Madame la Ministre,
Monsieur le Président, Cher Gilles,
Chers amis,
Je suis très heureuse de vous recevoir à ce cocktail du CNC qui ponctue tous les ans notre calendrier cannois. Merci d’avoir pris un peu de votre temps que je sais précieux et comme d’habitude, je vous promets d’être brève.
Pour commencer, quelques éléments saillants
du bilan 2007. Fréquentation en léger repli ; part de marché
du film français bien inférieure au résultat historique
de 2006, mais toutefois supérieure à la moyenne observée
sur les dernières années. Cela dit, le marché reste très
dynamique : Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder les chiffres
de fréquentation, enthousiasmants je dois dire, au cours des 4 premiers
mois de l’année 2008 : hausse de plus de 20% par rapport à
l’année dernière, un mois de mars historique à
26 millions de spectateurs, du jamais vu depuis que le CNC tient des statistiques,
et un film « Bienvenue chez les ch’tis » - merci Dany Boon
- qui bat tous les records!
Nous verrons l’impact de ce succès sur la concentration des entrées
en fin d’année, mais il faut savoir que l’année
dernière cette concentration a de nouveau diminué. Mouvement
« lent », mais qui se confirme d’année en année
; la part de marché des 100 premiers films est en baisse régulière
depuis 1997. Par ailleurs, la tendance préoccupante à l’augmentation
du nombre des sorties de films inédits, s’inverse pour la première
fois en 2007.
Quant à la production française, les indicateurs sont indéniablement positifs.
En 2007, ce sont 228 films qui ont été agréés,
dont 185 films d’initiative française, retrouvant quasiment le
plus haut niveau de 2005. Mais cette abondance de la production française
s’accompagne, cette fois-ci, d’un meilleur financement des films,
ce qui n’était pas le cas en 2005 – les films français
ont en effet franchi, en 2007, la barre du milliard d’euros d’investissement.
Ce dynamisme ne se fait pas au détriment de la diversité puisqu’au
contraire, la hausse des investissements profite à l’ensemble
des catégories de films, et notamment aux films à budget moyen,
situé entre 4 et 7 millions d’euros, dont l’importance
pour la bonne santé de notre cinéma a été soulignée
par Pascale Ferran. Alors, si l’accroissement des films dits «
du milieu » est significatif, il est bien sûr trop tôt pour
y voir une évolution de fond, mais c’est, en tous les cas, une
évolution encourageante, que nous devons absolument consolider. Important
aussi de noter la progression des montants investis par les distributeurs
salles et par les exportateurs. C’est la marque d’une confiance
dans la production à venir.
Relevons enfin que 42 % des films agréés sont des coproductions avec plus de 30 pays étrangers. Et je suis heureuse que notre Ministre de la Culture ait pu, enfin, signer cette année un accord de coproduction avec l’Algérie, seul pays du Maghreb avec lequel nous n’en avions pas.
Je veux souligner une fois encore, ici à Cannes, temple
du brassage culturel et symbole d’un 7ème art solidement arrimé
à la diversité, que le dynamisme des producteurs, des distributeurs
et des exportateurs français se traduit aussi dans la découverte
des talents étrangers. Une implication des professionnels qui démontre
l’efficacité de la politique de coopération mise en œuvre
par la France. Cette ouverture à toutes les expressions artistiques
de notre monde, grâce à nos accords de coproductions, nous avons
aussi su la transposer et l’intégrer à nos mécanismes
de soutien, avec l’aide aux films en langue étrangère,
et avec le Fonds Sud dont je veux saluer le nouveau Président, Mahamat
Haroun Saleh, qui tiendra prochainement sa première réunion.
Je me réjouis d’ailleurs que ces films étrangers soutenus
par le CNC, figurent encore cette année en bonne place dans les différentes
sélections.
Lors de la journée de l’Europe organisée hier, la Commissaire
européenne Viviane Reding a présenté la réflexion
en cours, sur une politique de coopération audiovisuelle et cinématographique,
de l’Union Européenne avec les pays tiers. Je ne doute pas que
l’expérience accumulée par la France avec le Fonds Sud,
et celle d'autres Etats européens constituent une source d’inspiration
et un socle utile au développement des initiatives communautaires.
