I. LES ENJEUX
- L’industrie musicale contribue de façon majeure à la
diversité culturelle – Le marché français demeure
atypique par rapport aux autres marchés internationaux, puisque près
des deux tiers de sa production est nationale, contre moins de la moitié
en Allemagne et en Italie. Seuls les Etats-Unis connaissent une situation
comparable.
- La filière connaît une crise conjoncturelle dramatique pour l’emploi et la création – L’essor d’Internet et le développement du téléchargement illégal ont fondamentalement et durablement bouleversé la chaîne de valeur de cette industrie culturelle. Le marché du disque a baissé de près de 50% en volume et en valeur au cours des cinq dernières années et cette tendance s’est encore accentuée en 2007. Cette situation emporte des conséquences brutales à la fois sur l’emploi des maisons de disque et sur la création : sur la période 2002/2005, il a été mis fin 28% des contrats d’artistes et le nombre de contrats de nouveaux artistes a baissé de 40%.
Le Président de la République, dans la lettre de mission adressée le 1er août 2007 à Christine Albanel, lui a donc demandé de conduire dans les plus brefs délais un « plan de sauvetage de d’industrie musicale et, plus largement, de promotion des industries culturelles couvertes par les droits d’auteurs et les droits voisins ».
II. LES MESURES PRISES ET EN COURS D’ELABORATION
Le plan de soutien comprend trois axes :
- 1. Faciliter la diffusion légale des œuvres sur Internet et protéger les droits des créateurs et des entreprises : c’est l’objet du projet de loi qui sera présenté au Parlement au printemps afin de mettre en place le mécanisme de dissuasion et de sanctions sur lequel se sont accordés les 45 entreprises et organismes signataires des « Accords de l’ Élysée » du 23 novembre 2007.
- 2. Consolider les droits à rémunération des créateurs et des entreprises : la durée des « droits voisins » des artistes interprètes et des producteurs, actuellement harmonisée à 50 ans par une directive européenne, a fait l’objet le 15 janvier 2008 d’une initiative de Christine Albanel auprès de la Commission européenne en vue de son extension / Les rémunérations forfaitaires versées aux artistes et aux producteurs – « rémunération équitable » pour la diffusion de musique sur les radios et « rémunération pour copie privée » – ont été réajustées.
- 3. Soutenir la création,
l’emploi et la modernisation des entreprises par des mesures structurelles
: le crédit d’impôt dédié à la production
de nouveaux talents a été quadruplé / L’accès
au crédit des entreprises indépendantes sera facilité
/ Une mission est sur le point d’être lancée en vue de
formuler des propositions innovantes dans le domaine du financement des entreprises
de la filière musicale et du spectacle vivant.
1. Les accords de l’Élysée feront
du piratage des œuvres un risque inutile.
Cet accord, négocié dans le cadre d’une mission confiée le 5 septembre 2007 à Denis Olivennes, a été signé le 23 novembre 2007 par 45 entreprises ou organismes représentatifs. Il est historique, car c’est la première fois que le monde de la musique et du cinéma se mettent d’accord sur les solutions pour améliorer l’offre légale et pour lutter contre le piratage, mais aussi la première fois qu’un consensus est crée entre les artistes et les fournisseur d'accès Internet. Cet accord est équilibré car toutes les parties ont fait un effort et les internautes y trouveront leur compte aussi bien que les artistes et les opérateurs de l’Internet. Il comporte deux volets complémentaires :
- L’offre légale sera plus facilement accessible, plus riche, plus souple
Les maisons de disque se sont engagées à retirer les « mesures de protections » bloquantes des productions françaises de leurs catalogues. Cela signifie qu’une musique achetée légalement pourra être lue plus facilement sur tous les types d’appareils.
- La lutte contre le piratage de masse change de logique : elle comportera une phase préventive et ne passera plus nécessairement par le juge
Jusqu’à présent, quand les sociétés qui défendent les intérêts des artistes repèrent un ordinateur pirate, la seule possibilité ouverte est de saisir le juge pénal en se fondant sur le délit de contrefaçon. Mais la procédure judiciaire et les peines encourues (jusqu’à 3 ans de prison et 300 000 euros d’amende) ne sont pas adaptées au piratage « ordinaire ». L’accord prévoit donc la mise en place une autorité administrative indépendante, qui sera chargée de prévenir et de sanctionner le piratage. Cette autorité sera saisie par les créateurs dont les œuvres auront été piratées. Elle commencera par envoyer aux pirates des messages d’avertissement qui seront personnalisés : une phase préventive précèdera donc d’éventuelles sanctions, ce que le droit ne permet pas jusqu’à présent. Si le pirate récidive, l’autorité prendra alors des sanctions adaptées à la nature du comportement auquel il s’agit de mettre fin : la suspension de l’abonnement Internet, de plus ou moins longue durée, assortie d’une interdiction de se réabonner pendant une période déterminée.
