Discours et communiqués de presse

 

 

Discours de Christine Albanel prononcé à l’occasion de l’examen à
l’Assemblée nationale du projet de loi Création et Internet


mercredi 11 mars 2009

Monsieur le Président,
Madame et messieurs les rapporteurs,
Mesdames et messieurs les Députés,

Le projet de loi que j’ai l’honneur de vous soumettre est à la fois ambitieux et réaliste.

Un projet ambitieux, car il vise à ce que la France saisisse la chance inédite que représente Internet pour la Culture : pour sa démocratisation, d’abord, mais aussi pour tirer parti du potentiel de développement économique qu’elle recèle.

Mais un projet réaliste, aussi – et c’est un terme auquel je ne cesserai de revenir au cours de ce débat. Car le projet de loi Création et Internet ne prétend pas, bien entendu, éradiquer complètement ce phénomène de masse que constitue le piratage des œuvres culturelles sur Internet. Sa vocation est plutôt de contribuer à une prise de conscience, à l’installation d’un état d’esprit nouveau, chez les internautes, à l’égard de la diversité culturelle et des conditions économiques et juridiques indispensables à sa préservation.

Aujourd’hui, plus d’un Français sur deux dispose d’un accès à Internet haut débit. Et nos fournisseurs d'accès offrent ce débit sans limitation à leurs abonnés, ce qui n’est pas le cas dans les autres pays. Les conditions techniques sont donc réunies dans notre pays pour que chacun accède librement, facilement et rapidement à un catalogue presque illimité de films, de titres de musique, bientôt d’œuvres littéraires, mais aussi d’expositions virtuelles, de captations de pièces de théâtre, d’opéras.

Il est de notre responsabilité de faire en sorte que cette nouvelle offre se développe dans toute sa richesse et sa diversité, au bénéfice de l’ensemble de nos concitoyens : consommateurs, créateurs, entreprises de toutes les filières des industries culturelles et des réseaux de communication.

Depuis les échanges qui avaient animé votre Assemblée à l’occasion de l’examen de la loi dite « DADVSI », la question de l’offre légale sur Internet a été entièrement renouvelée.

Des progrès remarquables ont en effet été accomplis. Nous ne pouvons plus justifier ou excuser le piratage en disant que les œuvres ne sont pas disponibles, que les industries culturelles n’ont pas réussi à s’adapter pour proposer des offres légales en ligne.

Les industries culturelles ont réussi leur révolution numérique. Près de 4 000 films et 4 millions de morceaux de musique sont aujourd’hui disponibles, en téléchargement ou, de plus en plus, en simple consultation – ce qu’on appelle le streaming.

Cette offre est de moins en moins chère, y compris pour le cinéma, avec des films à moins de cinq euros, ou encore des forfaits qui permettent de voir plusieurs dizaines de films pour moins de 10 euros par mois. Certaines de ces offres sont gratuites, financées par la publicité. D’autres sont payantes mais forfaitaires et permettent de télécharger de façon permanente, pour quelques euros par mois, au sein de catalogues de plusieurs centaines de milliers ou de millions de titres de musique.

Les modèles économiques innovants foisonnent, pour le plus grand profit du consommateur et des artistes : je pense à des success story comme celles de Deezer.com – qui propose plusieurs millions de titres

gratuitement en streaming – ou de MyMajorCompany, qui permet aux internautes de financer directement la production de jeunes artistes.

Jamais, dans l’histoire, aucun magasin spécialisé, fût-ce le meilleur des disquaires, n’a offert à ses clients un éventail comparable d’œuvres culturelles, pour un coût aussi réduit.

Le dernier épisode de cette mutation de l’offre légale concerne les verrous anti-copie, les fameux « DRM », qui empêchent de consulter un titre musical acheté sur plusieurs lecteurs : l’ordinateur, le baladeur, l’autoradio, etc.

Les accords de l’Elysée prévoyaient que ces verrous disparaissent un an après la mise en œuvre du présent projet de loi – le temps que la lutte contre le piratage produise ses effets. Mais, à l’issue d’un dialogue particulièrement constructif avec les pouvoirs publics, concomitant avec l’examen du projet de loi au Sénat, toutes les maisons de disques et les plateformes françaises ont décidé de supprimer les DRM sans attendre. Ce sera chose faite avant la fin du mois de mars.

C’est un geste très significatif pour les consommateurs, qui doit être salué comme il le mérite. Il démontre la prise de conscience, de la part des industries de la musique, du lien entre offre légale et piratage : tant que l’offre légale ne sera pas suffisamment diversifiée et attractive, le piratage continuera.

Mais il faut faire comprendre aux consommateurs que la réciproque est vraie : tant que le piratage continuera, l’offre légale n’aura pas les moyens de se développer et de s’installer.

