Semaine de la langue française du 14 au 24 mars

mercredi 19 mars 2008
Rhizome
Le « mot du jour » : Rhizome


L’édition 2008 de la Semaine de la langue française est placée sous le signe de la rencontre. Dix mots sélectionnés en expriment différentes facettes : apprivoiser, boussole, jubilatoire, palabre, passerelle, rhizome, s’attabler, tact, toi, visage. Aujourd'hui, découvrez le mot « rhizome » sous la plume de Christian de Portzamparc, l'un des parrains de l'opération.

Rhizome, par Christian de Portzamparc (architecte)

Devenu une Star soudaine en jouant un surprenant rôle de concept philosophique dans un texte de Deleuze et Guattari au début des années soixante, le mot « rhizome » pourrait d’abord nous faire penser à quelque maladie mais c’est un terme de botanique. Venu du grec, le français l’a adopté au dix neuvième siècle mais ce fut pour le détourner sensiblement de sa signification originelle : « rhizome » en grec signifie la racine en français. La racine est souterraine, arborescente, unitaire. Elle nourrit une plante qui se reproduit ensuite dans l’air.

Mais quand le botaniste voulut désigner les curieux dispositifs des plantes à propagation souterraine, ceux du chiendent, du gingembre, de l’iris, du bambou, ces systèmes en réseaux, en nappes, non arborescents et défiant l’idée de fixité, de commencement, de fin, d’unité, défiant pour tout dire l’idée même de racine, il fallut inventer un autre mot. Une fois encore le grec fut appelé à parer la science de l’autorité de son antique raison. Rhizome devint alors le nom de ces redoutables proliférations qui inquiètent maçons, paysagistes et architectes parce qu’elles crèvent les étanchéités et les murs. Aussi est ce la nécessité de prévoir des « barrières anti-rhizome » qui pour beaucoup fait connaître le rhizome mais pas toujours son fonctionnement fascinant et la fortune métaphorique que « Mille plateaux » a initiée.

Dans ce texte libre, inspiré, confus parfois et agissant en répétition comme les courants rapides d’un fleuve, le rhizome permet de tisser entre eux tous les processus d’enchaînement, d’engendrement qui ne sont pas arborescents, qui ne partent plus d’une unité, d’une origine reconnue. Ne plus partir de l’unité, d’une règle de reproduction, penser transversalement, imaginer les cheminements imprévisibles qui font ressortir les idées d’un domaine à un autre, dans la découverte scientifique comme dans l’histoire de l’art moderne. Dans ce texte c’était toute une condition de la modernité, de son heuristique déjouant constamment les filiations institutionnelles ou académiques qui m’apparaissait.

Que la métaphore fut spatiale ou topique confirmait pour moi cette expérience selon laquelle l’imaginaire spatial est un vecteur rapide de la pensée, concurrent du langage. La hiérarchie est arborescente, les cités fermées et les systèmes coloniaux aussi. Mais les écoles doivent l’être plus ou moins. S’il y a une liberté dans ce rhizome qui annonçait le réseau Internet, la mondialisation et qui nous laisse imaginer des formes neuves de diffusion des idées il y a aussi une image de prolifération invisible, incontrôlée et destructrice.