Discours de Christine Albanel prononcé à l’occasion de l’examen en première lecture, à l’Assemblée nationale, du projet de loi relatif aux archives
29 avrill 2008

Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs les Députés,
Monsieur le rapporteur,

« Qu’on interroge et qu’on remue jusqu’au fond les Archives de France, et, de quelque façon que la fouille soit faite, pourvu que ce soit de bonne foi, la même histoire incorruptible en sortira », écrivait Victor Hugo dans Paris. Et de poursuivre : « Dans l’histoire humaine, parfois c’est un homme qui est le chercheur, parfois une Nation. »

Pour les millions de généalogistes de notre pays, les archives sont d’indispensables machines à remonter le temps.

Pour tous nos concitoyens, elles sont plus que des sources du passé, elles constituent des éléments de preuve, des justificatifs de droits, comme, par exemple, les décrets de naturalisation

Pour notre Nation, les archives sont une mémoire. Elles renferment les actes fondateurs de notre histoire, comme l’Edit de Nantes, le Serment du Jeu de paume, ou encore la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Une mémoire aussi, des existences individuelles, à travers à travers les actes notariés, les documents de l’Etat civil, les archives d’associations ou d’entreprises.

Pour notre société contemporaine, les archives, et notamment les plus récentes, sont aussi de précieux antidotes aux crises de mémoire, aux fantasmes qui obscurcissent certaines pages de notre histoire.

La mémoire n’est un fardeau que lorsqu’elle se heurte à des zones d’ombre. Eclairer ces zones d’ombre, c’est le travail des chercheurs, des historiens. L’Etat doit les aider. Il en va de la cohésion de notre société et de la démocratie. La plupart des grands Etats démocratiques ont déjà facilité l’accès à leurs archives publiques pour répondre à la fois aux besoins des chercheurs et à ceux du grand public.

En France, les conditions d’accès aux archives nationales, ainsi que la définition même de cette notion ont été fixées pour la première fois à la Révolution.

La loi du 3 janvier 1979, dont les dispositions sont aujourd’hui reprises dans le code du patrimoine, a marqué une avancée notable. En effet, s’agissant des délais de communicabilité des archives, elle a substitué à une multitude de durées différentes, souvent fixées par de simples circulaires, un éventail restreint de six délais, clairement portés à la connaissance des citoyens.

Près de trente ans plus tard, plusieurs de ses dispositions apparaissent inadaptées à l’évolution des mentalités et aux besoins nouveaux des archivistes et des chercheurs – professionnels ou amateurs.

D’abord, le point d’équilibre, acceptable par les citoyens, entre, d’une part, le souci de protéger certains secrets, comme ceux qui touchent à la vie privée des personnes et, d’autre part, la volonté de transparence et d’ouverture, s’est déplacé au profit de cette dernière.

Ensuite, la loi de 1979 n’avait pas envisagé le développement de certaines pratiques indispensables à l’enrichissement et à la gestion des archives, auxquelles il convient de donner désormais une assise juridique.

Il est donc nécessaire de doter notre pays de nouvelles règles de droit. Les deux projets de loi – organique, pour les archives du Conseil constitutionnel, et ordinaire – soumis aujourd’hui à votre examen sont résolument placés sous le signe de l’ouverture. Ouvrir, mais aussi mieux protéger nos archives, tels sont les deux principaux objectifs que le gouvernement poursuit à travers ces textes, qui sont l’aboutissement d’une longue réflexion.

C’est en 1996 que le gouvernement a confié à Guy Braibant une mission de réflexion sur la modernisation des archives. A l’époque, déjà, les chercheurs réclamaient l’abaissement des délais de communicabilité des archives publiques. Ils demandaient un accès plus facile et rapide à des sources essentielles pour leurs travaux sur l’histoire contemporaine et notamment sur deux événements marquants du XXe siècle, la seconde guerre mondiale et la guerre d’Algérie.