Car la gratuité pour le consommateur, qui est le propre de certains modèles que j’ai cités, a toujours un coût pour quelqu’un : par exemple, pour les annonceurs publicitaires. Il faut bien que quelqu’un rémunère les créateurs.

Pendant des années, nous nous sommes demandés si le piratage de masse représentait une réelle menace pour le renouvellement de la création et pour tous les métiers des industries culturelles. Nous ne sommes plus au stade de l’inquiétude, nous sommes à celui du constat. Et il est accablant : c’est à un véritable désastre, économique et culturel, que nous sommes en train d’assister.

Le marché de la musique enregistrée est le plus atteint, avec une baisse de 50% en valeur au cours des cinq dernières années. Cela a bien évidemment un fort impact sur l’emploi (30% des effectifs des maisons de production) et sur la création : de nombreux contrats d’artistes ont dû être résiliés et le nombre de nouveaux artistes « signés » chaque année a diminué de 40%. Les première victimes sont bien sûr les indépendants, les PME de moins de 20 salariés, qui proposent aujourd’hui 80% des références musicales.

A ce rythme, ne resteront plus que les majors du disque, qui eux-mêmes se transformeront, en France, en simples relais de distribution des charts américains, dont les coûts de production auront été amortis avant d’arriver sur notre marché.

Le cinéma s’engage sur la même pente, avec aujourd’hui autant de téléchargements illégaux – 450 000 par jour – que d’entrées en salles.

Ainsi, le marché de la vidéo a perdu un quart de sa valeur alors même que le prix des nouveautés diminuait d’un tiers.

Pour ce qui concerne la fréquentation des salles : le succès historique rencontré l’année dernière par un film français aurait dû se traduire dans le nombre de billets vendus, ce qui n’a pas été le cas.

En outre, les producteurs de films, en particulier les PME de la production indépendante dont l’économie repose en grande partie sur le crédit, voient se renchérir le coût des prêts bancaires. L’importance du piratage rend en effet les actifs que constituent les films de plus en plus risqués pour les établissements financiers.

Quant au livre ce secteur est sur le point, à son tour, d’entrer dans l’ère numérique. Et il est de notre devoir de prendre préventivement toutes les mesures nécessaires pour éviter que cette filière pâtisse des effets ravageurs du piratage.

La situation des créateurs et des PME culturelles françaises ne serait pas si alarmante si l’effondrement du CD et du DVD était compensé par l’essor des ventes dématérialisées. Car l’enjeu aujourd’hui n’est bien sûr pas de «  sauver » le support physique. Nous savons bien que sa place ne sera plus jamais la même. Il s’agit de permettre aux nouveaux modèles économiques de se multiplier et de devenir profitables pour tous.

Or, à l’heure qu’il est, ce naufrage n’est rééquilibré par les ventes numériques dans aucun secteur. Alors que dans la plupart des grands pays aux habitudes de consommation comparables aux nôtres, ces ventes décollent – elles représentent en effet 20% du marché en moyenne, plus de 25% aux États-Unis – le taux avoisine péniblement 10% dans notre pays.

Après un Oscar, une Palme d’or, un Pritzker Price et un Prix Nobel de littérature en 2008, la France, lanterne rouge des ventes numériques, aurait pu se passer d’une autre médaille : celle du piratage.

On en voit les effets en comparant notre situation à celle de l’Allemagne où les ayants droit ont lancé une lutte sur une grande échelle devant les tribunaux. En 2002, le volume du marché français de la musique était identique à celui d’Outre-Rhin. Aujourd’hui, il n’en représente plus que 70% !

La France qui est si fière de son « exception culturelle », qui pousse de hauts cris – à juste titre – lorsqu’un journal américain fait sa Une avec la mort de la culture française, est en train de sacrifier ce qu’elle a mis des siècles à bâtir, en inventant le droit d’auteur, en construisant un réseau de salles de spectacles et de cinémas parmi les plus denses et diversifiés du monde.

Au nom de quoi ? D’une culture enfin gratuite, enfin « libérée » de ses chaînes, de son système économique ? Mais qui peut encore croire aujourd’hui que ceux qui organisent le piratage à grande échelle le font par amour de l’art ?

Le piratage, c’est aussi une « économie ».

Une économie parasite, qui monnaie l’audience des sites pirates à des annonceurs peu regardants.

Cette situation est d’autant plus inacceptable que la culture occupe, dans notre PIB et dans l’emploi salarié, une part qui est presque sans équivalent dans le monde : près de 2,5% de la richesse nationale et près de 500 000 emplois, dont plus la moitié dans les industries culturelles – audiovisuel, cinéma, disque, livre et médias.

