L’édition 2008 de la Semaine de la langue française est
placée sous le signe de la rencontre. Dix mots sélectionnés
en expriment différentes facettes : apprivoiser,
boussole, jubilatoire, palabre, passerelle, rhizome, s’attabler, tact,
toi, visage. Aujourd'hui, découvrez le mot « palabre »
sous la plume de Daniel Mesguich, l'un des parrains de l'opération.
Palabre, par Daniel Mesguich
(metteur en scène de théâtre)
Le palabre, qui passe pour une longue et la plupart du temps vaine conversation,
est en réalité un fruit. Chacun sait en effet que cette parole
pousse sur un certain arbre. L’arbre à palabre n’est pas
un pâle arbre, mais au contraire un arbre coloré, dont les branches
ramifiées se développent en tous sens et enlacent ensemble des
hommes aux pieds nus souvent, parfois aux mains nues, aux oreilles avides
toujours. La langue juteuse du palabre exprime facilement son suc, et il vous
sera difficile d’y mordre sans qu’il vous en coule hors de la
bouche et qu’il s’en colle à vos lèvres.
Mais il rafraîchit tant la gorge de ceux qui ont soif de commercer avec
leur prochain qu’on ne saurait pourtant vous en déconseiller
la consommation. À l’origine, il semblerait que le palabre ait
été obtenu en terre d’Afrique par des voyageurs espagnols
ayant tenté l’hybridation entre elles d’une parole et d’une
parabole. Le métis n’ayant ni l’édifiante acidité
de la parabole ni la volatilité fade de la simple parole, et présentant
en outre de surprenantes propriétés cathartiques, sa culture
à grande échelle fut immédiatement décidée
et il n’est aujourd’hui nulle région du monde qui n’en
produise, et à profusion, au risque d’encourager une certaine
nonchalance de ses populations.
Car qui a une fois goûté du palabre – on en fait notamment
de copieuses et délectables salades – se prend immanquablement
pour lui d’une inextinguible passion qui l’empêche de faire
de son existence une suite ininterrompue d’actions pragmatiques et efficaces.
À chacun de juger s’il s’agit là d’un dommage
ou d’une grâce.