteur un jeune homme nommé Alain Resnais.

Vous naviguez ainsi, dès vos débuts, pionnière de la réalisation féminine, dans une constellation de futurs monstres sacrés du cinéma français. Vous connaissez rapidement de très beaux succès, Cléo de 5 à 7 décroche le Prix Méliès en 1961, et Le Bonheur le Prix Louis Delluc, en 1965. Vous passez d’un genre à l’autre, réalisant, avec la même aisance, des films de commande pour les Châteaux de la Loire ou la Côte d’Azur, et un récit onirique, Les Créatures, mettant en scène Catherine Deneuve et Michel Piccoli. Vous suivez vos désirs et vous vous laissez happer par toutes les surprises que vous réserve la vie. De passage à San Francisco, vous êtes présentée à un dénommé Varda, un Oncle d’Amérique, peintre original, dont vous faites immédiatement le sujet d’un film, Oncle Yanco, avant de réaliser un documentaire sur les Black Panthers.

Instinctive, spontanée, vous êtes passée maître dans l’art du collage et des associations d’idées, du coq-à-l’âne et des films gigognes. La rue du quatorzième arrondissement où vous vivez, et vos voisins, vous inspirent en 1975 vos Daguerréotypes. Une vieille photo de 1954, oubliée dans une porte de vos placards, vous souffle, en 1982, l’idée de votre film Ulysse, épopée sur les chemins de vos souvenirs. En 1987, c’est Jane Birkin qui devient votre muse, et vous faites de ses multiples visages autant de miroirs qui vous reflètent, dans le « portrait-collage » Jane B. par Agnès V. Jacques Demy, votre compagnon qui fut aussi votre plus fidèle complice, vous inspire également un magnifique triptyque, Jacquot de Nantes, Les Demoiselles ont eu 25 ans, et L’Univers de Jacques Demy.

Sans toit ni loi reconstitue des bribes de vie d’une jeune sans domicile morte de froid, brillamment interprétée par Sandrine Bonnaire. Le film remporte le Lion d'or à Venise, et le Prix Méliès en 1985. Dans Les glaneurs et la glaneuse, en 1999, vous partez sur les traces de ces glaneurs des temps modernes, qui récupèrent les restes, les rebuts, d’une société consumériste, pour se nourrir, ou pour créer. Le film, magistrale mise en abîme de votre métier de réalisatrice, vous voit, à votre tour, devenir une glaneuse d’images, d’idées, d’instants de vie, que vous assemblez et collez à votre manière, pour livrer des œuvres uniques.

Ce goût pour les reconstitutions, les patchworks d’histoires, et pour les mises en abîme du septième art, nous le retrouvons dans le film inoubliable que vous avez réalisé, en 1995, pour célébrer un siècle de cinéma. Michel Piccoli offre un visage à ce centenaire effrayé à l’idée d’oublier ses meilleurs moments, qui convoque une pléiade d’acteurs et d’actrices plus prestigieux les uns que les autres, pour les lui faire revivre. Vous seule pouviez réaliser ce tour de force, ce tour de passe-passe, cette plongée au cœur de cet art auquel vous avez consacré toute votre vie. Cette passion, vous avez su la transmettre à vos deux enfants, Mathieu Demy, comédien de grand talent, et Rosalie Varda, costumière et décoratrice dont nous pouvons admirer la magie et la fantaisie dans les dîners d’ouverture et de clôture du Festival de Cannes, et à la Plage des Palmes.

En 2001, l’ensemble de votre carrière est couronnée d’un César, mais loin de vous l’idée de vous reposer sur ses lauriers. En 2006, avec l’exposition L’île et elle, vous envahissez la Fondation Cartier de vos installations, de vos photographies et de vos vidéos, pour un hymne à l’île de Noirmoutier.

Et en janvier dernier, vous avez peuplé le Panthéon des visages saisissants de héros discrets, des histoires extraordinaires d’hommes ordinaires, qui ont choisi, pendant la Seconde guerre mondiale, de sauver des femmes, des hommes, des enfants, des familles entières persécutés pour le seul crime d’être nés Juifs. Votre installation, en hommage aux Justes de France, poursuit aujourd’hui, avec nous, son voyage de l’autre côté de l’Atlantique, où je souhaite qu’elle touche un très vaste public.

Je salue aujourd’hui une réalisatrice aussi libre qu’exigeante, une photographe inspirée, et une « glaneuse » de génie, qui nous a entraînés sur les chemins bohèmes de son imagination, pour nous offrir une œuvre libre, personnelle, sensible et poétique.

Agnès Varda, au nom du Président de la République, et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous élevons à la dignité de Grand Officier dans l’Ordre national du Mérite.


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