Il y a donc urgence à endiguer un phénomène qui laissera bientôt exsangues l’économie de la culture aussi bien que la diversité culturelle. Urgence pour cela à responsabiliser l’internaute et à extraire le pirate de la sphère d’irréalité, de la bulle d’apesanteur, dans laquelle il évolue aujourd’hui.

Le déni de la réalité auquel se livre, volontairement ou non, le pirate, est double.

Il consiste d’abord à méconnaître les conséquences de son comportement pour les autres – pour les créateurs et les entreprises des industries culturelles.

Il consiste également à méconnaître ou feindre d’ignorer les conséquences du piratage pour sa propre personne.

Je rappelle que la loi pose d’ores et déjà le principe de la responsabilité de l’abonné à Internet : ce dernier est tenu par l’article L. 335-12 du code de la propriété intellectuelle de veiller à ce que son accès au réseau ne fasse pas l’objet d’une utilisation qui méconnaisse les droits de propriété littéraire et artistique.

Certes, le manquement à cette obligation n’est assorti d’aucune conséquence pratique. Il n’en demeure pas moins qu’elle figure dans les dispositions pénales du code, et qu’il n’est pas exclu qu’elle puisse servir de fondement à une action répressive, voire à une demande de réparation sous forme de dommages et intérêts.

Surtout, l’internaute qui pirate en mettant à disposition ou en téléchargeant des œuvres protégées se rend coupable du délit de contrefaçon. A ce titre, il tombe sous le coup de sanctions pouvant aller jusqu’à 3 ans de prison et 300 000 euros d’amende, sans préjudice d’éventuels dommages et intérêts.

Un internaute qui pirate peut donc se trouver traduit devant le tribunal correctionnel, avec tous les désagréments que cela comporte pour la vie privée : visite au domicile, saisie du matériel informatique, publicité de la procédure… Et cela, sans aucun avertissement préalable, qui lui permettrait par exemple de prendre conscience du caractère répréhensible de ses actes, ou de réaliser que son accès Internet est frauduleusement utilisé à son insu par un tiers.

Parce que ces sanctions et surtout la procédure judiciaire paraissent traumatisantes et disproportionnées dans le cas du piratage dit « ordinaire », les ayants droit n’y recourent que rarement – quelques centaines d’actions ces dernières années – et avec le moins de publicité possible.

Combien de temps s’offriront-ils encore le luxe d’hésiter, s’ils devaient constater que les pouvoirs publics renoncent à mettre en place une solution alternative, à la fois mieux proportionnée à l’enjeu et plus efficace car praticable sur une grande échelle ? Nul doute que les procédures pénales se multiplieraient. C’est ce qui se passe actuellement en Allemagne, où les tribunaux pénaux sont saisis de plusieurs dizaines de milliers d’actions.

Je veux mentionner, enfin, les dangers du piratage qui concernent plus particulièrement les jeunes ou très jeunes internautes.

En effet, s’ils manient l’outil numérique avec une virtuosité souvent supérieure à celle de leurs parents, ils n’en demeurent pas moins particulièrement vulnérables face à un Internet affranchi de toute régulation. Or, on constate sur les réseaux de pair-à-pair une offre illégale massive de films pornographiques ou violents qui se cachent sous le titres de films grand public. Je ne prendrai qu’un exemple : le réseau E-donkey, particulièrement fréquenté. Combien de parents dont les enfants naviguent sur ce réseau savent que derrière 60% des fichiers d’« Astérix aux Jeux olympiques » et du « Renard et l’enfant », ou encore derrière 45% des fichiers de « Bienvenus chez les Ch’tis », se cachent des films pornographiques ?

L’existence d’une offre pirate porte donc une atteinte grave, pour laquelle il n’existe pas de parade technique, à la protection des mineurs, que seule l’offre légale est susceptible de garantir.

Il y a donc urgence à sortir de cette situation, aussi dangereuse pour les internautes que dramatique pour les créateurs et les industries culturelles françaises :

La méthode suivie par le Gouvernement repose sur la conviction que, pour être efficaces, les solutions mises en œuvre doivent faire l’objet d’un très large consensus préalable entre acteurs de la Culture et de l’Internet. C’est le sens de la mission que j’avais confiée à Denis Olivennes en septembre 2007.

Le résultat, c’est l’accord historique signé au Palais de l’Élysée, le 23 novembre 2007, par 42 (désormais par 47) organisations représentatives ou entreprises de la Culture et de l’Internet, au nombre desquelles tous les fournisseurs d'accès. Les parties se sont rassemblées autour d’un plan en deux axes :

Rendre l’offre légale plus attractive :

D’abord, les maisons de production de disques se sont engagées à retirer les mesures techniques de protection « bloquantes » des œuvres françaises. Je ne reviendrai pas sur la mise en œuvre anticipée de cet engagement, déjà évoquée.