I. Une volonté d’ouverture des archives :

Dans un souci de plus grande transparence mais aussi d’articulation avec la loi du 17 juillet 1978 sur l’accès aux documents administratifs dite loi CADA, le projet de loi « ordinaire » établit le principe de la libre communicabilité des archives publiques.

Il supprime ainsi le délai minimum de communication qui, dans la loi de 1979, avait été fixé à trente ans. Désormais, chaque Français pourra consulter librement et immédiatement les archives publiques.

Par ailleurs, le projet de loi réduit les délais de communication des documents qui mettent en cause les secrets protégés par la loi.

Je soulignerai rapidement quatre points, qui ont donné lieu à des échanges très constructifs du Gouvernement avec votre commission des lois.

. Le premier point concerne les archives dont la communication est susceptible de porter atteinte à la vie privée de nos concitoyens. Le Gouvernement souhaitait ramener le délai qui leur est applicable de soixante à cinquante ans. Le Sénat, arguant de l’allongement de la durée de la vie, a souhaité relever ce délai à soixante-quinze ans.

Votre commission des lois, reprenant les conclusions de son rapporteur M. François Calvet, vous propose de revenir au projet initial du gouvernement, c’est-à-dire à un délai de cinquante ans.
Le Gouvernement ne peut que se féliciter de cette initiative. En effet, l’adoption d’un délai de soixante-quinze ans reviendrait à refermer des fonds d’archives déjà ouverts et cette perspective suscite d’ores et déjà l’inquiétude des milieux de la recherche.

Une telle mesure irait totalement à l’encontre de l’esprit même du projet de loi, gouverné par un souci d’ouverture.

. Le deuxième point concerne les archives dont la communication, aux termes du projet de loi, est susceptible de mettre en cause la « sécurité des personnes ».

Votre commission des lois a proposé que puissent être communiqués au bout de 100 ans les documents d’archives concernés – alors que le projet du Gouvernement envisageait leur incommunicabilité perpétuelle. Notre objectif était en fait très précis : cette incommunicabilité visait principalement à protéger la sécurité physique des agents des services spéciaux et de leurs descendants.

Toutefois, force est de reconnaître que les termes employés, à savoir « la sécurité des personnes », pouvaient donner lieu à une interprétation trop large.

Par ailleurs, le principe même d’une incommunicabilité de certaines archives ne peut être envisagé que de la façon la plus restrictive, lorsqu’elle se révèle absolument nécessaire.

De ce double point de vue, la solution proposée par votre rapporteur de la commission des lois – un délai de 100 ans et une définition plus explicite des archives concernées – se révèle plus équilibrée que le projet du Gouvernement, qui s’y rallie donc pleinement.

Cette disposition apaisera, je l’espère, les inquiétudes que de nombreux historiens ont manifestées récemment.

Ne resteront donc incommunicables que les seules archives dont la divulgation pourrait permettre de concevoir, de fabriquer, d’utiliser ou de localiser des armes de destruction massive – nucléaires, biologiques, chimiques ou bactériologiques.

. En troisième lieu, le Sénat a fixé à 75 ans le délai applicable aux enquêtes statistiques qui ont trait aux faits et comportements d’ordre privé, et à 100 ans le délai applicable au recensement de la population.

Je rappelle que le délai actuellement en vigueur est uniformément de 100 ans et que le Gouvernement envisageait de le ramener à 50 ans. Votre commission des lois a rejoint le point de vue du Sénat.

Le Sénat a également fixé à 75 ans le délai prévu pour les dossiers judiciaires, les enquêtes de police et les minutes et répertoires des notaires. Ces documents sont soumis, dans le droit en vigueur, à un délai de 100 ans que le Gouvernement projetait de réduire de moitié. Là encore, votre commission des lois partage le point de vue du Sénat.

Pour l’ensemble de ces documents, le Gouvernement se rallie à la position de votre commission des lois. Elle est plus protectrice de la vie privée des personnes, tout en permettant de réduire de vingt-cinq ans – soit une génération – le délai actuel de communicabilité de ces archives.

. En quatrième et dernier lieu, reste la question des registres d’état civil, uniformément couverts aujourd’hui par un délai de 100 ans.

