Le traité de Versailles du 1er
mai 1756, qui concluait une alliance offensive et défensive
entre la France et la monarchie autrichienne, a profondément
modifié l’équilibre européen jusqu’à
la Révolution française. Connu comme le « renversement
des alliances », il représente en effet un événement
historique pour l’Europe des Lumières. Au système
diplomatique en vigueur depuis la fin du règne de Louis XIV,
qui plaçait la monarchie autrichienne et la Grande-Bretagne
dans un camp, la France, la Prusse et la Bavière dans le camp
adverse, se substitue désormais une alliance anglo-prussienne
s’opposant à une alliance franco-autrichienne.
Les analyses politiques du temps de Richelieu semblaient appartenir
au passé depuis le règlement de la succession de Charles
II d’Espagne en faveur des Bourbons. La France ne risquait plus
l’encerclement par la maison d’Autriche. C’est pourquoi
Louis XIV avait, dans les derniers mois de son règne, souhaité
un rapprochement avec l’empereur Charles VI, qui s’y refusa.
En 1742, après la mort de Charles VI, les adversaires français
des Habsbourg, menés par le -maréchal de Belle-Isle,
firent élire empereur romain germanique l’électeur
de Bavière et préparèrent le démembrement
de la monarchie autrichienne. Comme l’échec de Charles
VII (1742-1745) montra l’impossibilité de créer
un tiers-parti en Allemagne, on se demanda à Versailles si
l’essor de la Prusse était vraiment conforme aux intérêts
français. Le « renversement des alliances » permettrait
de barrer la route à un Frédéric II qui ne cachait
plus ses ambitions en Europe du Nord. Il permettrait surtout, croyait-on
à Versailles, d’empêcher l’expansion coloniale
anglaise en laissant à la France toutes ses forces disponibles
outre-mer, au moment où les relations franco-anglaises en Amérique
du Nord ne cessaient de se détériorer.
L’initiative diplomatique est néanmoins venue de l’impératrice
Marie-Thérèse qui, après les affrontements de
la guerre de succession d’Autriche, fit de l’alliance
française le pilier de son nouveau système diplomatique.
À Vienne, Kaunitz, qui avait négocié la paix
d’Aix-la-Chapelle, ne cacha pas les avantages d’un rapprochement
avec les Bourbons : la France pourrait rester neutre en cas de guerre
austro-prussienne, inévitable si Marie-Thérèse
voulait récupérer la Silésie. La mission de Kaunitz,
ambassadeur d’Autriche en France de 1750 à 1753, avait
été une réussite, car il sut à la fois
gagner Mme de Pompadour et déjouer l’hostilité
des ministres français, qui demeuraient attachés à
l’alliance prussienne. Rappelé à Vienne, Kaunitz
fut nommé chancelier d’État et dirigea pendant
40 ans la diplomatie autrichienne. À ce moment l’impératrice
Marie-Thérèse, qui voulait à tout prix reconquérir
la Silésie, avait compris que la Grande-Bretagne, qui l’avait
obligée à céder cette province à la Prusse
en 1745, ne l’y aiderait jamais. Or, elle n’osait pas
attaquer la Prusse, si elle ne disposait d’aucune aide et si
elle n’était pas assurée de la neutralité
de ses voisins.
Starhemberg, successeur de Kaunitz à Paris, avait reçu
dès 1755 des -instructions précises pour négocier
un traité d’alliance défensif avec la France.
Les ouvertures de Marie-Thérèse furent bien accueillies
par le roi et Mme de Pompadour qui joua, dans le renversement des
alliances, un rôle discret, mais efficace. Pendant près
d’un an, Starhemberg mena avec l’abbé de Bernis
de longues et difficiles conversations secrètes, car il ne
fallait pas éveiller les -soupçons du ministère,
foncièrement anti-autrichien.
C’est alors que Frédéric II accomplit le geste
qui devait tout déclencher. Par le traité de Westminster
du16 janvier1756, il manifesta son rapprochement avec la Grande-Bretagne,
en s’engageant à ne pas attaquer le Hanovre, qui -appartenait
au roi d’Angleterre. Même si Frédéric II
n’avait pas l’intention d’abandonner l’alliance
française, l’alliance prussienne n’était
plus d’aucune -utilité pour Louis XV, au cas où
le roi de Prusse refuserait d’attaquer le Hanovre.
Le résultat de la volte-face prussienne fut le traité
de Versailles du 1er mai 1756.
Celui-ci garantissait la neutralité des Pays-Bas autrichiens,
les possessions réciproques des parties contractantes et prévoyait
une aide militaire au -partenaire sous forme d’un corps auxiliaire
de 24 000 hommes ou d’une aide financière permettant
l’entretien d’un effectif équivalent. Marie-Thérèse
ratifia le traité dès le 25 mai, mais l’accord
demeurait fragile car il choquait profondément l’opinion
française et déplaisait aux ministres de Louis XV, Machault
d’Arnouville et d’Argenson. Choiseul lui-même, partant
en qualité d’ambassadeur à Vienne, ne s’était
pas gêné pour montrer tous les inconvénients de
l’alliance.
Un second traité fut signé à Versailles le 1er
mai 1757 par le nouveau ministère qui, composé de Belle-Isle
à la Guerre, de Silhouette au contrôle -général
des Finances et de l’abbé de Bernis aux Affaires étrangères,
était favorable à l’alliance autrichienne. Louis
XV promettait de fournir une armée de 130 000 hommes, de verser
à Marie-Thérèse un subside annuel de 12 millions
de florins (soit 12 millions d’écus) jusqu’à
ce que Frédéric II ait restitué à -l’Autriche
la Silésie. Louis XV versa en fait à Marie-Thérèse
pendant plusieurs années 25 à 30 millions de livres
tournois, sans lesquels les Impériaux n’auraient pu fournir
un gros effort de guerre en Bohême et en Silésie. C’était
pour Kaunitz un triomphe diplomatique, qui ne permit pourtant pas
à Marie-Thérèse de -récupérer la
Silésie à la fin de la guerre de Sept ans.
Tout le projet reposait sur une analyse erronée des capacités
de résistance de Frédéric II, qui fit face à
une vaste coalition continentale regroupant la Russie de la tsarine
Élisabeth Petrovna, la Saxe et la Pologne d’Auguste III,
la Suède, la France, la monarchie autrichienne et le Saint-Empire,
qui avait déclaré la guerre à Frédéric
II à la suite de l’agression prussienne contre la Saxe.
Si la guerre de Sept ans se traduisit pour la maison de Brandebourg
par un véritable « miracle », dont Frédéric
II était parfaitement conscient, elle se révéla
pour
Louis XV une opération désastreuse, car la France accumula
les défaites sur terre et sur mer. Elle eut en effet à
combattre sur deux fronts, sans autre but de guerre que d’aider
Marie-Thèrèse, alors qu’elle était engagée
dans un conflit maritime et colonial.
L’alliance franco-autrichienne de 1756 permit néanmoins
la réconciliation des maisons de Bourbon et de Habsbourg-Lorraine
même si, de part et d’autre, de vieilles rivalités
demeuraient. Elle a en outre apporté un demi-siècle
de paix à la Rhénanie, aux Pays-Bas autrichiens, à
l’Italie du Nord et aux -provinces françaises du Nord-Est
et a facilité l’essor économique et culturel de
ces régions au cours de la seconde moitié du XVIIIe
siècle.