Ensuite, le délai d’accès aux films par les services de “ vidéo à la demande ” (VOD) devait être ramené, dès l’application de la présente loi, au même niveau que celui du DVD, c'est-à-dire à 6 mois après la sortie du film en salle. Puis, des discussions interprofessionnelles devaient aboutir, un an après la loi, à un raccourcissement conséquent de toutes les « fenêtres ».

Je souhaite que ces engagements soient mis en œuvre le plus tôt possible, sans pour autant menacer les salles, qui créent de la valeur pour toutes les étapes suivantes de l’exploitation d’un film.

Je salue donc les amendements adoptés par le Sénat. Ils donnent aux engagements de la filière cinéma un cadre juridique plus précis et une vraie visibilité pour les consommateurs. Je salue également, sur ce point tout particulièrement, le travail remarquable de votre rapporteur dans la définition d’un compromis délicat entre autonomie des acteurs et gain rapide pour le consommateur.

En effet, il est fondamental que les internautes perçoivent le plus rapidement possible la contrepartie tangible de l’approche plus responsable d’Internet, approche que le Président de la République a résumé d’une formule dans laquelle chacun peut se reconnaître : « un Internet civilisé ».

Le second volet des accords de l’Elysée porte sur la lutte contre le piratage de masse : celle-ci doit changer entièrement de logique. La nouvelle approche que vous propose le Gouvernement dans le présent projet de loi est, d’une part, préventive et graduée, puisqu’aucune sanction ne pourra intervenir au premier acte de piratage. Elle vise, d’autre part, à décriminaliser le piratage, puisqu’une éventuelle sanction ne passera plus nécessairement par le juge – tout en demeurant, bien entendu, placée sous son plein contrôle.

Quel est le dispositif de ce second volet du projet de loi, qui a fait couler beaucoup d’encre ?

La base juridique sur laquelle il repose existe déjà, je l’ai mentionnée : il s’agit de l’obligation de surveillance de l’accès Internet, mise à la charge de l’abonné. Le projet du Gouvernement vise en fait à préciser le contenu de cette obligation, et à mettre en place un mécanisme de réponse dite « graduée » en cas de manquement de la part de l’abonné.

Je m’attarde un instant sur cette question. C’est bien de la responsabilité de l’abonné dont il s’agit, et non de celle du pirate, qui peut être notamment un autre membre du foyer familial.

Ainsi les parents, titulaires de l’abonnement, pourront recevoir un avertissement pour des actes commis par leurs enfants.

Un tel dispositif connaît de nombreux précédents dans notre droit. C’est par exemple le cas en matière d’infractions routières : le titulaire du certificat d’immatriculation est redevable de l'amende, même s’il n’est pas lui-même l’auteur d’un excès de vitesse, dans la mesure où il commet au moins un « défaut de surveillance » de son véhicule ou de l’usage qui en est fait.

Je crois, ensuite, qu’il est à la fois naturel et efficace qu’il incombe aux parents de relayer cette pédagogie au sein du foyer familial.

La « réponse graduée » prendra une forme qui, dans un premier temps, sera purement préventive puis, dans un second temps, transactionnelle et, enfin, pourra éventuellement déboucher sur une sanction de nature administrative.

Celle-ci sera prononcée par une autorité administrative indépendante chargée de la gestion du mécanisme mais placée sous l’entier contrôle du juge judiciaire.

Notre droit offre plus d’une quinzaine d’exemples d’une telle articulation entre une autorité indépendante chargée de prendre des sanctions administratives, et le juge chargé d’en contrôler la légalité. Je ne citerai que les plus connus : l’Autorité de la concurrence, l’AMF, l’ARCEP, la Commission bancaire, le CSA, la Commission de régulation de l'énergie, ou encore la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

A tous les étapes du processus, l’abonné pourra faire valoir ses observations. Le Sénat et votre rapporteur se sont, notamment, attachés à améliorer la portée de cette garantie, en la conciliant avec l’indispensable fluidité de la procédure. Au stade ultime, celui d’une possible sanction, l’abonné bénéficiera d’une procédure contradictoire avant toute décision. Enfin, il pourra former devant le juge un recours en annulation et en réformation, ainsi qu’une demande de sursis à exécution.

Que se passera-t-il pour l’abonné, très concrètement, en cas de piratage d’une œuvre à partir de son accès à Internet ?

La première phase, celle de la constatation des faits, ne connaîtra aucun changement par rapport à la situation actuelle. Le soupçon de « surveillance généralisée des réseaux », évoqué par certains groupuscules libertaires qui ne représentent personne au-delà des quelques militants qui les composent est, au mieux risible, au pire malhonnête.

