L’événement, voulu
comme tel, longuement préparé, a été largement
diffusé en France et à l’étranger. Aujourd’hui,
ces images en noir et blanc sont encore connues, davantage peut-être
que celles des records qui ont accompagné l’ouverture des
lignes à grande vitesse des vingt dernières années,
jusqu’à la vitesse encore inégalée de mai
1990 : 515,3 km/h.
Le « record du monde de vitesse sur rail » appartenait à
la technique -ferroviaire et électrique allemande depuis 1903.
Des essais de vitesse étaient poursuivis par la SNCF depuis 1954
et le cercle des passionnés, comme les médias, attendaient
un record de la « Division des études de traction électrique
» de la SNCF dirigée par le polytechnicien Marcel Garreau
(1903-1982), acteur majeur de l’électrification du réseau
alors en plein essor (celle de la ligne Paris-Lyon est achevée
en 1952). Le chef des opérations était l’ingénieur
électricien Fernand Nouvion (1905-1999).
Le site était choisi et préparé : la ligne des
Landes, de Bordeaux à Dax, sur la section Facture – Morcenx
(68,2 km) qui comprend une ligne droite de 46 km. Les deux locomotives,
l’une, exemplaire d’une série, en service depuis
deux ans, l’autre, prototype, en service commercial depuis quelques
mois, devaient représenter les productions de l’industrie
française – Alsthom pour la CC 7 107, le Matériel
de traction électrique pour la BB 9 0041.
Le 28 mars, la machine Alsthom atteint une vitesse de 320 km/h. Elle
remorque trois voitures adaptées aux essais, à la carrosserie
aérodynamique.
Le lendemain, après un meilleur départ, mais une arrivée
qui aurait pu être catastrophique car un mouvement serpentin «
de lacet » s’est déclenché lors de la décélération
et l’image des rails déformés par le passage du
train reste impressionnante, la BB 9 004 et sa suite atteignent 330
km/h. Aussitôt la SNCF fait savoir que les deux locomotives ont
atteint la même vitesse de 331 km/h (200 miles
per hour) et qu’il n’est pas question de compétition
entre les représentants de l’industrie française…
Largement commenté, le record a atteint deux objectifs :
-Il a mobilisé les quelque 374 000 agents de la SNCF de l’époque
et les a -lancés dans une course à l’excellence
à un moment où la IVe République décriait
le train et dénonçait les déficits de la SNCF.
-Au risque réel d’un échec meurtrier, il affirme
la possibilité de la vitesse sur rail et l’avenir de ce
mode de transport concurrencé et relance ainsi tout un secteur
industriel, constructions mécaniques et électriques.
Cependant, il s’agit surtout de l’aboutissement d’une
série d’essais. « Les expériences de Morcenx
» démontrent les forces et les limites des options techniques
retenues pour généraliser en France une traction électrique
fiable, peu coûteuse à construire et à entretenir,
puissante et rapide. Elles font la preuve de l’inadaptation de
l’alimentation électrique en courant continu 1 500 V qui
impose des intensités élevées lorsque de grandes
puissances sont requises.
C’est avec l’adoption,
la même année, du courant monophasé à fréquence
industrielle (25 000 V- 50 Hz) que le deuxième facteur du développement
de la technique ferroviaire et de la vitesse est acquis.
La conception technique réputée traditionnelle du TGV
français, qui repose vingt ans plus tard sur des éléments
techniques éprouvés, qu’il s’agisse d’alimentation
électrique, de moteurs, de constitution de la voie ferrée,
tous bien sûr renouvelés par de multiples innovations,
peut être rattachée aux essais – et au record –
de mars 1955, tout comme l’esprit de ses concepteurs était
animé de l’enthousiasme des pionniers entreprenants qui
avaient risqué leur vie une génération plus tôt.