On le voit donc, le marché se porte plutôt bien et lorsque le marché se porte bien, le rôle correctif, le rôle de contrepoids du CNC doit se renforcer.
C’est pourquoi, nous continuerons en 2008 ce que nous
avons entamé en 2007.
D’abord et toujours, encourager la création, avec la poursuite
des réformes des aides à l’écriture et au développement.
Réévaluation des montants d’aides mais aussi instauration,
dans l’aide à l’écriture, d’un collège
spécial pour les premiers projets, ou encore extension du bonus de
25 %, dans le soutien automatique producteur, en cas de réinvestissement
dans le développement.
Encourager la création c’est aussi conforter
la dimension artistique des projets, grâce à l’augmentation
de l’avance sur recettes. Je me réjouis d’observer que
l’ensemble des films en langue française au sein de la compétition
officielle, ont été soutenus par l’avance sur recettes.
Je veux féliciter leurs auteurs et leurs producteurs. Je vois dans
ces sélections un encouragement à continuer notre effort en
faveur de la création, grâce à l’avance sur recettes
bien sûr, mais aussi grâce à l’ensemble des aides
sélectives du CNC qui concernent également de nombreux films
ici à Cannes.
Je veux rendre hommage aux membres et aux présidents de commissions
d’aides sélectives, Georges Goldenstern, Serge July, Pierre Chevalier
qui a succédé à Claude Durand, Marc Tessier, pour la
pertinence de leurs choix. Tous consacrent leur temps et leur talent à
ce travail délicat en faveur de la création.
Encourager la création c’est aussi accompagner
la prise de risque des créateurs, dans l’exploration de nouveaux
formats et l’utilisation de nouveaux médias. J’avais ici
même, l’an dernier, salué l’arrivée des nouveaux
contributeurs au compte de soutien que sont notamment les fournisseurs d’accès
internet. Cette réforme, qui est entrée en vigueur depuis le
mois de janvier dernier, est fondamentale, elle a ouvert la voie à
une nouvelle ère de création et de régulation.
J’avais également évoqué l’opération
pilote que nous lancions pour soutenir la conception de projets dédiés
aux nouveaux médias – Eh bien, nous venons de reconduire et d’étendre
cette expérimentation de façon à aider des projets conçus
spécifiquement pour internet, pour les mobiles – Ces actions
constituent pour les acteurs du cinéma, de l’audiovisuel et du
multimédia, un véritable vivier en termes de créativité.
Nous avons désormais un système de soutien qui est en phase avec les évolutions technologiques, et résolument tourné vers l’avenir.
Parallèlement, conscients que le développement
des offres « délinéarisées » est une mutation
fondamentale dans la diffusion des œuvres, nous avons mis en place un
dispositif de soutien pour la VOD, afin de favoriser l’exposition des
œuvres européennes, et la diversité de l’offre sur
les différentes plates-formes. L’offre légale doit s’installer
durablement au sein de notre paysage audiovisuel.
Le projet de loi « Création internet », dont notre Ministre
nous dira certainement quelques mots, trace la feuille de route. Le projet
de loi doit être déposé prochainement au Parlement, et
le CNC réunira l’ensemble des interlocuteurs sur la chronologie
des médias, pour fixer l’agenda et les thèmes de discussion
de cette nouvelle négociation. Il faut trouver le juste équilibre
pour que ce nouveau mode d’accès aux œuvres se développe,
et en même temps veiller aux exploitations préexistantes ; je
pense, bien sûr, aux salles, mais aussi aux éditeurs vidéo
qui participent activement au financement et à la diffusion des œuvres
françaises et européennes.
Autre chantier essentiel initié en 2007, et qui va connaître de nouveaux développements cette année, c’est bien entendu la projection numérique en salles, en particulier son modèle économique.
Le groupe de travail présidé par Philippe Levrier m’a
remis un rapport fin avril qui nous permet d’évaluer les besoins
de financements, en fonction de différentes hypothèses de conversion
du parc. Je veux remercier Philippe Levrier pour son énergie et le
travail qu’il a fourni, et également l’ensemble des exploitants
et des distributeurs qui ont participé, je dois dire, très activement
à ces travaux. Je me réjouis d’ailleurs que les collectivités
locales, et les régions en particulier, aient accueilli de manière
constructive ce rapport et je salue leur volonté de s’impliquer
dans l’équipement numérique des salles. D’ici la
fin de l’année, nous devrions être en mesure de proposer
des solutions concrètes, à la fois financières et règlementaires,
afin que la projection numérique puisse bénéficier à
toutes les catégories de salles, sans exception.