Aujourd’hui en effet, il appartient aux ayants droit de repérer les actes de piratage sur Internet – par l’intermédiaire des agents assermentés des sociétés de perception et de répartition de droits (SPRD) et de leurs organisations professionnelles.

Pour ce faire, ces structures utilisent des traitements automatisés qui collectent les « adresses IP », sortes de « plaques d’immatriculation », permanentes ou provisoires, des ordinateurs.

Ces traitements automatisés, je tiens à le souligner, font l’objet d’une autorisation délivrée par la CNIL, dans un cadre juridique qui a été détaillé très précisément par une décision SACEM du Conseil d’Etat, intervenue au printemps 2007.

Sur la base des constats dressés par les agents assermentés, les ayants droit saisissent le juge.

Celui-ci adresse alors une injonction au fournisseur d'accès Internet, afin que celui-ci établisse la correspondance entre, d’une part, les coordonnées de l’ordinateur dont il a été saisi et, d’autre part, le nom de l’abonné présumé auteur de la contrefaçon. Puis se déroule la procédure judiciaire.

Si le projet de loi est adopté, les ayants droit se verront offrir une alternative :

L’objectif du Gouvernement est que l’efficacité du mécanisme pédagogique et gradué géré par l’autorité administrative, dissuade les ayants droit de recourir à la voie pénale.

Je tiens à souligner ce point : la voie administrative n’entraîne pas la disparition de la voie pénale, mais vient la compléter.

Il n’est en effet pas envisageable de priver les ayants droit d’un possible recours au juge. Certains actes de piratage, par leur ampleur, les moyens employés, ou encore le but poursuivi, ne peuvent recevoir de réponse adéquate que sous la forme d’une sanction pénale ou de dommages et intérêts.

Il appartiendra donc aux ayants droit de choisir la modalité la plus adaptée. Et il reviendra au parquet, en tout état de cause, de classer les poursuites engagées pour un trouble qui aurait déjà reçu, dans le cadre de la procédure administrative créée par le projet de loi, une réparation suffisante.

La procédure administrative, à la fois rapide et peu coûteuse, s’imposera naturellement dans les cas de piratage « ordinaire » qui constituent l’immense majorité des cas.

Quel sera le rôle de l’autorité administrative qui traitera les constats dressés par les agents assermentés ?

Cette autorité indépendante sera l’Autorité de régulation des mesures techniques (ARMT), créée à l’initiative du Parlement en 2006 afin de veiller à l’interopérabilité des verrous numériques et au respect de l’exception pour copie privée. Elle est actuellement présidée par Jean MUSITELLI, conseiller d’État, ancien ambassadeur auprès de l’UNESCO et ancien porte-parole du Président François MITTERRAND.

Pour mieux refléter l’étendue de ses nouvelles compétences, elle sera rebaptisée Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet.

La Haute Autorité ne pourra agir qu’à partir des constats dressés par les représentants des ayants droit, dans le cadre des autorisations délivrées par la CNIL. Elle ne disposera donc d’aucune faculté d’auto-saisine ni d’aucune compétence de surveillance des réseaux de communication électronique.

La Haute Autorité enverra aux pirates des messages d’avertissement – dénommés recommandations. Ces messages ne font pas grief et s’analysent comme de simples rappels à la loi.

Le formalisme des messages sera également gradué. En effet, après le courrier électronique, la Haute Autorité fera usage de la lettre remise contre signature, de façon à s’assurer que l’abonné a bien pris connaissance du comportement reproché.

Ce point est important : les parents seront ainsi nécessairement avertis des actes de piratage commis à leur insu par leurs enfants, ou les entreprises des agissements de leurs collaborateurs indélicats.

Aucune sanction ne pourra être prise par la Haute Autorité sans envoi préalable d’un avertissement sous cette forme.

Une phase préventive personnalisée précédera donc d’éventuelles sanctions – ce que le droit ne permet pas jusqu’à présent : aujourd’hui, la condamnation pénale peut intervenir à la première infraction, et l’abonné qui par exemple est victime de l’utilisation frauduleuse de son accès par un tiers ne reçoit aucun avertissement, aucun signal d’alerte. Ce projet de loi offre donc une double sécurité supplémentaire à l’abonné.

Or, la visée pédagogique et préventive de ce mécanisme est essentielle. Elle constitue le cœur du projet du Gouvernement. Des études réalisées en Grande-Bretagne et en France au printemps 2008 montrent que 70% des internautes cesseraient de pirater dès le premier avertissement et 90% dès le second.

De telles mesures d’avertissement ont par exemple été mises en œuvre aux États-Unis par les fournisseurs d'accès à Internet câblés et par les universités à l’égard de leurs étudiants, avec un succès notable puisque le piratage a diminué de 90% chez les internautes concernés.

