Discours et communiqués de presse


Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres à Nadine Labaki

mercredi 9 juillet 2008

Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres à Nadine LabakiChère Nadine Labaki,

Claire Denis nous avait fait Chocolat, vous avez fait Caramel !

Et le monde s’est épris de cette chronique de cinq femmes si singulières et si universelles à la fois, dont le point commun est l’usage du caramel, matière première d’une forme de soin et d’embellissement du corps dont les femmes ont le privilège.

Si je dis le monde, c’est bien parce que, demandé par trente pays, le film y a été partout accueilli avec le même bonheur et le même enthousiasme que celui qui a enflammé le public de la Quinzaine des réalisateurs lors de sa présentation à Cannes en mai 2007, presqu’un an jour pour jour après le début du tournage.

Mais qui est Nadine Labaki pour avoir ainsi charmé, peut-être de sa personne – nul ne s’en étonnerait – mais aussi de son récit, des millions de spectateurs et de spectatrices et fait de l’institut « Si Belle » le théatre d’une éducation sentimentale permanente qui nous a tous émus ?

A l’Université Saint-Joseph de Beyrouth où vous faites vos études, c’est l’audiovisuel qui suscite votre tentation et dès votre film d’école « 11, Rue Pasteur », vous êtes remarquée et récompensée par le prix du meilleur court métrage à la biennale du cinéma Arabe de l’Institut du monde arabe à Paris.

Les prix vont encore accompagner la jeune réalisatrice douée que vous êtes, toujours dans les formes courtes : vidéomusiques de chanteuses du Moyen-Orient, films de publicité… ces formes qui affinent le regard d’un réalisateur, aiguisent le sens du montage ; bref, à Beyrouth, au début des années 2000, vous êtes déjà une star, car vous êtes aussi comédienne, speakerine, tout vous sourit comme vous souriez au monde.

Vous auriez pu en rester là mais il y a eu plusieurs rencontres, dirais-je, avec la France, incarnée par la productrice Anne Dominique Toussaint qui vous incite à vous lancer dans l’aventure du long métrage ; puis Pierre Viot et Georges Goldenstern qui vont vous accueillir à Paris dans ce drôle de couvent – pourtant proche de Pigalle – qu’on appelle la Cinéfondation où de jeunes gens venus des quatre coins du monde vivent en communauté l’ascèse spirituelle que représente l’écriture d’un scénario. Ce scénario de quelques pages devient au bout de six mois un script. Dans la plaquette imprimée par la Cinéfondation, pour décrire votre projet, il y a déjà un visuel qui promet toute l’esthétique du film, sa douceur et sa beauté. J’ajoute que vous êtes – et grand bien vous en a fait - sortie de temps à autre du couvent, notamment parce que, semble-t-il, la question de la musique originale du film vous préoccupait déjà. C’est donc à Paris que vous avez rencontré Kahled Mouzanar, compositeur de la musique du film et bientôt aussi, votre époux.

Et puis un an après, c’est le tournage à Beyrouth, en langue arabe : c’est un choix revendiqué, tout comme le parti pris de n’avoir recours qu’à des comédiennes non professionnelles que vous avez choisies au plus près de l’idée que vous vous faisiez de vos personnages – des figures toutes différentes-mais qui elles aussi apportent leur vie, leurs regards, leurs sentiments à votre film. Et ces cinq portraits de femmes (Layale, Nisrine, Rima, Jamale, Rose) à travers leurs émotions, leurs gestes, leurs désirs, leur petites souffrances, font miroiter les traits de la société libanaise d’aujourd’hui, et la manière dont les femmes la vivent et peut-être la transforment.

Ils nous disent aussi comment elles s’essayent à inventer la liberté. Œuvre à laquelle, semblez-vous nous dire, elles sont infiniment mieux préparées que les hommes.

Votre récit fini, le tournage bouclé, dans une ambiance que le film laisse deviner comme joyeuse, rieuse, tendre et sincère, les premières bombes tombaient sur Beyrouth. On sait que vous vous êtes posé la question du sens de votre film face à cette catastrophe éveillant de terribles réminiscences. Vous dites même avoir eu un sentiment de culpabilité… Pourtant la douceur de Caramel, la beauté des femmes et des hommes que l’on y croise rendent finalement la guerre, la violence - qui tant de fois ont frappé votre pays- plus haïssables, plus détestables encore, plus insensées aussi. Caramel nous montre et nous dit tout simplement qu’au Liban, rien n’oblige à se déchirer, à s’opposer, et que la paix est possible. Nous attendons tous du cinéma qu’ils nous transmette de tels messages, et vous avez, chère Nadine Labaki, trouvé la grâce de répondre à cette attente.

Je l’ai dit tout à l’heure, la France a cru en votre talent, vous ne l’avez pas déçue, et c’est pourquoi c’est une grande joie pour moi aujourd’hui d’honorer votre succès, et celui de Caramel. D’honorer aussi une artiste libanaise attachée à sa ville- vous avez dédié votre film à Beyrouth – vous qui êtes la digne héritière d’une grande tradition artistique et poétique.

Nadine Labaki au nom de la République française, nous vous remettons les insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

photo : Farida Bréchemier/MCC