Allocutions de Madame Catherine TRAUTMANN
mercredi 16 février 2000

Remise des insignes :

d'officier de l'ordre national du Mérite à Suzy Delair
de commandeur dans l’ordre des Arts et Lettres à Dominique Desanti
de chevalier de l'ordre national de la Légion d'honneur à Daniel Marty
de commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres à Coline Serreau
de commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres à Frédérick Wiseman


Allocution de Madame Catherine Trautmann, Ministre de la culture et de la communication,
Remise des insignes d'officier de l'ordre national du Mérite à Madame Suzy Delair

Chère Suzy Delair,

Quelle merveilleuse carrière que la vôtre, jalonnée de tant de succès mémorables, aussi bien à la scène qu’à l’écran !

Rien , sans doute, ne laissait présager à l’apprentie modiste que vous étiez dès l’âge de treize ans, la brillante destinée qui lui était promise.

Très tôt pourtant, un rôle de figurante dans "Un caprice de la Pompadour » vous détermine à opter pour les arts du spectacle. Dans ces débuts, vous avez vaillament surmonté maintes difficultés. Confiante en une fort jolie voix, qui vous a permis de chanter très jeune dans les cafés-concerts, vous avez obtenu aux Bouffes Parisiens vos premiers succès comme chanteuse de genre . Au cours de fastidieuses tournées de province, vous avez appris votre métier, tout en vous forgeant ce caractère qui marquera de son empreinte singulière les personnages que vous interpréterez.

Après avoir joué avec Fernandel "Le Rosier de Madame Husson", vous avez fait de brillants débuts au music-hall . Un public enthousiaste venait vous applaudir dans de nombreuses revues au Théâtre des "Deux Anes", aux "Variétés" ou encore à l’"ABC", aux côtés de Mistinguett et de Marie Dubas. Les amateurs comparaient votre voix, pour la mélodie de son timbre, à celle d’Yvonne Printemps.

Votre rencontre avec le réalisateur Henri-Georges Clouzot - qui deviendra votre époux - a marqué d’une inflexion décisive l’évolution de votre carrière. Ce grand maître du cinéma noir a écrit pour vous des rôles dans lesquels vous avez d’emblée révélé la mesure de votre talent dramatique : on peut vous admirer dans "Le Dernier des six" - où vous aviez pour partenaire Pierre Fresnay - puis, dans "L’Assassin habite au 21". Mais je citerai surtout cet inoubliable chef-d’œuvre : "Quai des Orfèvres", où vous donniez la réplique à un autre merveilleux comédien, Louis Jouvet. Votre incomparable interprétation de la chanson de Francis Lopez "Avec son tralala" n’est pas l’une des moindres raisons du succès formidable de ce film, dans toute la France.

Douée pour le mélodrame, vous pouviez passer avec une aisance remarquable du rire aux larmes . Avec votre extrême vivacité pleine de piquant, et votre sens si sûr et si spirituel de la répartie, vous composiez peu à peu ce personnage à la fois drôle et colérique, primesautier et très "parisien" que vous imposerez de film en film.

Je n’en citerai que deux : "Lady Paname", dont les dialogues étaient d’Henri Jeanson et ce chef-d’œuvre de Jean Grémillon : "Pattes Blanches", dont Jean Anouilh a écrit le scénario.

A partir des années cinquante, démontrant la variété de vos talents, vous avez mené de front de multiples réalisations artistiques, accueillies par de nouveaux succès. Avec une admirable capacité d’adaptation aux différents genres du spectacle vivant , vous passiez-vous du cinéma au cabaret et du théâtre à l’opéra-comique. A l’écran, rappellerai-je votre magistrale interprétation dramatique dans "Gervaise" de René Clément ou votre rôle aux côtés de Louis de Funès, dans "Les aventures de Rabbi Jacob" ?

Mais l’excellente musicienne que vous êtes s’est aussi illustrée dans de "La Vie Parisienne", reprise au Théâtre Renault-Barrault, ou encore dans "La Périchole", au Théâtre de Paris. A la même période, vous participiez au « Voyageur sans bagages", et à la reprise à l’Opéra de Lyon de "Véronique", l’admirable opéra-comique de Messager . Des tournées en Europe, au Canada, aux Etats-Unis, en Egypte ou au Liban ont consacré une renommée désormais internationale.