Le Gouvernement proposait d’y substituer une approche graduée, en fixant pour les différents actes des délais distincts, proportionnés à l’atteinte susceptible d’être portée à la vie privée : 100 ans pour les actes de naissance, 50 ans pour les mariages et une communication immédiate pour les décès.

Le Sénat a mis en avant des considérations de simplification du droit pour réunifier ces trois délais, à hauteur de 75 ans. Votre commission des lois ne s’est séparée de cette approche que pour les actes de décès, qu’elle propose – comme dans le projet du Gouvernement – de rendre immédiatement communicables.

Le Gouvernement tient toutefois à souligner que la réduction, de 100 à 75 ans, du délai de libre communication des actes de naissance apparaît paradoxale au regard de l’allongement de la durée de la vie alors même que l’acte de naissance centralise, par l’apposition des mentions marginales, toutes les données relatives à l’état d’une personne. C’est ainsi la nécessité de protéger ces données personnelles qui justifie qu’en l’état de notre droit, la copie intégrale de l’acte de naissance ne puisse être délivrée qu’à des catégories très limitées de personnes.

Par ailleurs, la réduction des délais applicables aux différents registres d’état civil risquerait également d’avoir des conséquences négatives en matière de lutte contre la fraude, le libre accès à ces documents permettant de disposer de données personnelles pouvant faire l’objet d’une utilisation frauduleuse.

Le Gouvernement ne peut donc, sur ce point, que vous inviter à la plus grande prudence lorsque vous aurez à débattre de cette question des délais en matière d’état civil.

II Une meilleure protection des archives

Les archives sont le matériau de l’Histoire et cette Histoire, nous en écrivons chaque jour un nouveau chapitre. Dans les cabinets ministériels, dans les services administratifs, dans les universités, les hôpitaux, ici-même, en ce moment-même, à l’Assemblée. Pour que les historiens de demain puissent éclairer, qualifier ce début du XXIe siècle, pour qu’ils puissent analyser cette période qui marqua l’ouverture des archives à tous nos concitoyens, nous devons nous assurer que les traces de notre action sont bien recueillies puis protégées.
Je parlerai tout d’abord des archives des hommes politiques, dont le caractère public est réaffirmé.

Depuis la loi de 1979, les responsables politiques signent un protocole de versement avec les Archives nationales. Cette pratique n’a jamais été encadrée juridiquement. Le projet de loi comble cette lacune et permet donc une collecte cohérente de ces documents indispensables à la connaissance de notre histoire contemporaine. Il aligne les délais de communicabilité sur ceux prévus par la loi et supprime le recours à des mandataires.

Il prévoit que les protocoles conclus à l’avenir cesseront de produire leurs effets au décès du signataire, et que les clauses des protocoles déjà signés relatives aux mandataires désignés expireront vingt-cinq ans après le décès de ceux-ci.

Le projet de loi encadre également l’externalisation des archives produites par les services administratifs. Il ne s’agit en aucun cas d’une « privatisation » de la gestion des archives publiques. Au contraire, il s’agit de donner une base législative et surtout de soumettre à des conditions précises une pratique largement répandue dans l’administration.

Aujourd’hui en effet, faute de place, des services publics ont recours à des sociétés privées pour conserver leurs archives courantes et intermédiaires. Aucun cahier des charges, aucune norme de sécurité, aucune contrainte technique ne sont imposés, ce qui entraîne de vrais risques. Nous en avons eu un exemple récemment, avec la destruction, dans l’incendie d’un entrepôt privé, de tous les dossiers médicaux d’un hôpital proche de Paris.

Le projet de loi « ordinaire » définit des normes précises pour la conservation et la gestion des archives concernées. Je rappelle que les sociétés appelées à gérer ces archives ne pourront prendre en charge que les archives courantes et intermédiaires des services et établissements publics de l’Etat. Et non les archives définitives, c’est-à-dire celles qui ont fait l’objet d’un tri et présentent un intérêt historique. Celles-ci continueront d’être obligatoirement versées dans les services publics d’archives.

