Il Pierre le Vénérable a été le dernier
des grands abbés de Cluny, dont le rayonnement en France et
dans la chrétienté occidentale atteignit son apogée
sous sa direction. Fils de Maurice II et de Raingarde de Montboissier,
il fut d’abord oblat à Sauxillanges, en Auvergne, puis
moine à Vézelay entre 1110 et 1120. Prieur de l’abbaye
de Domène, près de Grenoble, il y rencontra les premiers
Chartreux dont il loua le genre de vie. Élu abbé de
Cluny en 1122 après la déposition de Pons de Melgueil,
il eut d’abord à affronter la crise institutionnelle
provoquée par son prédécesseur, qui tenta vainement
de reprendre le pouvoir en 1125, et surtout de graves difficultés
économiques liées à la construction de la nouvelle
église connue sous le nom de Cluny III, auxquelles les ressources
traditionnelles ne permettaient plus de faire face.
Pierre le Vénérable parvint à assainir cette
situation grâce aux subsides importants qu’il obtint des
rois d’Angleterre et de Castille, mais surtout par une gestion
plus rationnelle des domaines fonciers de l’abbaye et en dotant
celle-ci d’un véritable budget. Conscient des évolutions
que le nouveau contexte social et religieux, marqué par l’affirmation
de Cîteaux et des nouveaux ordres d’inspiration érémitique,
imposait au monachisme clunisien, il réunit en 1132 le premier
chapitre général de la congrégation et il promulgua
en 1146-1147 des statuts de réforme. En 1130, l’abbatiale
de Cluny III, dont les proportions et la magnificence dépassaient
celles de Saint-Pierre de Rome, fut consacrée par le pape Innocent
II qui s’y était réfugié. Pierre le Vénérable,
tout comme saint Bernard, soutint ce dernier contre son rival Anaclet
II et l’aida à mettre fin au schisme.
Son influence s’exerça également dans tout l’Occident
par l’intermédiaire de ses lettres, où s’expriment
à la fois son sens de la mesure, sa sérénité
– en particulier face aux attaques de saint Bernard contre le
faste du monachisme -clunisien – et son esprit de profonde humanité,
comme en témoigne celle, fameuse, qu’il adressa à
Héloïse en 1142 pour lui annoncer la mort d’Abélard
qui avait trouvé refuge à Cluny après sa condamnation
par le concile de Sens. À la différence de ses prédécesseurs,
Pierre le Vénérable prit position face aux -dangers
qui, à ses yeux, menaçaient l’Église et
entreprit de réfuter par la plume les erreurs de ceux qu’il
considérait comme ses plus dangereux adversaires : les hérétiques,
en dénonçant Pierre de Bruis et ses disciples dont la
prédication anticléricale enflammait alors la Provence
et le Languedoc, les Juifs et les Musulmans. À l’occasion
du voyage qu’il effectua en Espagne en 1142, il fit en effet
traduire en latin le Coran et divers textes polémiques écrits
en arabe par des chrétiens d’Orient, et il composa un
traité « Contre les Sarrasins », demeuré
inachevé, qui constitue la première tentative de confrontation
entre le christianisme et l’islam fondée non sur des
invectives ou des récits fabuleux mais sur des arguments rationnels.
Enfin, dans son traité « Sur les miracles », il
manifesta un intérêt pastoral vis-à-vis des laïcs
dont il s’efforça de christianiser les croyances relatives
à la mort et à l’au-delà. Homme de paix
et de dialogue, il fut considéré comme un saint à
l’intérieur de l’ordre clunisien et son idéal
d’équilibre et de modération lui a mérité,
dès la fin du XIIe siècle, le surnom de Vénérable
qui est resté depuis lors attaché à son nom.