Chère Suzy Delair, vous êtes chère à notre cœur, comme à celui d’innombrables français. Parce que je sais ce que vous doit le spectacle vivant, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui m’ont été conférés, j'ai le grand plaisir de vous faire officier de l’ordre national du Mérite.



Allocution de Madame Catherine Trautmann, Ministre de la culture et de la communication,
Remise des insignes de commandeur dans l’ordre des Arts et Lettres à Madame Dominique Desanti

Chère Dominique Desanti,

A votre naissance, vous vous appeliez Dominique Persky. Vous étiez fille d’un russe émigré, avocat d’affaires, qui vous a élevée seul. Interné à Compiègne, votre père a été abattu au moment de monter dans le train qui l’emmenait vers les camps, parce qu’il n’avait pas entendu l’ordre d’un soldat.

A l’origine de votre parcours, il y a ce choc et l’entrée dans la Résistance. La rafle du Vel d’Hiv marque une rupture décisive dans votre vie et celle de votre époux et compagnon d’alors et de toujours, le philosophe Jean-Toussaint Desanti. Vous rejoignez le PC clandestin pour participer à la lutte armée. Vous travaillez dans un groupe d’intellectuels résistants « Socialisme & Liberté » avec Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir et Maurice Merleau-Ponty, et, bien sûr, Jean-Toussaint Desanti.

Pendant la décennie qui suit la guerre, vous prolongerez votre engagement et participerez activement au combat politique communiste en tant que journaliste grand reporter. Mais ce militantisme s’accompagnera de déchirements et de choix douloureux. Vous étiez, dans une certaine mesure, obligée d’être contre ce que vous aimiez et pour ce que vous détestiez. En 1956, au lendemain de Budapest, vous rompez avec le PC.

Vingt ans après, vous avez acquis suffisamment de distance pour raconter l’histoire de cette passion politique et de votre désillusion dans Les Staliniens. Vous y décrivez sans concession la culpabilité bourgeoise et l’exigence personnelle qui vous ont conduite à servir trop longtemps une cause et une foi que tant de faits, moraux, intellectuels ou esthétiques, démentaient.

Mais, en avançant, la vie ne cesse de faire travailler la mémoire, c’est peut-être cela que vos lecteurs trouvent le plus passionnant dans vos livres. « Le passé, dites-vous dans votre Nabokov, ne peut être reconstitué que bien longtemps après, accoudé sur la « corniche du temps », et sa coloration s’est enrichie de toute l’expérience vécue ». Encore vingt ans plus tard donc, dans un ouvrage qui a conquis un très large audience, Ce que le siècle m’a dit, vous reviendrez de façon, me semble-t-il, très originale, sur la séduction du communisme, « une secte, direz-vous, élargie à une communauté mondiale, qui offrait l’exaltante certitude de n’être jamais seule nulle part » et prolongeait ainsi le temps de la clandestinité.

Les années soixante sont pour vous celles de l’apprentissage de la vie en dehors de la grande famille du parti, mais, pour reprendre votre expression, vous n’en êtes que davantage « sur le qui-vive du monde et des êtres ». Vous allez privilégier les études « de terrain », puisque vous vous êtes consacrée, dans le cadre de votre séminaire semestriel à Paris VII de 1978 à 1990, à ce que vous avez appelé « L’ethnologie ici et maintenant » ; vous y avez traité le changement social et politique sous tous les angles : la ville, qui est votre univers de prédilection, Mai 68, la Californie et le mouvement étudiant, la famille, les femmes.

Dans vos écrits, les femmes sont en effet souvent au centre de vos préoccupations, tant dans vos ouvrages historiques et biographiques que dans vos romans.

Vous nous avez donné sept portraits de femmes « fortes » - des muses, des révoltées, des « femmes de tête » émancipées et entreprenantes, ou des marginales : d’abord La banquière des Années Folles, Marthe Hanau, puis Rosa Luxembourg, à travers ses Lettres aux Kautsky. Vous avez aussi suivi une paria dans ses pérégrinations, Flora Tristan. Puis c’est Marie d’Agout, l’une des premières à avoir proclamé que dans le champ de l’activité humaine, la femme a le droit de paraître et de s’illustrer. Vous avez ensuite tourné vos regards vers la Russie, le pays de votre père, avec deux beaux ouvrages sur Sonia Delaunay et sur Marina Tsvetaieva, la grande poétesse russe dont vous avez contribué à faire découvrir l’œuvre au public français. Enfin tout vous portait à vous intéresser de près à un autre grande muse, Elsa Triolet, à laquelle vous avez consacré deux ouvrages.

