Discours et communiqués de presse


Discours de Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l’occasion de la deuxième lecture, du projet de loi relatif aux archives au Sénat

jeudi 15 mai 2008

Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Monsieur le rapporteur,

Le projet de loi sur les archives que j’ai présenté en première lecture au Sénat en janvier et devant l’Assemblée Nationale il y a quinze jours, vise à adapter la gestion des archives de la Nation aux exigences de notre temps.

Le débat qui s’est développé ces dernières semaines apparaît significatif de la diversité des enjeux que représentent les archives pour la mémoire nationale, la recherche scientifique mais également la protection desintérêts légitimes des citoyens et notamment de leur vie privée. L’attention portée par les médias à ce texte, la pétition lancée par des chercheurs mobilisés contre ce qui leur a été présenté, à tort, comme une menace sur l’accès aux archives traduisent l’extrême sensibilité de ce sujet.

Je suis certaine que le texte qui vous est soumis aujourd’hui rassurera pleinement nos concitoyens comme les milieux de la recherche. Les deux projets de loi n’ont en effet qu’une seule ambition : faciliter et accélérer l’accès de tous aux archives publiques.

Vous le savez, les délais actuels de communicabilité des archives ont été fixés il y a près de trente ans par la loi du 3 janvier 1979. Ses dispositions ont représenté, à l’époque, une avancée notable, mais plusieurs d’entre elles paraissent aujourd’hui inadaptées aux besoins des archivistes, des chercheurs, des généalogistes, comme du grand public.

Les deux projets de loi – organique, pour les archives du Conseil constitutionnel, et ordinaire – soumis aujourd’hui à votre examen poursuivent un triple objectif. Ouvrir davantage leurs archives à nos concitoyens, tout d’abord. Mieux protéger, ensuite, les archives publiques et privées. Et enfin, renforcer les sanctions qui punissent les atteintes aux archives et, plus généralement, à tous les biens culturels.

I. Une volonté d’ouverture des archives :
Vous le savez, le projet de loi dit « ordinaire » répond à un souci de plus grande transparence mais aussi d’articulation avec la loi du 17 juillet 1978 sur l’accès aux documents administratifs dite loi CADA. Il établit le principe de la libre communicabilité des archives publiques.

ll supprime ainsi le délai minimum de communication qui, dans la loi de 1979, avait été fixé à trente ans. Désormais, chaque Français pourra consulter librement et immédiatement les archives publiques.

Cette libre communicabilité constitue une avancée considérable dont le débat public n’a sans doute pas mesuré suffisamment l’importance et l’étendue. Cette disposition renoue en effet avec les principes affirmés à la Révolution, établissant la possibilité pour chaque citoyen d’avoir accès gratuitement et librement aux documents produits par l’administration et de contrôler par là même l’action de cette dernière. Une disposition novatrice à l’époque et qui a ensuite influencé la législation archivistique de nombreux pays. Il aura fallu plus de deux siècle pour que soit rétabli ce principe fondamental, gage d’une réelle démocratie.

Par ailleurs, le projet de loi réduit les délais de communication des documents qui mettent en cause les secrets protégés par la loi.

Cette question a donné lieu à des échanges très constructifs entre le Gouvernement, le Sénat et l’Assemblée Nationale. J’en rappelle les quatre principaux points :

. en ce qui concerne les archives dont la communication est susceptible de porter atteinte à la vie privée de nos concitoyens, il vous est proposé de ramener le délai de soixante à cinquante ans.

. pour les archives dont la communication, aux termes du projet de loi, est susceptible de mettre en cause la « sécurité des personnes », le texte adopté par l’Assemblée nationale prévoit la communicabilité au bout de 100 ans. En outre, le champ d’application de ce délai exceptionnel est très précisément délimité, puisque les documents en question doivent être couverts par le secret de la défense nationale et se rapporter à des personnes identifiables.

Le projet du Gouvernement, pour sa part, envisageait leur incommunicabilité perpétuelle. Il visait alors un objectif précis : protéger la sécurité physique des agents des services spéciaux et de leurs descendants. Mais les termes employés, à savoir « la sécurité des personnes », pouvaient en effet donner lieu à une interprétation trop large. Par ailleurs, le principe même d’une incommunicabilité de certaines archives ne peut être envisagé que de la façon la plus restrictive, lorsqu’elle se révèle absolument nécessaire.

De ce double point de vue, la solution proposée par l’Assemblée Nationale – un délai de 100 ans et une définition plus explicite des archives concernées – se révèle plus équilibrée que le projet du Gouvernement, qui s’y rallie donc pleinement.

J’ai le sentiment que cette disposition est de nature à rassurer les historiens, qui avaient manifesté leur inquiétude sur ce sujet.

Ne seront donc incommunicables, si vous adoptez l’article 11 du projet dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale, que les seules archives dont la divulgation pourrait permettre de concevoir, de fabriquer, d’utiliser ou de localiser des armes de destruction massive – nucléaires, biologiques, chimiques ou bactériologiques.

. En troisième lieu, vous aviez, en première lecture, fixé à 75 ans le délai applicable aux enquêtes statistiques qui ont trait aux faits et comportements d’ordre privé, et à 100 ans le délai applicable au recensement de la population.