Enfin, parce que les archives privées classées constituent aujourd’hui pour les chercheurs des sources précieuses, leur protection est devenue un enjeu majeur.

C’est pourquoi nous proposons d’harmoniser leur régime avec celui des objets mobiliers classés et de leur appliquer les dispositions de la loi du 10 juillet 2000 relative à la vente de gré à gré des objets mobiliers.

III Un renforcement des sanctions pénales :

Protéger nos archives, et, de façon générale, notre patrimoine, c’est aussi réprimer plus sévèrement le vol, le trafic, la destruction et la dégradation de ces biens.

Aujourd’hui, le droit pénal ne prend pas systématiquement en compte la spécificité des dégradations et des vols de biens qui appartiennent à notre patrimoine culturel. Seules la destruction, la dégradation et la détérioration de certains de ces biens font l’objet d’une répression spécifique, prévue par les 3° et 4° de l’article 322-2 du code pénal. Or, nous savons que ces biens sont parfois mal protégés – je pense notamment à ceux qui sont déposés dans des lieux de culte – et représentent des proies faciles pour de véritables réseaux organisés à l’international. Les sanctions doivent donc être beaucoup plus dissuasives.

Le projet issu de l’examen par le Sénat poursuit à cet égard un triple objet :

- étendre la protection pénale spécifique des biens culturels – limitée pour l’instant aux actes de dégradation – aux cas de vol ;

- donner une définition plus large et plus cohérente de la notion de biens culturels dans le Code pénal, en y intégrant par exemple les biens culturels qui relèvent du domaine public mobilier, les biens culturels privés qui sont exposés, conservés ou déposés dans une médiathèque, ou encore les biens culturels conservés dans un édifice cultuel ;

- prévoir des sanctions adaptées, en fixant le maximum des peines encourues à sept ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende, et dix ans d’emprisonnement et 150 000 € s’il existe une autre circonstance aggravante. L’amende pourra représenter jusqu’à la moitié de la valeur des biens volés, détruits ou détériorés, comme c’est le cas en matière de recel.

A cette fin, plusieurs articles nouveaux sont insérés dans les chapitres du code pénal consacrés au vol et aux destructions. Dès lors que ces dispositions concernent également les archives, elles ont toute leur place dans le projet de loi « ordinaire » qui vous est soumis.

Conclusion

Mesdames et Messieurs les Députés, la connaissance des archives et par là même l’écriture de l’histoire est un enjeu de libertés publiques et de démocratie. Les débats récents ont montré combien les Français restent profondément attachés à leur histoire, leur histoire nationale mais aussi leur histoire individuelle. Notre pays dispose en ce domaine d’un patrimoine considéré comme l’un des plus importants et des plus riches au monde ; le réseau des archives françaises est souvent envié par nos voisins.

Ce patrimoine n’a pas pour vocation de dormir et de prendre la poussière sur les rayonnages des services d’archives, mais d’alimenter les recherches universitaires et individuelles, de permettre à nos concitoyens de faire valoir leurs droits, de faciliter l’accès aux sources, de participer à la connaissance de l’histoire par les nouvelles générations.

Il n’est pas un domaine de notre histoire récente ou plus ancienne que le recours aux archives ne permette d’illustrer et de mettre en valeur ; la réalisation récente de plusieurs guides de recherche, sur les sources de la seconde guerre mondiale, par exemple, ou sur celles de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions ont montré combien le travail sur les collections publiques d’archives éclaire notre histoire, évite les incompréhensions et les falsifications, apaise les querelles et les passions.

Tels qu’ils se présentent aujourd’hui après leur examen par le Sénat et par votre commission des lois, les projets de loi sur les archives réalisent un équilibre harmonieux entre, d’une part, les besoins exprimés par les chercheurs et le grand public, et d’autre part, la protection des intérêts relatifs à la vie privée des personnes et à la sûreté de l’Etat.

Saluons là une avancée décisive dans la transparence de l’administration et dans l’accès de nos concitoyens aux sources de leur histoire.