Discours et communiqués de presse

Discours de Christine Albanel prononcé à l’occasion de la
13e conférence annuelle Europa cinemas


vendredi 14 novembre 2008

Monsieur le Président, Cher Claude Miller

Monsieur le délégué général, Cher Claude-Eric Poiroux

Mesdames et Messieurs,

Je suis heureuse d’ouvrir avec vous cette 13ème conférence annuelle Europa Cinemas qui réunit, cette année encore, des professionnels venus des quatre coins du continent, tous animés par l’envie d’échanger sur leur activité, avec le même engagement : faire vivre la diversité cinématographique européenne !

Et je voudrais vous dire que vos travaux s’inscrivent dans la parfaite continuité des rencontres et colloques qui, depuis le mois de juillet – dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne – ont permis de faire le point sur l’Europe de la culture, et de regarder l’avenir ensemble, avec tous les acteurs européens du secteur.

Puisque la France assume encore pour quelques semaines cette présidence, je tiens à souhaiter la bienvenue à l’ensemble des membres du réseau réunis aujourd’hui.

Votre thème de réflexion cette année est « la salle de cinéma face à la nouvelle culture d’image et d’écrans ».

Vous avez confié cette réflexion à Gilles Lipovetsky, philosophe qui a le rare talent d’interroger le présent avec une grande finesse d’analyse.

Sa vision critique de ce qu’il appelle la société d’ « hyperconsommation », appliquée notamment à l’univers des images, nous est très précieuse pour mieux saisir les nouveaux rapports qu’entretiennent aujourd’hui nos concitoyens avec les écrans – en particulier ceux des salles de cinéma .

En effet, avec la multiplication des écrans domestiques et la circulation accélérée des films sur Internet – trop souvent, d’ailleurs, dans le mépris le plus total des droits d’auteur – nous assistons à une transformation inédite des usages et des comportements. On constate notamment l’émergence d’un phénomène plutôt inquiétant, une sorte de frénésie consumériste de la part de certains internautes, comme une boulimie qui les pousse à télécharger plus de films qu’ils ne pourront jamais en visionner. Du spectateur, nous sommes passés à ce qu’Adorno appelait « le consommateur de culture », voire à l’ « hyperconsommateur ». Plus de 450 000 piratages de films par jour en France, soit autant que les entrées en salles !

La loi « Création et Internet » qui a été adoptée par le Sénat le mois dernier et que je présenterai en janvier à l’Assemblée Nationale vise à endiguer ce phénomène fatal pour les artistes mais aussi particulièrement inquiétant pour les spectateurs !

D’où l’urgence de rappeler - dès que nous le pouvons et de façon très pédagogique - la valeur d’une œuvre d’art, d’un film et de ce plaisir unique qu’est sa découverte dans une salle de cinéma.

La salle est non seulement le lieu de naissance du film, mais elle est aussi un lieu d’échange, de dialogue, de partage et de brassage social : c’est ce qui la rend particulièrement précieuse pour la vie de la cité.

C’est pourquoi l’action d’Europa-cinémas est à mes yeux tout à fait exemplaire : elle met en valeur le rôle que joue la salle de cinéma en faveur de la diversité et du partage des cultures, qui passe par une programmation ouverte à toute l’Europe ainsi qu’aux cinémas du monde.

Je partage avec vous l’idée que le cinéma européen connaît aujourd’hui une période de pleine renaissance, sur le plan créatif, comme sur celui de son développement économique.

Et cela nous permet d’espérer un nouvel « âge d’or », comme nous l’avons connu avant même que les instituions européennes se mettent en place, dans les années 50 et 60, avec une pléiade d’immenses réalisateurs et de talents artistiques qui circulaient dans une Europe du cinéma sans frontières.

Les Almodovar, Loach, Frears, Moretti, Dardenne, Haneke, Akin, Mungiu, aux côtés de Costa-Gavras, Klapisch, Miller, Polanski, et de bien d’autres, ont pris la relève de ceux qui ont forgé notre goût du cinéma dans le passé : Bergman, Antonioni, Visconti, Bunuel, dont je salue une grande interprète présente parmi nous aujourd’hui, Jeanne Moreau.

On sent en effet aujourd’hui un vrai désir de création cinématographique sur tout le continent : on a ainsi dénombré 921 films produits l’an dernier , soit plus du double de la production américaine. Gilles Lipovetsky parlerait peut-être d’ « hyperproduction ». Pour ma part j’aimerais y voir un signe d’ « hypervitalité » !