La Haute Autorité pourra ensuite, en cas de manquement répété de l’abonné, prendre à son encontre une sanction administrative qui consistera en une suspension de l’accès Internet.

La suspension de l’abonnement sera assortie de l’impossibilité de souscrire pendant la même période un autre contrat auprès de tout opérateur, de façon à éviter la « migration » des abonnés d’un fournisseur à un autre. Il est en effet fondamental d’éviter que les prestataires qui joueront le jeu soient pénalisés au bénéfice de ceux qui auraient une pratique plus laxiste.

La suspension de l’abonnement est, en principe, d’une durée d’un mois à un an. Mais la Haute Autorité pourra proposer à l’abonné une transaction : en s’engageant à ne plus pirater, il pourra ramener la durée de la suspension entre un et trois mois.

Nous sommes évidemment conscients des difficultés que pourrait poser ce dispositif aux entreprises ou à d’autres collectivités qui permettent à leurs salariés ou au public d’accéder à Internet. Le projet de loi prévoit donc des mesures alternatives à la suspension de l’accès. Un dialogue s’installera avec ces abonnés d’un genre particulier pour installer des dispositifs préventifs, par exemple de type « pare-feux ».

De telles techniques sont, d’ores et déjà, largement mises en place dans les entreprises ou les collectivités publiques.

L’injonction de prendre de telles mesures pourrait également être utilisée par la Haute Autorité, dans les rares cas où il pourrait s’avérer temporairement impossible ou particulièrement complexe et coûteux de suspendre l’accès à Internet sans suspendre également les services de téléphonie et de télévision.

Afin de garantir le respect des mesures de suspension, les fournisseurs d'accès Internet seront tenus de vérifier, à l’occasion de la conclusion de tout nouveau contrat, que leur cocontractant ne figure pas sur le répertoire des personnes dont l’abonnement a été suspendu.

La Haute Autorité pourra décider de prendre des sanctions pécuniaires d’un montant maximal de 5 000 euros à l’encontre des fournisseurs d'accès qui s’abstiendraient de procéder à ces vérifications, ou qui ne mettraient pas en œuvre les mesures de suspension qu’elle décide. Là encore, il est fondamental d’éviter que les prestataires qui joueront le jeu soient pénalisés.

Bien entendu toutes les sanctions – suspension de l’abonnement Internet, mesures alternatives à cette suspension, sanctions pécuniaires – ne seront prises qu’à l’issue d’une procédure contradictoire, et sont susceptibles de recours devant le juge judiciaire, pour en obtenir l’annulation ou la réformation ou encore le sursis à exécution.

Enfin, le texte précise les conditions, classiques, dans lesquelles le titulaire de l’accès à Internet pourra s’exonérer de sa responsabilité : force majeure, ou détournement frauduleux de son accès par un tiers. Il encourage également les abonnés à prendre des mesures de sécurisation de leur poste, sur le modèle de ce qui existe déjà en matière de « contrôle parental ». En effet, la mise en œuvre d’un tel dispositif figurant sur une liste de moyens efficaces dressée par la Haute Autorité, vaudra exonération de responsabilité.

Telle est donc l’économie générale du mécanisme pédagogique et gradué envisagé par les accords de l’Elysée, qu’il vous est proposé de traduire dans la loi.

Un débat assez vif s’est engagé devant les médias et l’opinion publique sur ce projet. Il y a des arguments légitimes, qu’il faut entendre, et d’autres parfaitement caricaturaux.

Cette solution a été choisie pour manifester très clairement la volonté du gouvernement de décriminaliser le piratage ordinaire, et donc d’instaurer une procédure totalement différente de celle qui est suivie devant le juge correctionnel.

Une sanction de nature pécuniaire, également prononcée par le juge, aurait brouillé ce message.

Ensuite, le rapport direct entre le comportement en cause et la nature de la sanction devrait renforcer encore son efficacité pédagogique.

En outre, le caractère non pécuniaire de la sanction permet d’éviter de créer une inégalité entre les abonnés qui pourraient acquitter facilement leurs amendes et ceux qui se trouveraient dans une situation matérielle plus difficile.

Ma première remarque à cet égard sera très simple : la résiliation de l’abonnement Internet est déjà prévue – et qui s’en étonnerait ? – dans les contrats passés par les fournisseurs d’accès avec leurs abonnés, dans les cas où ces derniers ne s’acquittent pas de leurs factures ou bien se livrent à un usage inapproprié. Je n’entends personne invoquer les libertés fondamentales pour empêcher les fournisseurs d’accès de priver d’Internet les mauvais payeurs. Pourtant, pour mettre en œuvre cette résiliation, il n’est besoin ni du juge, ni de l’autorité administrative, mais simplement d’une mise en demeure adressée par le fournisseur lui-même ! Mais la suspension du même abonnement, prononcée dans le cadre d’une procédure contradictoire, par une autorité administrative indépendante, placée sous le contrôle du juge, pour sanctionner le préjudice porté aux industries culturelles, violerait gravement les droits de l’homme ! On croit rêver !