Je rappelle que le délai actuellement en vigueur est uniformément de 100 ans pour toutes les statistiques qui se rapportent aux comportements privés – recensements compris –, sans dérogation possible. Le Gouvernement envisageait, pour sa part, de ramener ce délai à 50 ans. L’Assemblée Nationale a dégagé une solution de compromis, avec un délai unique de 75 ans applicable aussi bien aux recensements qu’aux autres enquêtes statistiques sur les comportements privés. Le gouvernement s’y rallie et vous propose de l’approuver à votre tour. En ce qui concerne les statistiques en général, c’est le délai le plus court prévu par le projet de loi, c’est-à-dire 25 ans, qui sera applicable.

Vous avez également fixé à 75 ans le délai prévu pour les dossiers judiciaires, les enquêtes de police judiciaire et les minutes et répertoires des notaires. Ces documents sont soumis, dans le droit en vigueur, à un délai de 100 ans que le Gouvernement projetait de réduire de moitié. Là encore, le gouvernement estime que la solution que vous avez retenue, également approuvée par l’Assemblée nationale, constitue un compromis raisonnable entre les exigences de la protection de la vie privée, d’une part, et celles de la transparence et de la recherche historique, d’autre part.

. En quatrième et dernier lieu, reste la question des registres d’état civil, uniformément protégés aujourd’hui par un délai de 100 ans.

Le Gouvernement proposait de substituer à cette approche unitaire une graduation, en fixant pour les différents actes des délais distincts proportionnés à l’atteinte susceptible d’être portée à la vie privée : 100 ans pour les actes de naissance, 50 ans pour les mariages et une communication immédiate pour les décès.

Vous avez mis en avant des considérations de simplification du droit pour réunifier ces trois délais, à hauteur de 75 ans. L’Assemblée Nationale ne s’est séparée de cette approche que pour les actes de décès qu’elle propose – comme dans le projet du Gouvernement – de rendre immédiatement communicables.

Là encore, le Gouvernement se rallie à cette approche équilibrée et vous propose d’approuver ces dispositions dans des termes identiques à ceux de l’Assemblée nationale.

Il n’est pas inutile de préciser que le délai de 75 ans prévu pour la communication des registres n’entraîne aucune conséquence s’agissant du versement de ces registres aux services d’archives. Ceux-ci resteront détenus par les services de l’état civil dans les mêmes conditions que précédemment.

II Mieux protéger les archives publiques

Sur la question de la protection des archives, le texte comprend, comme vous savez, deux séries principales de dispositions. La première concerne les archives des hommes politiques, dont le caractère public est réaffirmé. La seconde, l’externalisation des archives courantes et intermédiaires.

Je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions, qui ont été adoptées par l’Assemblée Nationale, pour l’essentiel dans des termes conformes à ceux que vous aviez vous-même approuvés.

Je me bornerai à insister sur le fait que les dispositions sur l’externalisation ne visent en aucun cas à abandonner la gestion des archives courantes et intermédiaires de l’administration ou à envisager une quelconque privatisation. Il s’agit bien au contraire d’encadrer de façon précise et avec toutes les garanties souhaitables une pratique aujourd’hui largement répandue et d’ailleurs indispensable. J’ajoute que le projet de loi n’envisage pour la conservation des archives définitives d’autre destination que celle des services publics d’archives.

Je salue également l’initiative prise par le Parlement de fixer pour la première fois des règles destinées à assurer la bonne conservation des archives des groupements de collectivités territoriales, et notamment des établissements publics de coopération intercommunale dont le nombre a augmenté de manière très sensible au cours des dernières années.

Je ne reviendrai pas non plus en détail sur le renforcement des sanctions pénales. L’Assemblée Nationale a adopté, dans les mêmes termes que votre Haute Assemblée, le projet du Gouvernement de réprimer plus sévèrement le vol, le trafic, la destruction et la dégradation des archives, et plus généralement des biens culturels.

Conclusion

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, notre réseau d’archives est considéré comme l’un des plus importants et des plus riches au monde. Recueillir, conserver, protéger et mieux diffuser ces documents répond à un enjeu de libertés publiques et de démocratie. Ce patrimoine doit vivre, nourrir les recherches sur notre passé, y compris le plus proche. Je dirais même avant tout le plus proche, puisque ce passé, nous le savons, projette encore son ombre sur notre présent. Ouvrir les archives, dans des délais suffisamment brefs, aux historiens, c’est apporter des solutions aux crises de mémoire. C’est favoriser la connaissance de leur histoire par les nouvelles générations.

Je crois que notre pays en a besoin pour éviter les incompréhensions voire les falsifications, pour apaiser les querelles qui naissent des zones d’ombres de notre mémoire collective, bref, tout simplement pour avancer, pour tourner ses regards vers l’avenir.

Les projets de loi sur les archives tels qu’ils vous sont soumis aujourd’hui respectent un équilibre harmonieux entre, d’une part, les attentes légitimes des chercheurs et du grand public, et d’autre part, la nécessaire protection des intérêts relatifs à la vie privée des personnes et à la sûreté de l’Etat. Ils représentent un réel progrès de transparence et de libertés publiques.