Après le tricentenaire de l’édit de Nantes en
1998, après le centenaire de la loi de 1905, tolérance
et laïcité vont trouver un nouveau thème de -commémoration.
Trois cents ans après la mort du philosophe Pierre Bayle, on
peut relire avec délectation et profit ce qu’il écrivait
à l’aube du siècle des Lumières.
Successeur d’Érasme, précurseur des Encyclopédistes,
Pierre Bayle connut une immense célébrité au
XVIIIe siècle, en particulier grâce à son -Dictionnaire
historique et critique.
Né le 18 novembre 1647 au Carla - aujourd’hui : Le Carla-Bayle
–, Pierre Bayle, fils du pasteur réformé Jean
Bayle, est mort de la tuberculose à -Rotterdam le 28 décembre
1706, à l’âge de 59 ans. Il avait passé
vingt-cinq années dans ce « Refuge », soit plus
de la moitié de sa vie adulte.
Il avait tout d’abord étudié à Puylaurens,
puis s’était converti au catholicisme et formé
à la philosophie au collège jésuite de Toulouse,
mais avait déjà dû s’exiler à Genève
lorsqu’il était revenu au protestantisme en 1670.
Précepteur, puis professeur à l’académie
réformée de Sedan, il fut contraint à un exil
définitif dès 1681. Il se fit connaître par ses
Pensées diverses sur la comète, publiées anonymement
« à l’occasion de la comète qui parut au
mois de décembre 1680 », dans lesquelles il critique
les superstitions et propose une approche subversive de la croyance.
Quand Louis XIV révoque l’édit de Nantes, Pierre
Bayle publie à Rotterdam en 1686 son Commentaire philosophique
sur ces paroles de Jésus-Christ : « contrains-les d’entrer
» où il dénonce l’intolérance religieuse.
Comme dans son pamphlet intitulé Ce que c’est que la
France toute catholique sous le règne de Louis le Grand (1686),
il défend le droit d’exprimer ses idées pour quiconque,
et l’impossibilité morale de justifier la persécution.
Dès 1684 et pendant trois années, il avait publié
un journal, les Nouvelles de la République des Lettres, qui
lui avait permis d’établir un vaste réseau européen
de correspondants érudits.
Son célèbre Dictionnaire historique et critique parut
à Rotterdam en 1696. Interdit en France, il se répandit
à travers toute l’Europe. Plusieurs fois réédité
et même traduit en anglais et en allemand, le Dictionnaire développe
sur le fondement d’une immense érudition « le réquisitoire
le plus accablant qu’on ait jamais dressé pour la honte
et la confusion des hommes ». C’était l’appréciation
de Paul Hazard, dans La Crise de la conscience
européenne, qui poursuivait ainsi :
« Presque à chaque nom surgit le souvenir d’une
illusion, d’une erreur, d’une fourberie ou même
d’un crime. Tous ces rois qui ont fait le malheur de leurs sujets
; tous ces papes qui ont abaissé le catholicisme au niveau
de leurs -ambitions, de leurs passions ; tous ces philosophes qui
ont bâti des systèmes absurdes ; tous ces noms de villes,
de pays qui rappellent des guerres, des spoliations, des massacres...
»
C’est pourtant sur cette base pessimiste que Pierre Bayle fonde
le principe de tolérance : aucune morale, aucune religion ne
sauraient garantir un accès certain à la vérité.
Sceptique ? Perturbateur ? Libre penseur ? Promoteur de la laïcité
ou même de l’athéisme ?
Pour Élisabeth Labrousse, qui lui a consacré sa vie
et son œuvre, Bayle « étranger
à toute idéologie du progrès et au déisme
du XVIIIe siècle demeure calviniste et croyant ».
Lues aujourd’hui, les œuvres de Bayle déconcertent
par leur liberté de ton et par leur exigence éthique,
mais apparaissent d’une étonnante actualité. Sa
vie, que l’édition en cours de sa correspondance permet
de découvrir, est celle d’un penseur qui a toujours revendiqué
une complète liberté d’expression.