Le parcours de savant et d’homme d’État de Jean-Antoine
Chaptal est -remarquable autant par la variété que par
l’étendue de ses activités. -Médecin, chimiste
et industriel, il a fait de la science l’un des grands fils
conducteurs de sa vie. Notable politique, il a traversé sans
encombre les gouvernements qui se sont succédé de l’Ancien
Régime à la monarchie de Juillet, en se montrant un
organisateur de premier plan. Dans chacun de ces domaines, il a laissé
des marques encore visibles de nos jours.
Né à Nojaret, commune de Badaroux près de Mende,
Jean-Antoine Chaptal appartient à une famille de propriétaires
terriens qui accorde une grande place à l’éducation.
Placé d’abord à Mende au collège des Doctrinaires,
il est pris en charge par son oncle, Claude Chaptal, médecin
et professeur de médecine à l’université
de Montpellier, qui l’inscrit au collège de Rodez puis,
en 1774, le fait immatriculer à l’université de
Montpellier. Reçu docteur en -médecine en 1777, il séjourne
à Paris où il étudie la nouvelle chimie. Initié
à Montpellier dans la franc-maçonnerie en même
temps que Cambacérès, il est admis à la loge
des « Trois Sœurs » dans la capitale. En 1781, Chaptal
est choisi par les États de Languedoc pour dispenser des cours
publics de chimie, discipline qui s’organise alors autour, entre
autres, de Lavoisier. Une série de mémoires, un premier
ouvrage, ses recherches sur les applications de la chimie à
l’industrie et à l’agriculture le font connaître
de la communauté des savants. Il se lie aussi au milieu du
textile (coton) par son mariage, en 1781, avec Anne Lajard, fille
d’un riche négociant de Montpellier. Des débouchés
s’ouvrent à lui et il crée à Montpellier
en 1782 une usine de produits chimiques à « La Paille
» destinée à fournir les composés dont
le secteur a besoin : acides minéraux, bases, sels, colorants
et autres produits nécessaires au blanchissage et à
la teinture des fibres et des tissus ainsi qu’aux arts en général.
Il met notamment au point de nouveaux procédés pour
la fabrication industrielle d’acide sulfurique, de soude, et
de divers sels minéraux. Ses travaux lui valent d’être
anobli par Louis XVI en 1788.
Il prend fait et cause pour la Révolution, est élu député
au comité central de Salut public du département de
l’Hérault en 1793. Arrêté mais élargi
peu après, il est promu inspecteur des poudres et salpêtres
pour l’arrondissement du Midi par le comité de Salut
public. En juin 1794, il est nommé directeur de l’Agence
révolutionnaire des poudres et salpêtres et, en septembre,
chargé de réorganiser l’enseignement de la médecine
en France. Il est aussi choisi comme professeur de chimie végétale
à l’École centrale des travaux publics, qui deviendra
l’École polytechnique. Revenu un temps à Montpellier,
en 1795, il y réorganise l’École de santé.
Élu en 1796 associé puis, en 1798, membre de l’Institut,
il est désigné pour remplacer Berthollet comme professeur
de chimie à l’École polytechnique. Le développement
industriel reste au centre de ses préoccupations : en 1798,
il crée deux usines de produits chimiques à Paris, aux
Ternes (Neuilly) et à La Folie (Nanterre), auxquelles il associe
Coustou ; il en crée une troisième au Plan d’Arenc
(Fos). Il entre peu après dans les hautes sphères du
pouvoir -pendant le Directoire. Appelé au Conseil d’État
en 1799, il est nommé ministre de l’Intérieur,
par intérim le 6 novembre 1800, puis titulaire, le 21 janvier
1801.
Il déploie alors tous ses talents d’organisateur, en
fondant ou en recréant nombre d’institutions dont le
pays a besoin. Ses initiatives : fondation de la -première
école d’arts et métiers, rétablissement
des chambres de commerce, etc., ses efforts pour reconstituer les
corps intermédiaires en font l’un des artisans de la
reprise économique de la France sous le Consulat. En juillet
1804, Chaptal démissionne. Il est remplacé par Champigny
et nommé sénateur le 6 août. En 1808, Napoléon
1er lui décerne le titre de comte de Chanteloup (nom du domaine
proche d’Amboise qu’il avait acquis en 1802). Durant les
Cent Jours, Napoléon le nomme ministre d’État
et directeur de l’agriculture, du commerce et de l’industrie.
Au tournant du XIXe siècle, il a accédé à
une fonction qui va lui donner les moyens de réaliser le projet
qu’il avait conçu dès les premières étapes
de sa carrière scientifique : mettre la science au service
de l’industrie. En novembre 1801, il avait en effet parrainé
avec le Premier consul la fondation de la Société d’encouragement
pour l’industrie nationale ; en 1802, il en est élu premier
-président. S’inscrivant dans la droite ligne des Lumières,
il estime que sa mission est de relever le défi britannique
dans le domaine technique et industriel en -suscitant l’innovation
technologique grâce à des concours et des prix, et en
-diffusant l’information au sein des milieux techniques. Durant
sa présidence et celle de son successeur, Louis-Jacques Thenard
(1777-1857), la chimie se trouve mise en vedette avec des applications
dans des domaines variés : céruse, charbon de bois,
acier, sucre de betterave, céramique… Constamment réélu
ensuite président jusqu’à son décès,
Chaptal a résolument accompagné le -développement
économique du pays. Observateur très bien informé
grâce à ses fonctions, imprégné des idées
libérales, il dresse dans son ouvrage De l’industrie
française (1819) un panorama d’ensemble qui n’avait
jamais été présenté jusqu’alors,
tout en développant sa philosophie économique : «
l’action du gouvernement doit se borner à faciliter les
approvisionnements, à garantir la propriété,
à ouvrir des débouchés aux produits fabriqués
et à laisser la plus grande liberté à l’industrie.
On peut se reposer sur le fabricant du soin de tout le reste »,
écrit-il.
Son fils, à qui il confie en 1809 la co-direction des usines
avec le fils de Berthollet, ne se montre pas à la même
hauteur. Il est à l’origine d’une série
de déboires financiers qui ruinent le père. Ce dernier
doit notamment vendre en 1823 le domaine de Chanteloup où il
avait développé la production du sucre de betterave.
Chaptal a aussi contribué à l’essor industriel
de secteurs chimiques tels que la diffusion de la teinture du coton
par le rouge d’Andrinople, de la culture du pastel et de sa
substitution à l’indigo, du procédé Berthollet
de blanchiment. En agriculture, à côté de la fabrication
du sucre de betterave, il a contribué à la distillation
des vins et à leur fermentation avec le procédé
qui porte son nom :
la chaptalisation, procédé dont il n’est pas nécessaire
de souligner, de nos jours, l’importance pour de nombreux vignobles
français.
Chaptal a consigné son expérience scientifique et technique
dans de nombreuses publications, dont plusieurs ouvrages de chimie.
Cette abondante production témoigne de sa remarquable activité
intellectuelle, menée de front avec sa carrière politique.
Faisant abstraction de ses antécédents bonapartistes,
Louis XVIII n’a donc eu en vue que les services qu’il
avait rendus au pays, en nommant Chaptal pair de France en 1819. C’était
justice.
Gérard Emptoz
professeur émérite à l’université
de Nantes