Discours et communiqués de presse

 

Discours de Christine Albanel prononcé à l’occasion du Bilan annuel du CNC

Cannes, mardi 19 mai 2009

Monsieur le Député Maire, cher Bernard Brochand

Monsieur le Député,

Monsieur le Sénateur,

Monsieur le Préfet ,

Monsieur le Président, cher Gilles Jacob,

Monsieur le Délégué général, cher Thierry Frémaux,

Madame la Directrice générale, chère Véronique

Mesdames et Messieurs,


Je dois vous avouer que je suis particulièrement heureuse d’être ici avec vous en ce festival, pour célébrer cette année plusieurs anniversaires :

- Celui des cinquante ans du ministère de la culture, bien sûr.
- Mais aussi les cinquante ans de la Nouvelle Vague que Malraux décide résolument d’accompagner en ramenant le CNC- qui dépendait du ministère de l’industrie- dans le giron du ministère de la culture nouvellement crée.
- Avec un geste très fort : l’invention de l’avance sur recettes dont nous fêtons cette année, aussi, les 50 ans.
- 1959, enfin, c’est l’intervention de Malraux pour défendre « Hiroshima mon amour », menacé d’être retiré de la sélection du fait de pressions diplomatiques. Le ministre d’Etat mit tout son poids dans la balance pour qu’il soit projeté dans la grande salle du palais.

Et c’est un magnifique symbole que le festival accueille cette année à nouveau Alain Resnais avec ses « Herbes folles », c’est un beau rendez-vous que Gilles Jacob et Thierry Frémaux nous offrent pour cet anniversaire et je les en remercie.

Je veux les féliciter une fois encore pour une sélection qui fait la part belle à la diversité, où sont particulièrement présents les grands cinéastes européens (Ken Loach, Haneke, Bellocchio, Almodovar, Lars von Trier) et ou s’affirme encore une fois la créativité du cinéma asiatique.

Le principe de la diversité a aussi guidé les autres sélections : à la Quinzaine, brillamment ouverte par Francis Ford Coppola, et où l’on fête Luc Moullet, mais qui révèle encore beaucoup de nouveaux talents cette année. Bravo à Olivier Père dont c’est la dernière sélection ! Et je m’en voudrais de ne pas citer la « Semaine de la critique » où Jean-Christophe Bergeon a programmé un premier film français pour l’ouverture.

En ce temps de crise économique mondiale, je crois que tous les festivaliers se sont recentrés sur des valeurs essentielles : la mise en scène éclatante de toute la production du monde dans sa diversité et la revendication de la dimension artistique du cinéma.

Peut-être aussi est-ce l’occasion de dire qu’en temps de crise, le cinéma nous est un peu plus indispensable. Pas seulement parce qu’il est un moyen de se divertir ou d’échapper à la rudesse des temps, mais aussi parce qu’il nous éclaire sur notre situation, nos fins, et qu’il est une quête de la vérité.

Véronique Cayla vient de nous le redire : le cinéma français est dans une forme créative éblouissante qui lui permet de gagner la préférence du public.

Nous sommes le premier pays producteur en Europe et pour le parc de salles ; et l’Etat en France a tout mis en œuvre pour assurer la diversité de la création. Ces résultats auraient pu, j’en suis sûre être meilleurs encore. Car la piraterie menace ce bel équilibre fragile et maintenant nous devons œuvrer tous ensemble à faire évoluer notre système, nos forces, nos talents, ceux de nos créateurs et de nos entreprises dans le nouvel univers numérique.

La loi « Création et Internet » a été définitivement votée par le Parlement quelques heures avant l’ouverture du Festival.

Cela a été un rude combat contre les idées reçues sur le mode : « la technique évolue trop vite, on ne peut rien faire ». Chez nos adversaires la fascination, voire le fétichisme de la technologie, le renoncement à l’action, l’abdication de toute ambition régulatrice, se sont substitués aux idées.

Alors que tout le monde appelle plus de régulation dans les domaines financiers et économiques, elle est écartée par certains au motif qu’elle serait impossible, dans l’univers numérique et de l’Internet.

Certes le piratage pose à tous les responsables politiques, dans le monde entier, un problème totalement inédit : celui de l’illégalité d’un phénomène de masse.