Il faut aussi rappeler une évidence : la disposition permanente, à domicile, d’un accès à Internet n’a jamais été qualifiée, par aucune Constitution ni aucune juridiction au monde, de liberté fondamentale. L’accès Internet, pour reprendre les termes du plan France Numérique 2012, est une « commodité essentielle », ce qui n’est pas la même chose !

A supposer d’ailleurs que l’accès à Internet soit désormais regardé comme une liberté fondamentale, aucun droit n’est jamais inconditionnel : il doit être concilié avec les autres libertés et ne saurait être invoqué pour les violer impunément.

La Cour de justice des communautés européennes a rappelé, tout récemment, la nécessité de concilier les droits des artistes et des industries culturelles avec la liberté de communication sur les réseaux numériques. Et la Cour de cassation a jugé que l’on ne peut invoquer la liberté de communication, la liberté d’expression ou encore celle du commerce et de l'industrie pour violer le droit de propriété et le droit moral des créateurs.

Il n’y a rien là de très original. « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » : nous le savons depuis l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.

L’environnement numérique n’abolit aucun des principes élémentaires qui gouvernent la vie en société et l’Etat de droit. Il n’existe pas de « monde virtuel », au sein duquel toutes contraintes collectives seraient abolies, où l’affirmation brutale de soi pourrait s’imposer impunément au détriment de l’autre. Il n’y a qu’un seul et unique « monde », régi par les mêmes règles, et Internet n’est pas une zone de non-droit.

Que ce choix fasse polémique est étonnant, tant les exemples – que j’ai déjà cités – d’une semblable articulation des rôles abondent dans notre droit, pour des sanctions autrement plus lourdes qu’en l’espèce.

En réalité, poser comme principe qu’aucune action efficace ne peut être entreprise en dehors du juge, est à la fois absurde, rétrograde et contradictoire. Cette thèse aboutit en effet à livrer l'internaute au juge pénal, dès le premier téléchargement illégal, sans aucune possibilité d’avertissement.

Surtout, cette conception archaïque et répressive de la lutte contre le piratage a pour résultat pratique – et peut être recherché – de la rendre impossible.

C’est un combat d’arrière-garde, livré au détriment des artistes et des industries culturelles. Il est d’autant plus condamnable qu’il a emprunté le détour, à Bruxelles, d’un débat ésotérique portant en réalité sur des directives relatives aux télécommunications. L’instrumentalisation et la déformation ont permis aux auteurs de l’amendement numéro 138 au « Paquet Télécom » d’entretenir une confusion préjudiciable au bon déroulement du débat démocratique que les Français attendent. Ce comportement avait été dénoncé en séance par le groupe socialiste au Sénat, qui ne s’y était pas trompé.

Ce débat démocratique, vous en êtes, mesdames et messieurs les députés, après les sénateurs, les seuls acteurs légitimes et les garants.

Quel paradoxe ! Comment peut-on croire, ou même soutenir, que l’envoi de messages pédagogiques à des internautes qui enfreignent la loi nous ferait basculer, pour citer l’un des groupuscules qui agitent la blogosphère, dans le « Chili de Pinochet » ?

Dans les pays, de plus en plus nombreux, qui pratiquent l’envoi de messages d’avertissement aux internautes – Etats-Unis, Norvège, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande, Irlande – cette politique se passe entièrement de l’intervention publique. Elle est purement contractuelle et résulte d’accords entre les fournisseurs d'accès à Internet et les ayants droit. L’internaute se retrouve donc directement confronté aux « parties adverses ».

La particularité de l’approche française, c’est justement d’interposer entre les protagonistes une autorité qui assure la prévention du piratage tout en protégeant la vie privée.

En effet la Haute Autorité sera seule à pouvoir se procurer sur l’abonné les données personnelles – nom et coordonnées – strictement nécessaires à l’envoi des messages d’avertissement. L’identité du pirate demeurera donc cachée aux ayants droit.

J’ajoute qu’au sein de la Haute Autorité, la commission qui traitera les dossiers présentera toutes les garanties d’impartialité et d’indépendance : elle sera exclusivement composée de magistrats et disposera d’agents publics dont l’absence de liens avec les intérêts économiques en cause aura été vérifiée par des enquêtes préalables.

Quant aux données nécessaires pour mettre en œuvre le mécanisme de prévention, ce sont celles qui sont d’ores et déjà collectées par les créateurs et les entreprises culturelles pour mener leurs actions judiciaires : aucune donnée nouvelle ne sera donc relevée pour mettre en œuvre le mécanisme de « réponse graduée ».

