Discours et communiqués de presse


Remise des insignes de chevalier dans l’Ordre des arts et des lettresà Vincent Noce

lundi 3 décembre 2007

 

Remise des insignes de chevalier dans l’Ordre des arts et des lettresà Vincent Noce Cher Vincent Noce,

Je suis heureuse d’accueillir aujourd’hui le journaliste d’investigation qui anime les colonnes du journal Libération dédiées au monde de l’art, mais aussi l’homme de lettres et l’esthète.

Avec une étonnante variété de sujets, allant des artistes siennois à Gabriel de Saint Aubin, de Ferdinand Hodler aux œuvres du MET et à la foire de Maastricht, vous éclairez chaque événement où se jouent les émotions artistiques unissant dans un même passion collectionneurs et amateurs.

Cet amour de l’art et l’esprit d’aventure qui s’y attache vous viennent, à n’en pas douter, de votre jeunesse. Une jeunesse « bizarre », dites-vous volontiers. Quand on a pour mère une résistante du groupe Combat, une artiste amie de Picasso – qui la décrivait comme « un bon peintre bien que femme » –, de Sartre, avec lequel elle fonda les Temps modernes, ou encore de Leiris, et de Kanhweiler, et pour père un agent du Bureau central de renseignements et d'action de la France libre, qui a participé au Conseil de l’Europe, quand la genèse de leur histoire a pour cadre une boîte de Saint-Germain des Prés, avec Boris Vian comme entremetteur, rien ne prédispose en effet à la béatitude tranquille d’une enfance « ordinaire » !

Vous n’avez pas hérité de leur goût pour les boîtes de nuit, mais la fièvre de l’action vous a pris dès votre plus jeune âge et c’est à quinze ans à peine que vous descendez dans la rue manifester contre la guerre du Vietnam. Ces chemins buissonniers ne vous détournent cependant pas des bancs du lycée Henri IV, où vous obtenez un Prix d’excellence de philosophie. Mais c’est pour mieux fomenter, avec deux de vos complices, la grande révolution de 68, en participant à la fondation des comités d’action lycéens.

Une incompréhension certaine avec les autorités en place vous contraint de vivre les première heures de mai 68 depuis une chambre de l’Hôtel Dieu. Mais vous bravez rapidement l’avis des médecins et revenez à Henri IV, pour mettre le lycée en « autogestion » par les élèves, les enseignants et les étudiants volontaires.

Les vacances d’été mettent un terme à cette belle utopie et vous vous tournez vers l’écriture, la philosophie et les arts. Vous lisez Hegel dans le texte et hantez le Théâtre des Champs Elysées, où vous écoutez des concerts de musique classique, réservant une place au poulailler pour mieux vous frayer un chemin au balcon à l’entracte. Après avoir noirci les pages des journaux du mouvement gauchiste, tendance libertaire, vous proposez vos premiers papiers au Monde Diplomatique, qui vous accueille quelques années. Un passage à France Musique, et votre route croise l’AFP. C’est au Desk étranger correspondant pour l’Afrique Centrale que vous poursuivez votre carrière et développez vos dons pour les langues étrangères. Vous en maîtrisez aujourd’hui une demi-douzaine, dont l’arabe littéraire et, plus dur encore, selon vous, l’allemand ! Votre mauvaise volonté flagrante à coopérer avec Mobutu vous vaut un bref séjour derrière les barreaux, puis une expulsion qui sonne la fin de votre épopée africaine.

C’est en 1991 que Libération vous demande d’écrire des chroniques qui font appel à vos passions privées : la culture et l’art, mais aussi la gastronomie et le vin. L’une de vos plus grandes fiertés est d’avoir dirigé pendant quelques années la revue « L’Amateur de Bordeaux » fondée par Jean-Paul Kaufmann.

Mais quand on garde dans sa chair le souvenir des barricades de mai 68 et dans l’esprit celui des geôles de Kinshasa, on ne se contente pas de célébrer les plaisirs du palais, même s’ils sont bordelais, ni la beauté de notre patrimoine, fût-il exceptionnel, comme le château de Versailles. A l’alchimie subtile de passion et de compétence qui est à la base de la vocation de journaliste, vous ajoutez votre fièvre de toujours, votre goût de l’action, de l’investigation, votre désir de vérité.

Vous êtes de tous les combats culturels. Avec une inlassable curiosité, vous explorez les rouages des institutions culturelles et les arcanes du marché de l’art. Vous pointez du doigt les filières des pillages à l’échelle internationale et participez ainsi à la lutte contre la criminalité organisée sur le trafic d’œuvres d’art.

Vos enquêtes sur les vols et les trafic d’art, sur les systèmes complexes des ventes aux enchères débordent rapidement les rubriques du journal et vous donnent la matière de plusieurs ouvrages, dont « La collection égoïste », ou « Descente aux enchères ». Des témoignages captivants qui en disent long sur la folie d’appropriation des hommes et leur naïveté, que vous dépeignez avec une lucidité non dépourvue d’humour.

Vous savez écouter, comprendre, voir et faire savoir. Vous vous dites un amateur dans un monde de spécialistes, nuance subtile mais lourde de sens, et je ne doute pas que vous saurez conférer toute sa portée à ce terme – que vous affectionnez – dans les colonnes de la revue d’amateurs d’art que l’on pense aujourd’hui à vous confier.

Cher Vincent Noce, je vous lis depuis longtemps mais avec, vous vous en doutez, une attention accrue depuis environ neuf mois. J’apprécie votre ton, le regard éclairé que vous posez sur notre vie artistique et culturelle, ainsi que sur mes actions à la tête de ce ministère. Vous nous avez suivi à Jérusalem, pour l’inauguration de l’exposition « A qui appartenaient ces tableaux » et j’ai été particulièrement sensible à la justesse du récit que vous avez fait, à la fois de ce voyage et des coulisses de l’organisation de cet événement hautement symbolique. Vous êtes de ces journalistes dont nous guettons les jugements – pas forcément toujours positifs –, parce que nous savons qu’ils sont toujours nourris par une connaissance profonde du secteur et une vraie objectivité. Objectivité qui ne sera en rien entamée, je le sais, par cette distinction que j’ai maintenant le plaisir et l’honneur de vous remettre.

Vincent Noce, au nom de la République, nous vous faisons Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.

photo : farida Bréchemier/MCC