Mais évidemment, au-delà des chiffres, il y a, aussi, une vraie spécificité du cinéma européen qui, tout en évoquant des réalités nationales, y compris en portant un regard sur l’histoire récente de chaque pays, atteint une forme d’universalité.

Voyez le succès que connaissent hors de leurs frontières des films ancrés dans des contextes politiques aussi éloignés que The Queen, La vie des autres, Gomorra, ou encore des réalités sociales et culturelles comme celles qu’évoquent Volver et De l’autre côté, à travers les récits de destins individuels.

L’accueil fait à ces films au-delà de leur pays d’origine montre bien qu’à travers le cinéma, c’est une vraie sensibilité commune qui est en train de renaître. Cette sensibilité, nous devons la stimuler, la nourrir en facilitant la circulation des œuvres de tout le continent sur tout le continent.

Cette circulation est insuffisante aujourd’hui : si la part de marché des films européens face aux films américains progresse dans l’ensemble des pays de l’Union (on est passé en 10 ans de moins de 20% à près de 30%) – et c’est très bien- cette progression se fait encore essentiellement au profit du cinéma national. La diffusion des films non-nationaux demeure encore faible puisqu’elle est passée de 6% des entrées en 1998 à seulement 8 % en 2007.

Pour cela il faut absolument maintenir tous les dispositifs qui ont permis à la production européenne de prendre un nouvel essor : en particulier les aides d’Etat au cinéma – et j’en profite pour saluer la décision prise par la Commission européenne de proroger jusqu’en 2012 les critères d’autorisation de ces aides.

Nous devons aussi encourager les coproductions, puisque, comme le souligne l’Observatoire européen de l’audiovisuel, les œuvres coproduites circulent plus facilement hors de leurs frontières que les films nationaux. Et je voudrais saluer à cet égard l’action d’Eurimages qui, sous la présidence efficace de Jacques Toubon, soutient près de 60 coproductions chaque année.

Il y a enfin tout un travail à mener sur la diffusion de ces films en salles et sur tous les supports. Vous en savez mieux que quiconque l’importance, et c’est aussi à vous qu’il revient de proposer les moyens susceptible d’améliorer cette circulation.

En matière de diffusion, je suis convaincue que l’un des grands enjeux pour le cinéma européen ces prochaines années est la projection numérique.

Le numérique peut constituer en effet une formidable opportunité pour la circulation des œuvres européennes.

Il enrichit et allège l’étape de distribution, en particulier en facilitant le sous-titrage dans une multitude de langues, et en diminuant le coût et la lourdeur logistique qui marquent l’acheminement des copies.

Mais cette transition a un coût. Et si l’on peut penser qu’une partie des exploitants européens arrivera à supporter le financement de cet équipement, nous sommes tous bien conscients que cette mutation technologique fait peser une menace réelle sur les salles qui ont une économie plus fragile, qui sortent des films plus difficiles, sur un seul écran parfois.

Si ces salles devaient disparaître, c’est à la fois la diversité culturelle et l’accès à cette diversité pour tous, jusque dans les endroits les moins achalandés, qui disparaîtrait.

C’est pourquoi j’ai souhaité –d’un commun accord avec mon collègue Bernd Neumann – que le cinéma numérique soit inscrit à l’ordre du jour du prochain conseil des ministres de la culture de l’Union que je vais présider à Bruxelles le 20 novembre prochain.

Il me paraît indispensable en effet que sur cet enjeu important pour l’avenir du cinéma européen dans son ensemble, tous les pays membres de l’Union se rassemblent et adoptent une démarche commune :

Une étroite collaboration existe déjà entre le CNC et son homologue allemand la FFA, mais il est souhaitable que cette coopération s’étende à tous les pays membres.

Car il est nécessaire d’élaborer un modèle de répartition des économies réalisées par les distributeurs et de mettre en place des aides publiques complémentaires au niveau régional, national et communautaire.

L’objectif étant que l’ensemble des salles parvienne à s’équiper, et que la projection numérique soit synonyme de progrès et non de recul en terme de diversité.

Ces orientations rejoignent les réflexions menées par la Commission européenne dans le cadre du programme Media.

Et l’expertise développée au sein d’Europacinémas est précieuse pour faire avancer la réflexion dans ce domaine.

Dans le même ordre d’idées, il est capital de s’assurer qu’il existe une véritable offre de films européens en version numérique, ce qui peut nécessiter de soutenir, en plus des équipements numériques, et d’encourager la numérisation des films.

