Aucun portrait ne paraît plus
trompeur que celui de Magendie par Guérin : ce visage romantique
de chérubin bouclé émergeant d’une cravate
immaculée que l’on penserait nouée par Brummel en
personne. On est loin du savant arrogant, querelleur, manipulant ses
statistiques comme ses expériences et de qui beaucoup de ses
contemporains se tiennent à distance. Mais ce n’est pas
tout : Magendie était aussi un lâche qui, à deux
reprises, en 1805 et 1813, aura su se soustraire à la conscription.
La vérité est plus proche de Guérin, à condition
de placer dans les yeux et sur les lèvres de son modèle
cette certitude de supériorité qu’il n’y a
pas mise et dont Magendie était le premier persuadé. Une
certitude que l’avenir justifiera amplement, au point qu’en
1975 l’Allemand Carl Lichtenthaeler, l’un des meilleurs
historiens contemporains de la médecine moderne, considérait
que celle-ci se scindait en deux tranches : avant et après Magendie.
Né à Bordeaux en 1788, François Magendie, à
peine arrivé à Paris, va en 1809 dénoncer avec
véhémence le Vitalisme de Bichat, tout en posant, comme
en se jouant, les bases de la physiologie cellulaire, et cela quelque
trente ans avant que la cellule animale n’ait été
découverte. La même année, il se lance dans l’étude
de l’action toxique de différentes plantes et l’on
peut dater de ce travail le démarrage en France de la pharmacologie
expérimentale. Dès lors, dans la soupente où, loin
de son service hospitalier, il mène ses expériences, celles-ci,
qu’elles soient végétales ou animales, vont déferler
dans les domaines les plus variés, voire les plus inattendus,
qu’il s’agisse du mécanisme des vomissements, de
la fixation des images sur la rétine, de l’assimilation
du suc pancréatique ou des prémisses de l’anaphylaxie.
Mais c’est en 1822, lorsqu’il démontre le rôle
des racines rachidiennes, que son nom va acquérir sa dimension
internationale. Avec éclat mais aussi éclats. À
peine a-t-il objectivé le caractère moteur des racines
antérieures et sensitif des postérieures que l’anatomiste
anglais Charles Bell s’exclame que ce n’est là qu’un
plagiat de ses propres expériences (1). Rapidement le ton monte
de part et d’autre de la Manche, les invectives pleuvent, arbitrées
par la communauté scientifique. Mais Magendie sort vainqueur.
Sans doute connaissait-il – ce qu’il contestera toujours
– les travaux de son challenger, mais ceux-ci n’étaient
que fragmentaires au niveau des racines -antérieures et ignoraient
tout des postérieures.
Dans ce foisonnement de « trouvailles » – comme
disait Laennec de sa découverte du stéthoscope –
Magendie mêla quelques erreurs, dont la plus -surprenante –
de sa part – a été son opposition irréductible
à la mise au point de l’anesthésie. Peut-être
lui reprochait-il avant tout de venir d’un autre que lui …
Mais plus encore que par ses recherches, si importantes soient-elles,
c’est au tournant qu’il imprime à la pensée
médicale qu’il doit sa place dans l’histoire de
la médecine. Avec lui, pour qui ne comptent que les faits,
le coup d’œil du clinicien demeure essentiel, mais il se
porte sur des lésions organiques déjà en route
dont il faut pour les stopper comprendre les mécanismes. C’est
là que la clinique doit faire appel à la physique et
la chimie (2). « La médecine est la physiologie de l’homme
malade », martèle-t-il en une formule lapidaire dont
Claude Bernard, son élève (3), dira qu’elle résumait
tout.
Balzac, dans La Peau de Chagrin, donne
vie, le temps d’une consultation, au Dr Maugredie où,
derrière « son sourire sardonique » et sa religion
de « s’en tenir aux faits », se reconnaît
aisément Magendie.
Jean-François Lemaire
docteur en médecine
docteur en histoire
1. An Idea of a New Anatomy of the Brain, Londres, 1811
2. Les cliniciens « purs » seront longs à l’admettre.
En 1927, dans une lettre à Charles Nicolle, Pasteur Vallery-Radot
déplorait la manière dont les médecins tenaient
encore à distance les chimistes. (PVR à C.N. BMR (Rouen)
HSmm 163 (03.01.1927).
3. Son seul élève, pourrait-on même dire. Mais,
quitte à n’en avoir qu’un, observons sa dimension.