Discours et communiqués de presse
Discours de Christine Albanel prononcé à l’occasion la remise des insignes de
Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres à Abd Al Malik


Cannes - dimanche 27 janvier 2008



Cher Abd Al Malik,
Je suis très fière d’honorer aujourd’hui en vous un authentique poète, au verbe sensible et engagé, un enfant prodige de la culture hip hop, qui prône un rap conscient, un rap fraternel, aussi ambitieux esthétiquement qu’humainement.

Avec votre groupe NAP – New African Poets – créé en 1988, vous avez inscrit Strasbourg et plus particulièrement le quartier du Neuhof, où vous avez grandi, sur la carte du rap français. Convoquant le meilleur de la scène hip hop, sur des musiques et des textes ciselés, puissants et réalistes, votre album La Fin du monde fait date. C’est bien une apocalypse, pris dans son sens premier, celui d’une révélation.

Je sais combien vous êtes attentif au sens et au pouvoir des mots. Cela vous vient sans doute de vos études de philosophie et de lettres classiques à l’université de Strasbourg. Cette culture humaniste est un élément fondamental de votre parcours, tout comme la profondeur de votre foi. Une foi lumineuse, universaliste, qui prône la paix, le dialogue et le respect. Le renouveau spirituel qu’a représenté votre rencontre avec le soufisme, vous le racontez avec beaucoup de générosité et de sensibilité dans votre très
bel ouvrage Qu’Allah bénisse la France, paru en 2004. C’est à cette date également que sort votre premier album solo, Face à face des coeurs.

Mais c’est avec Gibraltar, deux ans plus tard, que le grand public découvre votre visage et votre musique, métissage inédit de rap, de jazz et de la veine la plus poétique de notre chanson, avec notamment des clins d’oeil à Jacques Brel. C’est la consécration pour vous, qui remportez le Prix Constantin, le Prix Charles Cros et une Victoire de la musique. C’est un choc pour notre univers musical, une lame de fond qui emporte les genres et les étiquettes sur son passage.
Vous avez inventé une nouvelle chanson française. Vous avez inventé une nouvelle chanson engagée. Vous avez inventé un nouveau rap. Votre nom vient sur toutes les lèvres dès qu’on évoque le slam, dont vous êtes aujourd’hui l’un des plus ardents et singuliers représentants. Et lorsque le ministère de la Culture et de la Communication décide de mettre à l’honneur les cultures urbaines dans l’un des plus beaux monuments français, le Grand Palais, vous répondez présent.

Je sais que vous ne voulez surtout pas être considéré comme un symbole, sans doute par peur d’être prisonnier de ces clichés et de ces sectarismes que vous abhorrez. Mais je crois que vous êtes justement, pour tous ceux qui vous écoutent, celui qui a fait bouger les lignes, celui qui a abattu les murs entre les styles, entre les clans, celui qui se revendique aussi bien de Jay-Z que de Miles Davis ou Jacques Brel, celui qui réconcilie subversion et patriotisme et prône un rap qui panse les plaies.
C’est tout le sens de votre engagement au sein du collectif Beni Snassen, du nom de la confédération qui réunit les tribus des montagnes du Maroc de l’Est. Les artistes de ce collectif revendiquent tout autant leur
singularité que leur communauté de valeurs. Ces valeurs sont celles des origines du rap, porteur à la fois de douleur et d’espoir, de spleen et d’idéal, pour reprendre le titre de votre premier album, signé dans votre label Gibraltar.
Qui d’autre que vous, cher Abd Al Malik, pourrait aujourd’hui convoquer le génie baudelairien pour porter l’âme du mouvement hip hop ?
J’ai lu quelque part que vous étiez aussi un très grand admirateur de Raymond Carver. On retrouve en effet dans vos textes cette même conscience du pouvoir des mots, de leur force, des mots dont vous n’abusez jamais, préférant toujours la concision, la justesse, même si elles s’expriment dans ce « flow » dont vous êtes si fier.
Mais même si vous peignez, comme lui, des réalités parfois très crues, même si vous chantez l’ennui ou la rage, vous portez toujours un message d’espoir.

Merci, cher Abd Al malik, pour votre poésie sombre et magnifique. Abd Al Malik, au nom de la République nous vous faisons Chevalier dans l’Ordre des Arts et des lettres.