Ceux qui prétendent cela n’ont pas dû discuter avec beaucoup d’artistes ! Le projet de loi dont vous débattrez a reçu le soutien massif des créateurs et des entreprises du cinéma, de la musique et de l’Internet. Et tout particulièrement des PME de la culture, de ces entreprises indépendantes qui sont les premières victimes du piratage parce que ce sont elles qui prennent le plus de risques, en soutenant de jeunes talents.

Ces structures indépendantes, qui sont au cœur du dynamisme et de la diversité de notre scène artistique et de la scène européenne, ont apporté, aussi bien au niveau français qu’européen, un soutien massif et régulièrement renouvelé au projet de loi qui vous est présenté aujourd’hui. Il n’est pas possible de l’ignorer.

Cette loi n’est donc pas la « loi des majors », c’est la loi de tous les créateurs et des jeunes talents. C’est la loi de « l’exception culturelle » française. C’est la loi des centaines de milliers d’acteurs des filières concernées, du technicien à l’artiste, de l’auteur au producteur en passant par le réalisateur.

Et au-delà, Mesdames et Messieurs les députés, des enjeux de diversité culturelle et d’emploi, ce qui se joue à travers ce projet de loi, c’est la place que nous entendons réserver au travail au sein de notre société.

La voilà, la question ultime : les créateurs ont-ils, comme tous nos concitoyens, le droit de vivre de leur travail ? Ou doivent-ils être expropriés de ce droit, en contrepartie d’une indemnisation collective sous forme d’une chimérique « licence globale » - voire même, sans contrepartie du tout !

Lorsque les Comédiens du Français se mirent à oublier l’obligation qui leur était faite de verser aux auteurs un neuvième des recettes de leurs spectacles, Beaumarchais eut ce mot : « On dit aux foyers des spectacles qu’il n’est pas noble aux auteurs de plaider pour le vil intérêt, eux qui se piquent de prétendre à la gloire. On a raison : la gloire est attrayante; mais on oublie que, pour en jouir seulement une année, la nature nous condamne à dîner trois cent soixante-cinq fois ».

Car Beaumarchais – l’inventeur de la première société de gestion des droits d’auteur – avait bien compris que c’était par le droit de propriété et par le droit moral, qui protègent ses œuvres, que l’artiste pourrait enfin s’affranchir de sa condition de laquais ou de courtisan. Et c’est effectivement ainsi qu’il a acquis son indépendance économique et, par là-même, sa liberté de créer.

Souhaitons-nous abdiquer sur Internet les droits fondamentaux que nous défendons depuis des siècles ?

En deux mots : est-ce à la technologie de nous dicter ses règles, ou bien à nous de lui imposer celles que notre société a choisi de se donner ?

Ce projet de loi, s’il est réaliste à travers son approche concertée, pédagogique et concrète, est ambitieux parce qu’il reflète un choix de société. Ce choix, quel est-il ? C’est le choix d’une société qui ne sacrifie pas la protection qu’elle doit à ses artistes – comme à tous ses membres – sur l’autel d’une licence mal comprise ; une société fidèle aux combats qu’elle a portés pendant des siècles et qui ont fait d’elle un État de droit.

Ce projet est un projet moderne et ce sont ceux qui pensent qu’Internet doit perpétuellement demeurer un nouveau Wild West, affranchi de toute régulation, qui se trompent d’époque. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi ceux-là mêmes qui implorent les pouvoirs publics de réguler les domaines économiques et financiers se métamorphosent, sur la terre enchantée du numérique, en thuriféraires de l’ultralibéralisme le plus échevelé.

Le piratage, c’est une maladie infantile de l’Internet qui doit désormais passer à l’âge adulte, celui de la responsabilité.

L’agitation entretenue sur la Toile par quelques activistes qui, au-delà de leur capacité à fabriquer des vagues de courriels, ne représentent rien ni personne, ne reflète pas la perception de nos citoyens. Un sondage IPSOS réalisé au printemps 2008 démontrait que 74% de nos concitoyens approuvaient le mécanisme envisagé et que 90% des pirates étaient prêts à modifier leur comportement.

Le Sénat ne s’y est pas trompé. Tous les groupes politiques y ont voté ce projet de loi, à l’exception des sénateurs communistes qui se sont abstenus. Comment un projet rétrograde et liberticide aurait-il pu recueillir une telle unanimité ?

C’est à l’Assemblée nationale, désormais, de faire en sorte que les consommateurs, les créateurs et les centaines de milliers de salariés des industries culturelles puissent tirer parti des fabuleuses opportunités, culturelles aussi bien qu’économiques, d’un Internet « civilisé ».

Je vous remercie de votre attention.