Semaine de la langue française du 14 au 24 mars

mardi 18 mars 2008

Le « mot du jour » : Palabre


L’édition 2008 de la Semaine de la langue française est placée sous le signe de la rencontre. Dix mots sélectionnés en expriment différentes facettes : apprivoiser, boussole, jubilatoire, palabre, passerelle, rhizome, s’attabler, tact, toi, visage. Aujourd'hui, découvrez le mot « palabre » sous la plume de Daniel Mesguich, l'un des parrains de l'opération.

Palabre, par Daniel Mesguich (metteur en scène de théâtre)

Le palabre, qui passe pour une longue et la plupart du temps vaine conversation, est en réalité un fruit. Chacun sait en effet que cette parole pousse sur un certain arbre. L’arbre à palabre n’est pas un pâle arbre, mais au contraire un arbre coloré, dont les branches ramifiées se développent en tous sens et enlacent ensemble des hommes aux pieds nus souvent, parfois aux mains nues, aux oreilles avides toujours. La langue juteuse du palabre exprime facilement son suc, et il vous sera difficile d’y mordre sans qu’il vous en coule hors de la bouche et qu’il s’en colle à vos lèvres.

Mais il rafraîchit tant la gorge de ceux qui ont soif de commercer avec leur prochain qu’on ne saurait pourtant vous en déconseiller la consommation. À l’origine, il semblerait que le palabre ait été obtenu en terre d’Afrique par des voyageurs espagnols ayant tenté l’hybridation entre elles d’une parole et d’une parabole. Le métis n’ayant ni l’édifiante acidité de la parabole ni la volatilité fade de la simple parole, et présentant en outre de surprenantes propriétés cathartiques, sa culture à grande échelle fut immédiatement décidée et il n’est aujourd’hui nulle région du monde qui n’en produise, et à profusion, au risque d’encourager une certaine nonchalance de ses populations.

Car qui a une fois goûté du palabre – on en fait notamment de copieuses et délectables salades – se prend immanquablement pour lui d’une inextinguible passion qui l’empêche de faire de son existence une suite ininterrompue d’actions pragmatiques et efficaces. À chacun de juger s’il s’agit là d’un dommage ou d’une grâce.