Mais un phénomène social injuste doit-il s’imposer au droit, sans discussion possible, dès lors que ce comportement est le fait d’un nombre massif de nos concitoyens ? ». Bref, l’État doit-il privilégier les habitudes d’une majorité, ou bien les droits d’une minorité ?

La patrie de Beaumarchais mérite pourtant un véritable débat de fond sur la conciliation du droit de propriété des créateurs avec la diffusion la plus large possible de la culture.

Créateurs et professionnels du cinéma, je vous ai constamment trouvé à mes côtés pour défendre cette loi. Et aujourd’hui je tiens à vous en remercier tous. Le long chemin qui a abouti à son adoption, nous l’avons fait ensemble.

Vous avez pris le temps d’expliquer l’esprit pédagogique de ce projet aux parlementaires et au grand public – à la télévision, à la radio, dans les colonnes des journaux, dans des réunions publiques. Vous avez passé de longues heures de vigilance nocturne dans les tribunes de l’Assemblée nationale, tandis que j’étais sur le banc des ministres.

Et nous avons mobilisé au-delà de la France : jusqu’à la Guilde des réalisateurs américains (DGA) conduite par Steven SODERBERGH, qui est allée témoigner devant le Congrès des Etats-Unis de la pertinence du projet Français en réclamant une démarche comparable.

Pour ma part, entre le droit de propriété des artistes et les habitudes de certains internautes, j’ai choisi le droit. Entre le fait accompli et la restauration du sens, j’ai choisi le sens.

Internet est une chance formidable pour la culture. Il est de notre devoir de le développer. Mais pas sans règles.

Tout au long du débat, on a tenté de nous faire croire que les internautes n’étaient pas prêts à entendre ce discours. Ensemble, nous avons fait le pari inverse : celui d’une pédagogie qui respecte l’équilibre entre la liberté des internautes et celle des artistes.

J’entends qu’en faisant ce pari, nous ne serions pas réalistes. Des mécanismes similaires ont pourtant déjà fait leurs preuves ailleurs – et ce, de façon extrêmement rapide. La simple entrée en vigueur de la loi suédoise, voici un mois, a occasionné du jour au lendemain, sans qu’aucune sanction ne soit prise, une chute de 37% du trafic sur Internet dans ce pays et une envolée du recours à l’offre légale ;

Nous sommes à la pointe d’un mouvement mondial qui est en train de s’amplifier. Les accords de l’Elysée et la loi ont fait naître le débat et sont imités partout :

accords conclus entre les FAI et les industries culturelles en Grande-Bretagne, en Irlande, au Japon ; négociations aux Pays-Bas, en Australie, à Hong Kong ; lois en Suède, en Corée du Sud, à Taïwan, bientôt en Norvège.

Il y a donc une vaste convergence internationale. Nous devons nous en féliciter, elle renforcera l’efficacité du dispositif.

Je le répète sans relâche depuis le début, le système de réponse pédagogique mis en place par la loi ne résoudra pas tout. Il ne vise pas à priver d’Internet tous les pirates, mais à créer un état d’esprit nouveau chez les internautes. Et il ne constitue pas une fin en soi mais un préalable nécessaire au développement des offres légales de films et de musique, selon des modèles économiques profitables pour tous.

C’est la deuxième étape du travail que je souhaite entamer avec vous. Et ce n’est pas la moindre, car les chantiers sont nombreux et étroitement imbriqués.

Je crois d’abord qu’il est impératif de mettre à disposition du public des milliers de films supplémentaires, légalement, selon des formules attractives, notamment sur Internet. La réforme de la chronologie des médias est une étape importante mais ce n’est que la première.

Les œuvres doivent circuler, et je pense notamment à la récente affaire qui entoure les œuvres de Pierre Etaix. Les plus petites entreprises, pour leur part, doivent pouvoir exposer leurs productions, aussi bien dans les magasins que par le biais de tous les modes de diffusion.

Il faut ensuite augmenter le pouvoir d’achat des cinéphiles et des mélomanes, notamment par une fiscalité qui prenne en compte la spécificité des biens culturels. Je redis que l’engagement de la France sur la question de la TVA sera total. Au-delà, il faut également se demander si certains distributeurs spécialisés ne doivent pas pouvoir, comme c’est le cas pour les librairies indépendantes depuis cette année, bénéficier d’une fiscalité locale adaptée. Et les entreprises d’édition, de production et de distribution – dont nous savons qu’elles sont très majoritairement des PME – doivent pouvoir accéder beaucoup plus facilement au crédit et disposer de la capacité de renforcer leurs fonds propres. Nous y travaillerons activement, notamment avec l’IFCIC.