La dimension préventive de la lutte contre le piratage est encore accentuée par l’engagement des fournisseurs d'accès Internet à expérimenter des dispositifs de filtrage et de reconnaissance des contenus.
Il est nécessaire de passer par la loi pour mettre en œuvre plusieurs points des « Accords de l’Élysée ». Le travail d’élaboration du projet, en concertation avec les ministères de la Justice et de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, sera achevé avant la fin du mois de février. Compte tenu des délais d’examen par le Conseil d’État, il devrait être déposé sur le bureau du Sénat au tout début du printemps. Le Parlement disposera ainsi du temps nécessaire pour débattre sereinement du projet en vue de son adoption avant l’été 2008.
2. L’amélioration des droits à rémunération
des créateurs et des entreprises
a) L’initiative en faveur de l’extension de la durée des
droits des artistes interprètes et des producteurs
Depuis la directive 93/98/CE du 29 octobre 1993, la durée des « droits voisins » des artistes interprètes et des producteurs de phonogrammes a été harmonisée à cinquante ans pour les Etats membres de l’Union européenne.
Or, l’allongement de la durée de la vie des créateurs a aujourd’hui pour conséquence que des pans entiers du fonds de catalogue des années 1950 et 1960, représentant une part très significative du patrimoine national dans le domaine des variétés, tombent progressivement dans le domaine public alors même que les interprètes de ces œuvres sont encore vivants et que les enregistrements continuent d'être exploités.
Compte tenu de la contribution essentielle des artistes interprètes à la création, il est inéquitable que des artistes qui ont commencé leur carrière très jeunes se voient ainsi privés de toute rémunération au titre de leurs premiers enregistrements. Par ailleurs, la diversité culturelle suppose que les producteurs de phonogrammes puissent rentabiliser, grâce au fonds de catalogue, les investissements qu’ils consentent en faveur de nouveaux talents.
En outre, la durée harmonisée des « droits voisins » au sein de l’Union européenne est actuellement sensiblement plus courte que celle qui est prévue par de nombreuses législations étrangères, comme celles des Etats-Unis, du Brésil, ou encore du Mexique, qui varie de soixante à quatre-vingt-quinze ans.
Enfin, la durée des « droits voisins » doit être envisagée au regard de la nécessité de garantir le financement de la filière musicale, à l'heure où celle-ci se trouve fragilisée par le piratage massif des œuvres sur les nouveaux réseaux et doit se préparer, dans ce contexte particulièrement difficile, à la transition vers un nouveau modèle économique pleinement en phase avec le contexte numérique.
Pour l’ensemble de ces raisons, qui tiennent tant à l’équité qu’à la préservation de la diversité culturelle et à la compétitivité du marché européen, Christine Albanel a saisi le 15 janvier 2008 la Commission européenne, afin que soit engagé dans les meilleurs délais, au niveau communautaire, une réflexion sur l’extension de la durée légale de protection des droits voisins des artistes interprètes et des producteurs. A la suite de cette initiative le commissaire européen chargé du marché intérieur a décidé, le 14 février 2008, de présenter une proposition visant à porter à 95 ans la protection des droits des artistes interprètes, en vue de son adoption par la Commission avant l'été 2008. Le dossier pourrait donc aboutir sous présidence française.
b) La rémunération pour copie privée a été
étendue à de nouveaux supports d’enregistrement
Pour compenser le préjudice causé aux artistes et aux producteurs par l’exception pour copie privée – c'est à dire la possibilité, pour les particuliers ,de réaliser des copies des œuvres pour leur usage privé – la loi n°85-660 du 3 juillet 1985 a institué une rémunération forfaire. Cette rémunération pour copie privée n’est en aucun cas une imposition ou une taxe, mais une ressource privée assimilable aux droits d’auteur et aux droits voisins. Elle est assise sur tous les supports d’enregistrement et son barème est fixé en fonction du type de support, de la capacité d’enregistrement de celui-ci et de son utilisation par les acheteurs à des fins de copie privée. Elle est acquittée par les fabricants ou par les importateurs de ces matériels.
La rémunération pour copie privée représentait en 2006, pour la seule filière musicale, un total de 82 M€, répartis entre les auteurs (50%), les artistes interprètes (25%) et les producteurs (25%). La répartition de la rémunération entre ces différentes catégories d’ayants droit est opérée après un prélèvement de 25% qui est utilisé à des actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation des artistes. La rémunération pour copie privée est donc essentielle au financement de la filière musicale et de la création, ainsi qu’à la rémunération des artistes.
Afin de prendre en compte la réalité de la copie privée, l’assiette de la rémunération vient d’être étendue aux derniers supports de copie apparus sur le marché :
- depuis le 1er octobre 2007 , aux clés USB, cartes mémoires et disques durs externes ;
- à compter du 1er février 2008, aux disques durs multimédias.