Enfin, quelle que soit la part prise par les aides d’Etat dans le financement de cette mutation technologique, il est souhaitable que celles-ci soient examinées favorablement au regard des règles communautaires de concurrence.

L’enjeu du déploiement numérique en Europe est en donc majeur à la fois pour la préservation et la promotion de la diversité culturelle et pour l’avenir de ces entreprises culturelles indépendantes que sont vos salles de cinéma.

Nous avons récemment organisé à Paris une rencontre (« Les Arènes de l’indépendance ») associant les entreprises indépendantes européennes de tous les secteurs : musique, cinéma et livre. Europa cinémas y était d’ailleurs représentée, en la personne de Claude-Eric Poiroux.

Et parmi les propositions concrètes d’actions qui sont ressorties, il y avait l’idée d’aménager un droit sectoriel de la concurrence dans le domaine des industries culturelles dans l’esprit du « Small Business Act », ainsi que la question de l’accès au crédit pour les PME culturelles. Je pense notamment au rôle que peut jouer la BEI pour le financement du cinéma numérique. A été évoquée aussi la mise en place d’une TVA a taux réduit pour tous les biens et services culturels. Ce sont bien évidemment des pistes de travail qui nécessitent d’être examinées à 27 et j’en ai fait un thème important de la présidence française. 

Parmi les conclusions, il y avait aussi la mise en place de mesures propres à favoriser la circulation des œuvres indépendantes en Europe et, là encore, Europa cinemas est apparu comme un véritable modèle à développer et à décliner.

C’est d’ailleurs ce que nous allons faire dans quelques jours avec l’opération « Les étoiles du cinéma européen » – dont Europacinémas est partenaire – qui proposera au grand public de découvrir ou redécouvrir le dimanche 23 novembre 27 films phares des pays de l’Union dans plus de 90 salles sur tout le territoire français à un tarif promotionnel.

Et je rappelle que depuis le 1er juillet, jusqu’à la fin de cette année, 27 réalisateurs européens font un tour de France pour présenter leurs films (dont beaucoup de premiers films, mais aussi celui d’un grand aîné du cinéma européen : Manoel de Oliveira) ; et je tiens à saluer à nouveau Jeanne Moreau qui a accepté de parrainer activement cette opération qui repose aussi sur le partenariat des salles Europa cinémas.

Je compte suggérer d’ailleurs que chaque pays en charge de la présidence de l’Union poursuive ce travail de promotion du cinéma européen, et que nous puissions aussi donner plus d’écho aux « European Awards ». C’est en effet une très belle vitrine de la production européenne, mais elle a encore bien moins de visibilité que les Oscars. Et pourquoi ne pas songer à une grande fête européenne annuelle du cinéma, à laquelle pourraient participer tous les spectateurs de l’Union ?

Je voudrais terminer en évoquant un autre horizon pour le cinéma européen dans les prochaines années : la coopération avec les pays tiers.

L’année 2008 a été marquée par le lancement de l’action préparatoire MEDIA International. Elle doit déboucher en 2011 sur la mise en œuvre d’un nouveau programme Media Mundus, qui vise à renforcer les relations culturelles et commerciales entre l’Europe et les cinématographies des pays tiers.

Les domaines d’intervention privilégiés à ce stade sont la formation continue, la promotion et le soutien aux réseaux de cinéma. La Commission européenne doit d’ailleurs adopter sa proposition de programme le 16 décembre prochain.

Croyez-bien que je suis particulièrement heureuse qu’Europa Cinémas ait été retenu dans le cadre de l’appel d’offres lancé cette année et puisse étendre ses activités aux pays « hors d’Europe ». Voilà un très bel horizon pour votre action !

Vous le voyez, les perspectives ne manquent pas : le soutien aux PME indépendantes sur lesquelles repose la diversité du cinéma européen, le passage au numérique, une promotion plus active du cinéma européen non national, l’ouverture aux cinématographies des pays tiers…

Je suis convaincue que le cinéma européen est amené à revenir durablement sur le devant de la scène, imposant un autre modèle fondé sur la diversité, l’ouverture aux autres cultures, l’originalité du regard cinématographique.

C’est notre plus grand défi aujourd’hui : combattre cette idée absurde et désolante que le plus européen de tous les cinémas, celui qui constitue le fil rouge entre les salles obscures de tous nos pays, ce serait encore le cinéma hollywoodien…

Merci à vous d’y contribuer, j’ai confiance en votre total engagement en faveur d’un cinéma qui cultive la différence.

Je vous souhaite d’excellentes journées de travail !