Vous n’avez pas négligé pour autant les hommes, surtout les écrivains. Comment en serait-il autrement de quelqu’un qui est aussi engagé par sa participation à la vie de la Maison des écrivains ? Drieu la Rochelle et Guitry, Nabokov, Aragon, et, le dernier en date, Desnos, dont nous célébrons le centenaire et qui sera, avec Prévert, au cœur du prochain Printemps des poètes. Les femmes, les hommes, il faut je crois un peu des deux pour poser cette question qui revient sans cesse dans vos écrits : celle de la filiation, une filiation personnelle, qui est la recherche par chacun de parents toujours un peu inconnus, et une filiation collective qui est celle de la transmission et du conflit des générations. Les femmes, les hommes, mais pour faire un monde, il faut aussi des chats. Je crois que vous en avez la passion et que vous retrouvez chez eux un peu de vous-même.

Les questions posées par vos romans, vos biographies et vos essais ont fini par se rejoindre dans la somme qui a conquis la plus large et la plus attentive audience : Ce que le siècle m’a dit, le roman de votre vie qui est aussi celui de notre temps.

A l’heure où l’on dresse des bilans du siècle, c’est un livre auquel on revient avec un plaisir toujours renouvelé. Il est à votre image, très parisien et battant au rythme de l’histoire, intelligent et généreux, virulent et tendre, grave et en même temps un peu espiègle, porteur d’une volonté aigue de comprendre, d’une mémoire et de quelques leçons fortes.
J’en retiendrai trois :
- on ne construit pas sa vie personnelle dans l’indifférence à la vie collective
- l’usage de la liberté est une voie plus sûre que la recherche du bonheur
- l’amitié, que vous appelez « le sang du courage de vivre » n’est pas un plaisir réservé à la jeunesse, elle grandit avec le temps.

Ce qui est peut-être une autre façon de dire que chez vous, l’âge, loin de chasser la jeunesse, fait tous les jours « repousser vos vingt ans » et offre ainsi à vos amis une cure de jouvence.

Chère Dominique Desanti, j’ai le plaisir de vous faire commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres.



Allocution de Madame Catherine Trautmann, Ministre de la culture et de la communication,
Remise des insignes de chevalier de l'ordre national de la Légion d'honneur à Monsieur Daniel Marty

Cher Daniel Marty,

Je suis très heureuse de saluer en vous un artiste complet et un remarquable serviteur de la culture dans divers domaines, depuis de longues années.

J'évoquerai d'abord votre belle carrière d’artiste lyrique. Vous avez commencé vos études vocales avec Marguerite Joye, et eu, ensuite, la chance d’être formé par deux merveilleux maîtres au Conservatoire national supérieur de musique de Paris : pour le chant, Charles Panzéra - qui fut sans doute le meilleur interprète des Mélodies de Fauré - et, pour la scène, Paul Cabanel.

Brillamment couronné par un Premier Prix de chant et un Second Prix d’Opéra, vous avez débuté en 1957 une carrière de baryton, au Festival d’Aix-en-Provence. Votre talent vous a valu d'être aussitôt engagé dans la troupe de l’Opéra de Lyon où vous ont été d'emblée confiés les grands rôles du répertoire : Figaro du "Barbier de Séville", Ourrias dans "Mireille", Albert dans "Werther", Valentin dans "Faust", Escamillo de "Carmen". Vous avez été invité à chanter dans une production de "Parsifal" dirigée par André Cluytens. Vous avez eu pour partenaires Géori Boue, Régine Crespin, Janine Micheau et surtout la célèbre Mado Robin avec qui vous vous êtes produit jusqu'à ses dernières représentations. Pensionnaire de divers Opéras, vous avez effectué sous la direction du remarquable directeur de théâtre, Pierre Nougaro, 90 prestations en six mois.

Dès le début des années 60, vous avez participé à de nombreuses productions pour la télévision, notamment avec Jean-Christophe Averty.