C’est la même logique d’anticipation qui anime le CNC en matière de production en relief. C’est un sujet presque aussi vieux que le cinéma certes, mais la diffusion à grande échelle des technologies de projection numérique en salle, en fait désormais une réalité concrète. Les questions techniques sont encore nombreuses, et le relief ne se marie pas avec tous les genres ni toutes les histoires.
Mais il ne faut pas laisser cette nouvelle façon d’écrire
et de réaliser, qui semble susciter une réelle appétence
chez les spectateurs, aux seuls studios américains. Je crois donc essentiel
que les professionnels du cinéma puissent se saisir de ce sujet, et
le CNC est prêt à favoriser une concertation entre les artistes,
les producteurs et les prestataires techniques, et donc à privilégier
le relief dans le cadre de ses dispositifs d’aide sélective.
La projection numérique en salle aura un fort impact sur la filière
du cinéma. Elle va notamment toucher les industries techniques, qui
sont par ailleurs confrontées à de multiples défis, alors
même que leur rôle dans le maintien de la diversité de
la création, est essentiel. Je tiens ici à les assurer que le
CNC est attentif à leurs préoccupations et souhaite qu’un
dialogue constructif perdure.
La révolution numérique et l’intensification de la concurrence promettent de nouveaux défis à notre politique de régulation, et en premier lieu sur le marché de la diffusion. Les politiques tarifaires, les formules d’abonnement illimitées, la complémentarité entre salles publiques et privées, ou encore les engagements en matière de programmation – sont des sujets clés pour l’avenir de la diversité du cinéma en salles.
Un grand nombre de rapports et d’études ont
été publiés ces derniers mois. Ils sont indispensables,
pour disposer de bases objectives et factuelles, afin d’éclairer
les professionnels et les pouvoirs publics et nourrir notre réflexion
commune. C’est l’objet du rapport fondamental « droit du
cinéma et droit de la concurrence » que la Ministre de la culture
et la Ministre de l’économie ont confié à Mme Anne
Perrot et M.Jean-Pierre Leclerc, et dont les conclusions viennent d’être
publiées. Ce rapport, tout en posant l’utilité de l’application
des règles de concurrence dans le champ du cinéma, reconnaît
aussi la nécessité de le considérer parfois comme une
« enclave culturelle », avec ses particularités, et réaffirme,
ainsi, la légitimité d’une politique culturelle aux objectifs
spécifiques.
Les professionnels expriment très unanimement leur souhait de voir
creuser les pistes ouvertes par ce rapport, notamment pour réguler
les pratiques tarifaires. Mais il faudrait tout d’abord que les professionnels
conduisent leur propre expertise de ces différentes pistes proposées
par le rapport, pour que nous puissions ensuite utilement nous mettre autour
de la table. Et je crois que nous sommes tous d’accord pour dire qu’il
est urgent de le faire.
Autre axe de travail qui va s’ouvrir également
après Cannes, il concerne le rapport publié par le Club des
Treize sous la direction de Pascale Ferran. Ce groupe de professionnels a
procédé de lui-même à un examen approfondi et transversal
de toutes les étapes de la vie d’un film et il a publié
un document précis, complet et constructif. Celui-ci offre à
la fois une analyse et des propositions sur les difficultés que peuvent
rencontrer les films, notamment à budget moyen, qui prennent un risque
artistique, difficultés qu’ils rencontrent depuis leur écriture
jusqu’à leur exportation.
La Ministre de la culture nous a chargés de procéder à
une expertise des réformes qui pourraient être mises en œuvre
et d’en mesurer l’impact. Nous allons donc, dès le retour
de Cannes, organiser une concertation sur les propositions du club des treize
avec les professionnels concernés. Nous devons en effet absolument
continuer à améliorer les mécanismes de soutien du CNC
et prolonger la dynamique instaurée par le club des 13 afin de pouvoir,
mieux encore, accompagner le travail de chacun et particulièrement
des indépendants les plus créatifs.
