L’édition 2008 de la Semaine de la langue française est
placée sous le signe de la rencontre. Dix mots sélectionnés
en expriment différentes facettes : apprivoiser,
boussole, jubilatoire, palabre, passerelle, rhizome, s’attabler, tact,
toi, visage. Aujourd'hui, découvrez le mot « rhizome »
sous la plume de Christian de Portzamparc, l'un des parrains de l'opération.
Rhizome, par Christian de Portzamparc
(architecte)
Devenu une Star soudaine en jouant un surprenant rôle de concept philosophique
dans un texte de Deleuze et Guattari au début des années soixante,
le mot « rhizome » pourrait d’abord nous faire
penser à quelque maladie mais c’est un terme de botanique. Venu
du grec, le français l’a adopté au dix neuvième
siècle mais ce fut pour le détourner sensiblement de sa signification
originelle : « rhizome » en grec signifie la racine
en français. La racine est souterraine, arborescente, unitaire. Elle
nourrit une plante qui se reproduit ensuite dans l’air.
Mais quand le botaniste voulut désigner les curieux dispositifs des
plantes à propagation souterraine, ceux du chiendent, du gingembre,
de l’iris, du bambou, ces systèmes en réseaux, en nappes,
non arborescents et défiant l’idée de fixité, de
commencement, de fin, d’unité, défiant pour tout dire
l’idée même de racine, il fallut inventer un autre mot.
Une fois encore le grec fut appelé à parer la science de l’autorité
de son antique raison. Rhizome devint alors le nom de ces redoutables proliférations
qui inquiètent maçons, paysagistes et architectes parce qu’elles
crèvent les étanchéités et les murs. Aussi est
ce la nécessité de prévoir des « barrières
anti-rhizome » qui pour beaucoup fait connaître le rhizome
mais pas toujours son fonctionnement fascinant et la fortune métaphorique
que « Mille plateaux » a initiée.
Dans ce texte libre, inspiré, confus parfois et agissant en répétition
comme les courants rapides d’un fleuve, le rhizome permet de tisser
entre eux tous les processus d’enchaînement, d’engendrement
qui ne sont pas arborescents, qui ne partent plus d’une unité,
d’une origine reconnue. Ne plus partir de l’unité, d’une
règle de reproduction, penser transversalement, imaginer les cheminements
imprévisibles qui font ressortir les idées d’un domaine
à un autre, dans la découverte scientifique comme dans l’histoire
de l’art moderne. Dans ce texte c’était toute une condition
de la modernité, de son heuristique déjouant constamment les
filiations institutionnelles ou académiques qui m’apparaissait.
Que la métaphore fut spatiale ou topique confirmait pour moi cette
expérience selon laquelle l’imaginaire spatial est un vecteur
rapide de la pensée, concurrent du langage. La hiérarchie est
arborescente, les cités fermées et les systèmes coloniaux
aussi. Mais les écoles doivent l’être plus ou moins. S’il
y a une liberté dans ce rhizome qui annonçait le réseau
Internet, la mondialisation et qui nous laisse imaginer des formes neuves
de diffusion des idées il y a aussi une image de prolifération
invisible, incontrôlée et destructrice.