Les mélomanes français suivaient avec le même enthousiasme vos prestations à la radio, qui donnait alors régulièrement des oeuvres du répertoire français, souvent peu connues, signées de Philidor, d'Adam ou d'Offenbach. Avec une parfaite maîtrise du direct, vous les interprétiez sous la direction de grands chefs tels qu’Albert Wolff qui, célèbre depuis son passage au Metropolitan Opéra, représentait en France la grande tradition lyrique. Je mentionnerai encore les fameuses "Clartés dans la nuit", émissions au cours desquelles vous avez donné d'innombrables mélodies françaises.

Vous avez ainsi poursuivi pendant dix ans une carrière d’artiste lyrique indépendant dont témoignent plusieurs enregistrements. Vous vous êtes produit sur les grandes scènes lyriques européennes, notamment le Capitole de Toulouse, le Grand Théâtre de Bordeaux - sous la direction de Roberto Benzi - et la Monnaie de Bruxelles.

Parallèlement, vous donniez de nombreuses séries de récitals pour les Jeunesses Musicales de France au cours desquelles vous avez créé un ouvrage de Kosma, "Un amour électronique". Dans le cadre de ces récitals, vous avez chanté également des chansons de Prévert et Kosma.

Avec le Théâtre de la région parisienne (TRP), vous avez participé à plusieurs productions : "Manon", "Roméo et Juliette", et "Les Mousquetaires au couvent" avec Suzy Delair, dans la première mise en scène lyrique de Georges-François Hirsch.

En 1969, vous devenez metteur en scène au Théâtre de Limoges avant de vous voir confier, deux ans plus tard, la direction du Centre lyrique populaire de France.

Dans le même temps, vous animiez l’Orchestre de l’Ile de France et vous avez été de 1977 à 1981, le Directeur-adjoint de l’Agora d’Evry.

Pendant des années, votre sens aigu du patrimoine musical vous a conduit à vous passionner à l’histoire de l’opéra, à travers les enregistrements historiques de voix célèbres. Vous avez ainsi constitué une remarquable collection réunissant à la fois des incunables du son et des machines parlantes capables de les faire revivre, pour le plaisir des professionnels et des amateurs, mais aussi pour le plus grand intérêt des chercheurs. Vous avez ainsi apporté une contribution décisive à la connaissance de l’histoire du son et du chant. Votre ouvrage "L’histoire illustrée du phonographe", publié en 1979, constitue une référence en la matière. Il a été trois fois réédité en français, et a fait l'objet de plusieurs éditions anglaises et allemandes.

Connus et appréciés par les experts du monde entier, vos travaux ont donné lieu à de nombreuses conférences et expositions, notamment au Centre Pompidou, en 1995.

Avec Jean-Christophe Averty et Marie-France Calas qui était à l’époque responsable de la phonothèque de la Bibliothèque Nationale, avec des artistes, des chercheurs et des associations professionnelles, vous avez créé en 1979 l’Association française des archives sonores, au sein de laquelle vous avez activement contribué à la reconnaissance du statut du phonogramme.

Elu conseiller municipal de Saint-Leu-la-Forêt, vous en êtes depuis 1980 le maire-adjoint, chargé des affaires culturelles. Vous avez fondé et dirigé depuis plus de vingt ans l’association des amis de Wanda Landowska, organisant pendant dix ans un festival annuel de musique baroque qui a permis notamment de produire les derniers récitals de Ruggero Gerlin. On vous doit également la publication de textes introuvables de Wanda Landowska.

Par votre conviction enthousiaste et votre charisme, vous savez fédérer toutes les énergies autour de projets culturels qui réunissent les diverses sensibilités, et favoriser ainsi l'enracinement de chacun dans un lieu en pleine évolution.

Cher Daniel Marty, pour tous ces titres à notre gratitude, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, j'ai le grand plaisir de vous faire chevalier dans l’ordre national de la Légion d’Honneur.



Allocution de Madame Catherine Trautmann, Ministre de la culture et de la communication,
Remise des insignes de commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres à Madame Coline Serreau

Chère Coline Serreau,

Vous avez été baignée dès l’enfance dans le milieu artistique. Vos parents ont su éveiller votre goût pour les disciplines les plus diverses, tout en respectant la liberté de vos choix. Vous maîtrisez à présent plusieurs formes du spectacle vivant avec un talent tel que vous les rendez à leur vocation essentielle : transmettre au public humour et joie de vivre.