Plusieurs études et missions que nous lançons
viendront aussi converger sur certaines des questions abordées par
le club des treize.
Nous allons dresser très prochainement un bilan détaillé
des évolutions qui ont été apportées, depuis deux
ans, aux mécanismes de l’art et essai, pour affirmer plus nettement
sa spécificité. Le premier classement des salles, avec les nouveaux
critères qui accordent davantage d’importance à la diversité
de la programmation ou aux actions d’animation, vient d’être
effectué. Ses effets doivent être mesurés. Quant à
la recommandation des films, l’impact est d’ores et déjà
manifeste : on ne compte, en 2007, que deux films art et essai parmi ceux
qui sont tirés sur plus de 300 copies, alors qu’ils étaient
en 2005 au nombre de 18.
Par ailleurs, j’ai demandé à Roland Husson, le nouveau Directeur des affaires internationales et européennes du CNC, de réfléchir à une réforme de notre système d’aides à l’exportation, qui présente un certain nombre d’insuffisances.
J’ai confié à René Bonnell une mission sur la clarification de l’amortissement des films, et de ses modalités de calcul qui se complexifie, avec la diversification des modes de diffusion des œuvres et des modalités de rémunération des ayants droit. Les professionnels concernés et les pouvoirs publics doivent pouvoir appréhender – c’est indispensable - l’exploitation commerciale d’un film, en se fondant, en toute confiance, sur un socle de références et d’instruments communs.
De même, j’ai chargé Pierre Chevallier, secrétaire général d’Iris Capital, de procéder à l’évaluation des SOFICA, au regard notamment de leurs objectifs en faveur de la production indépendante. Mission qui s’inscrit dans la perspective de l’examen du dispositif par le Parlement à l’automne prochain, et dont les analyses et propositions d’amélioration devront être remises à la mi juillet.
Par ailleurs, nous attendons, comme vous, les conclusions prochaines de la mission que la Ministre de la culture a confiée à Alain Auclaire sur l’action culturelle et qui permettront une meilleure complémentarité des actions de l’Etat au niveau national et local.
Enfin, nous rendrons public prochainement un ensemble d’études sur les aides à la distribution, de façon à dresser un bilan des différents mécanismes, tant sélectifs qu’automatiques, qui lui sont réservés.
Vous le voyez, le travail ne manquera pas ; les enjeux sont
à la hauteur des principes qui fondent notre politique du cinéma
depuis plus de 60 ans. L’exigence qui est la nôtre, celle de considérer
d’abord le cinéma comme un art et non pas seulement comme un
divertissement, implique que nous veillions, sans cesse, à ajuster
et renouveler nos mécanismes de soutien au bénéfice de
la création.
La place importante qu’occupent chaque année les œuvres
françaises au sein du plus grand rendez-vous international de cinéma
qu’est le festival de Cannes, témoigne de la pertinence de nos
missions au service d’un 7e art dont la vitalité, portée
par des artistes et des créateurs de talent, ne se dément pas.
Mais elle nous rappelle aussi combien nous devons être vigilants pour
préserver cette vitalité, notamment dans le monde numérique,
et ainsi continuer à accompagner les films les plus exigeants jusqu’au
public le plus large.
Toutes les équipes du CNC, Anne DURUPTY et moi-même, nous mettrons tout en œuvre, aux côtés des professionnels, pour relever ce défi majeur, afin que le cinéma demeure cette ambition qui nous est si chère, celle qui nous permet d’appréhender la diversité du monde dans lequel nous vivons.
Celle qui consacre le cinéma comme expression de la liberté, sans être enchaîné aux seules lois du marché.
Celle que le festival de Cannes défend avec vigueur et prestige depuis plus de 60 ans maintenant.
Je veux donc remercier chaleureusement Gilles Jacob et Thierry Frémaux et leur redire toute mon admiration pour leur talent, leur esprit de curiosité et d’ouverture, qui nous permettent de découvrir le cinéma dans toute sa pluralité, et avec elle, la multiplicité des regards sur le monde. Je veux également rendre hommage aux équipes de la Semaine internationale de la critique, ainsi qu’à celles de la Quinzaine des réalisateurs, qui fête cette année ses 40 ans et qui contribuent aussi à porter haut, les couleurs du cinéma, tel que nous le soutenons et tel que nous l’aimons en France et en Europe.