Je souhaite enfin que nous réfléchissions également aux moyens de dégager de nouvelles ressources pour les créateurs et les entreprises, notamment pour la diffusion  de leurs œuvres sur les réseaux numériques. Il faudra également veiller à la répartition équitable de ces ressources entre les différents maillons de la chaîne de la création.

Tels sont les thèmes que je souhaite débattre dans le cadre d’une grande consultation de tous les acteurs concernés, y compris bien évidemment les opérateurs de communications électroniques, qui sont déjà nos partenaires pour la mise en œuvre de la loi Création et Internet.

Je lancerai ce processus à la rentrée, dans la droite ligne des premiers accords de l’Élysée. Je souhaite y associer, très en amont, des représentants du Parlement. De premières séances de préparation pourraient avoir lieu avant l’été.

Je veux pouvoir faire, sur cette base, des propositions au Président de la République et au Premier ministre à la fin de l’année, au moment de la mise en œuvre des mesures de lutte contre le piratage de la loi Création et Internet.

Mais là ne s’arrêtent pas mes ambitions pour l’année 2009 !

Nous allons en effet rénover tous ensemble l’édifice de régulation et d’encadrement du cinéma, qui a si bien fait ses preuves et permis à la France d’être un grand pays de cinéma.

Dans les six mois qui viennent et selon le calendrier prévu par la loi audiovisuelle de mars 2009, deux ordonnances relatives au cinéma seront promulguées.

La première d’entre, prévue fin juin, porte sur la modernisation du CNC et la rénovation complète du droit du cinéma qui n’avait pas été entreprise depuis 50 ans.

Elle a fait l‘objet d’une large concertation et permettra la mise en place dès le dernier trimestre 2009 de nouveaux organes de gouvernance pour le CNC qui lui conférera une véritable autonomie financière et qui modernisera ses missions et les actualisera en tenant compte des avancées du numérique.

L’ordonnance maintient ce statut très particulier - unique en son genre- qui caractérise le CNC depuis sa création et qui fait de lui à la fois une direction du ministère, placée sous l’autorité directe du ministre et en même temps un établissement public. On ne change pas une formule qui marche et qui a produit dans le temps d’aussi remarquables résultats : on l’améliore pour la rendre plus performante encore.

Cette ordonnance rénove aussi complètement le droit du cinéma, abrogeant nombre de dispositions obsolètes : cartes professionnelles, autorisations d’exercice, et autres réglementations parfois tatillonnes et aujourd’hui sans objet. Ce sera un droit plus simple , plus lisible, plus efficace.

Une deuxième ordonnance portant plus particulièrement sur les questions de régulation de la concurrence à la suite des préconisations du rapport Perrot-Leclerc devra être promulguée avant novembre prochain. Les consultations menées par le CNC sur cette deuxième ordonnance avancent, et je compte sur vous pour qu’un texte puisse être élaboré dans dans les meilleurs délais.

Enfin les semaines qui viennent devraient voir aussi la publication des décrets et de l’instruction fiscale concernant le crédit d’impôt pour les films étrangers. Je l’avais annoncé à Cannes l’an dernier ; nous l’avons fait avec un appui unanime des parlementaires. Dès que la Commission européenne nous aura donné son feu vert (il est attendu pour ces prochaines semaines). Je dois dire que cette mesure avant même d’être concrètement mise en œuvre, suscite un véritable engouement : d’ores et déjà les projets de tournages en France de films étrangers suite à l’annonce de cette mesure sont annoncés.

Woody Allen a été le premier à me dire qu’il tournerait en France en 2010; d’autres suivent. Ce sera un appui important pour nos industries techniques et pour l’emploi.

Mesdames et Messieurs, nous avons encore fort à faire ensemble, comme vous le voyez. Le gage de la réussite de tous ces chantiers, c’est évidemment votre collaboration active et votre unité autour des objectifs qu’ils poursuivent. Le mien sera toujours de donner au cinéma français les moyens qui lui sont nécessaires pour viser l’excellence et demeurer à la fois différent, divers et innovant, de continuer à nous étonner et à nous surprendre.

Merci à tous