Geneviève Serreau, votre mère, a été la première traductrice de Bertolt Brecht, et l’amie d’Arrabal, d’Ionesco et de Becket. Elle vous faisait lire les ouvrages les plus divers, d’Aristophane à Shakespeare, ou même Kafka. Votre père, le grand metteur en scène Jean-Marie Serreau, fut le premier à introduire Brecht à la Comédie Française en montant "Galileo Galilei". Il avait créé, entre autres, "Les Bonnes" de Jean Genet. On lui doit également l’aménagement du théâtre de la "Cartoucherie de Vincennes"...

Quant à vous, chère Coline Serreau, vous avez mené des études parallèles de musique et de littérature, jouant par exemple des Suites de Bach à la guitare classique à l’occasion d’une tournée de la « Compagnie des 7 ». Pourtant, votre carrière semblait s’orienter prioritairement vers la musique. En 1967, vous étiez élève d’histoire de la musique au Conservatoire de Paris et vous complétiez vos études à la Schola Cantorum pour le piano, la guitare classique et l’orgue.

Mais, l’année suivante, vous fréquentiez la fameuse « Ecole de la rue Blanche ». En définitive, c’est la scène qui vous retiendra, sans vous faire vraiment abandonner la musique. On vous applaudira à la Comédie Française dans "Electre" de Giraudoux, puis en 1970, dans le rôle de Mado.

La même année, Robert Enrico vous confie votre premier rôle à l’écran dans "Un peu, beaucoup, passionnément", et vous débutez une carrière cinématographique.

Evoquant ces débuts, vous écrivez : "j’avais, paraît-il, un physique de jeune première et en même temps une franche nature comique". N’est-ce pas ce qui vous a déterminé à vous mesurer encore à un nouveau genre : le café-théâtre où vous avez rejoint Romain Bouteille et Coluche ?

Vous apprenez vos rôles avec rigueur, car selon vous : "On n’est pas un acteur comique si l’on n’est pas perfectionniste, si l’on n’étudie pas son rôle comme un musicien sa partition". C’est cette grande exigence professionnelle qui caractérise votre jeu. Un public enthousiaste a pu vous applaudir dans "Le soir des diplomates", de Romain Bouteille, en 1972, et, l’année suivante, dans le premier spectacle de Coluche "Thérèse est triste".

ans un tout autre registre, on vous a admirée simultanément dans "Le Songe d’une nuit d’été" au Festival de Chateauvallon, et dans "Liola" de Pirandello. Non contente de ces succès, vous fréquentez à la même période l’Ecole du cirque d’Annie Fratellini, pour vous y former au trapèze, au fil et aux claquettes, avant de revenir aux tréteaux du festival du Marais pour interpréter Desdémone, dans "Othello".

Chère Coline Serreau, vous avez également servi le cinéma en votre qualité d’auteur et réalisatrice de films qui ont reçu le meilleur accueil de la critique et du public. En 1972, "Pourquoi pas", avec Sami Frey, vous méritera le Prix Georges Sadoul. Douze ans plus tard, l’extraordinaire succès de "Trois hommes et un couffin", vous consacrera auprès du grand public, et sera corroboré par de nombreuses récompenses.

Avec le même bonheur, vous réalisez ensuite : "Romuald et Juliette", "La Crise", "La Belle Verte", où vous démontrez que la bienveillance et la tendresse peuvent rendre son âme à un monde impitoyable.

Mais revenons au théâtre, que vous n’aviez pas délaissé, appréciant - je vous cite- « la plus grande liberté d’inspiration » qu’il ménage aux artistes, malgré de moindres moyens.

En 1985, vous avez créé "Lapin, Lapin", pièce dont le succès ne s’est pas démenti lors de sa reprise, onze ans plus tard. Quatre Molières ont couronné "Quisaitout et Grosbêta". Votre magistrale interprétation du clown Grosbêta n’y est pas étrangère. Nous avons été enchantés, voici deux ans, par "Salon d’Eté", cette pièce charmante qui allie théâtre, musique, cirque, mime, danse, dans un spectacle plein de gravité, de tendresse et de drôlerie.

Chère Coline Serreau, il me semble que votre art si accompli porte, dans toutes ces disciplines, la merveilleuse générosité que vous prodiguez à votre public, avec la complicité de Béno Besson et de vos acteurs. Pour toutes ces raisons, j'ai le grand plaisir de vous faire commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres.