Mais les auteurs, artistes interprètes et producteurs doivent également être rémunérés pour les copies privées qui sont réalisées au moyen des téléphones multimédias : c’est pourquoi l’assujettissement de ces appareils est à l’étude et devrait être mis en œuvre rapidement avant le 1er avril 2008. La commission compétente, composée à parité des ayants droits et des consommateurs et fabricants des matériels assujettis, en a approuvé le principe le 27 février 2008.
c) La « rémunération équitable
» versée par les radios privées pour diffuser de la musique
a été actualisée
La loi n°85-660 du 3 juillet 1985 a prévu, au bénéfice des artistes interprètes et de leurs producteurs, le versement d’une « rémunération équitable », acquittée par les entreprises qui diffusent de la musique : radios privées (généralistes et musicales) et publiques, télévisions par câble et satellite, sociétés de production audiovisuelle qui incorporent de la musique dans leurs programmes, discothèques et « lieux sonorisés » (hôtels, restaurants, bars). Cette rémunération est assise sur les recettes d'exploitation des entreprises ou, à défaut, est évaluée forfaitairement. Elle revient pour moitié aux artistes interprètes et pour moitié aux producteurs. Elle représentait en 2005 un total de 56 M€, dont le tiers acquitté par les radios privées.
Il a été décidé le 15 octobre 2007 dernier de réévaluer, à compter du 1er janvier 2008, le barème de la rémunération applicable aux radios privées, qui était demeuré inchangé depuis 1993. L’ancien barème envisageait de façon rigide la situation des différentes radios, en leur appliquant un taux uniforme de 4,25%. Le nouveau barème, en revanche, est souple et prend en compte la situation économique des radios, tout en améliorant la rémunération des créateurs. Le montant global de la rémunération versée aux artistes interprètes et aux producteurs augmentera de 38%, la montée en charge se faisant progressivement sur trois ans, selon un rythme à déterminer par les radios elles-mêmes.
La réévaluation progressive des barèmes applicables aux autres secteurs assujettis – et d’abord aux radios publiques – est d’ores et déjà à l’étude.
3. Les mesures structurelles de soutie à la création, à l’emploi et à la modernisation des entreprises
a) Le crédit d’impôt dédié à la production
des « nouveaux talents » a été quadruplé
A l’occasion de la loi de finances rectificative pour 2007, le crédit d’impôt en faveur de la production, mis en place en 2006, a été porté de 3 M€ à 12 M€.
Cette mesure s'appliquera aux dépenses engagées par les entreprises à compter du 1er janvier 2007, car la situation critique de la filière musicale justifie une réponse rapide des pouvoirs publics, dont les effets doivent se faire sentir dès l’exercice 2008.
Son objet n’est pas d’instituer un dispositif de subvention indirecte, ou d'amélioration de la rentabilité de certaines entreprises, mais de soutenir à la fois l’emploi, le renouvellement de la création et la modernisation des entreprises – notamment leur transition vers un modèle économique fondé sur le numérique. La mesure est donc assortie de contreparties précises en termes de maintien ou de développement de l'emploi, de production de « nouveaux talents » et d'augmentation du chiffre d'affaires des ventes numériques.
b) L’accès au crédit des entreprises
indépendantes sera facilité par le triplement du Fonds d’avance
aux industries musicales
Le Fonds d’avance aux industries musicales, géré par l’Institut pour le Financement du Cinéma et des Industries Culturelles (IFCIC), est réservé aux PME indépendantes de la filière (producteurs, éditeurs et distributeurs). Il vise, par l’octroi d’avances remboursables à ces entreprises, à soutenir leur croissance externe, leurs investissements dans le domaine de la R&D et plus généralement leur adaptation aux évolutions du marché.
Le triplement des moyens de ce fonds, qui devraient ainsi être portés de 2,9 à environ 9 M €, fait actuellement l’objet de négociations en phase conclusive avec la Caisse des dépôts. Leur aboutissement devrait permettre d’augmenter le plafond des avances consenties par le fonds et d’allonger de quatre à sept ans de la durée maximale de leur remboursement.
c) Une mission d’expertise formulera des propositions
innovantes dans le domaine du financement des entreprises
Les problématiques du financement de la production phonographique et du spectacle vivant, sont souvent communes. Par conséquent une réflexion sur la pertinence, sur le modèle des SOFICA dans le secteur du cinéma, d’une société de financement dédiée à la musique (SOFIMU) ou au spectacle vivant (SOFISPECTACLES), offrant aux investisseurs des avantages fiscaux permettant aux industriels de la filière de financer à meilleur coût leurs investissements structurels sera lancée courant mars 2008.
Elle sera confiée à un groupe de personnalités, parlementaires et professionnels spécialisés dans les domaines de l’industrie musicale, du spectacle vivant et surtout du financement des entreprises. Elle devra expertiser les mécanismes existants dans d’autres secteurs et proposer une batterie de mesures susceptibles de répondre aux besoins en fonds propres des entreprises de la filière musicale. Cette mission devra rendre un premier rapport d’étape au printemps, afin qu'il soit possible de mettre en œuvre de ses préconisations dans le cadre de la prochaine loi de finances.