Allocution de Madame Catherine Trautmann, Ministre de la culture et de la communication,
Remise des insignes de commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres à Monsieur Frédérick Wiseman

Cher Frederick Wiseman,

Je suis heureuse de saluer en vous l’un des plus brillants documentaristes américains de votre génération. Votre discrétion et votre simplicité n’ont d’égal que votre talent, sans cesse renouvelé depuis plus de trente ans.

Fin connaisseur de notre culture, vous avez choisi en 1995 comme objet d’investigation l’une de nos institutions les plus chères : la Comédie Française. Des mois d’observation et onze semaines de tournage donneront naissance à un film : « La Comédie-Française ou l’Amour Joué ». Des réunions de sociétaires aux représentations, de la grève des électriciens aux préoccupations des costumières, toute la vie de cette grande maison est disséquée, analysée, décryptée avec une minutieuse acuité. En proposant au spectateur plusieurs niveaux de lecture de cette œuvre admirable, vous l’invitez à devenir acteur du spectacle projeté.

Comme cette œuvre particulière, votre parcours professionnel tout entier est riche d’expériences singulières.

Né à Boston en 1930, vous faites des études de droit à Yale et à Paris à la fin des années cinquante. Puis, vous entrez dans la vie active en qualité de professeur de droit criminel. Votre premier film « Titicut folies » sera inspiré du sujet d’étude que vous proposez : la prison. Présenté en 1967, il provoque le scandale. Vous osiez montrer une réalité que beaucoup d’Américains se refusaient à voir : la vie quotidienne du pénitencier psychiatrique de Bridgewater, dans le Massachussets. Ce film vous vaudra une critique élogieuse de la presse mais une lourde sanction du gouvernement de l’état : il sera interdit pendant 25 ans.

Depuis, avec constance et obstination, à raison d’un film par an, vous construisez avec patience et ascétisme une œuvre majeure. Portant sur le monde un regard sensible et humaniste, vous savez nous suggérer l’universalité des problèmes sociaux que vous envisagez. Vous nous introduisez dans l’univers d’une école supérieure de Philadelphie, dans « High school » en 1968, ou encore dans la vie quotidienne d’un centre social de New-York en 1975, dans « Welfare ». Dans «The Store», c’est le monde d’un grand magasin de Dallas au Texas qui est la cible de votre inquisition.

Vous abordez également des sujets peut-être plus spécifiquement américains, avec « Basing training », en 1971, qui relate deux mois de classe de soldats en partance pour le Viêt-Nam ; ou encore la vie de tous les jours dans une cité noire de Chicago, avec « Public Housing » (1997).

Votre art nous livre l’autre visage de l’Amérique, celui d’un quotidien souvent occulté. Le montage occupe une part déterminante de votre travail. Vous vous attelez à cette tâche, seul, pendant de longs mois, pendant une année entière s’il le faut. Vous livrez alors un film sans artifice apparent, allant à l’essentiel : l’exploration de la réalité.

C’est l’alliance singulière de votre puissance d’observation réaliste du monde et du retrait pudique que vous savez conserver qui me paraît définir votre style. De vos expériences de juriste, de sociologue et de cinéaste, vous savez tirer la substantifique moelle. Vous avez l’art de laisser les questions ouvertes en vous plaçant dans une attitude à la fois proche et distante du réel.

Depuis longtemps déjà, les cinéphiles français vous apprécient particulièrement : les nombreuses rétrospectives consacrées à votre œuvre depuis 1977 en témoignent. Je sais que de nouveaux hommages vous seront rendus en avril prochain, dans le cadre d’une opération d’envergure nationale, placée sous l’égide de mon département : « le Mois du film documentaire ». A cette occasion, vous pourrez mesurer toute l’admiration de votre public, aussi fervent à Paris qu’en région.

Dans quelques semaines, « La Dernière lettre » de Vassili Grossman sera donnée au Studio Théâtre de la Comédie française. Vous en signez brillamment la mise en scène. Je ne doute pas que cet événement recueille tout le succès qu’il mérite.

Cher Frederick Wiseman, pour reconnaître l’œuvre immense que vous nous avez livrée, j’ai le grand plaisir de vous faire commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres.


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