Pourquoi Louise Michel est-elle une
des très rares femmes à être reconnue par l’Histoire
de France ? Pourquoi est-elle la seule femme dont une station du métro
parisien porte le nom ?
Parce qu’elle a combattu sur les barricades pour défendre
la Commune de Paris en 1871, c’est vrai. Habillée en uniforme
de la Garde nationale, elle a marché au combat avec le 61e bataillon
de Montmartre ; elle a grimpé à l’assaut des troupes
versaillaises, brandissant un drapeau ; elle a tiré à
la carabine Remington, sans faiblir, sans peur aucune ; des nuits entières,
elle a défendu des tranchées pilonnées par les
obus de l’armée de Thiers ; elle a tenu le cimetière
Montmartre parmi les derniers irréductibles, pendant la Semaine
sanglante. Sa témérité impressionne.
Mais d’autres femmes ont été courageuses pendant
la Commune, qui s’était levée pour la justice sociale.
Ce qui a fait de Louise Michel une person-nalité célébrée
par Victor Hugo (il la nomme Viro Major : plus grande qu’un homme),
ce qui a fait d’elle une figure acclamée par d’innombrables
foules, une légende vivante, c’est d’abord et avant
tout sa parole.
Sous la Commune, elle a été instigatrice. Elle a harangué
les citoyennes et les citoyens des clubs, hué les lâches,
poussé de la voix, galvanisé les Fédérés.
Lors de son procès par les Versaillais, elle lança cette
phrase aux juges qui la condamnaient à la déportation
: « Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi
». Sa parole hardie, provocatrice, rapportée par toute
la presse, fit d’elle l’âme de la Commune, la porte-parole
du peuple opprimé, le modèle des femmes insoumises.
En Nouvelle-Calédonie, où elle purgea sa peine pendant
sept ans, sa voix fit encore merveille : enseignement aux petites Caldoches,
discours de rébellion aux Canaques.
Depuis le moment de son retour triomphal en France en 1880 jusqu’à
sa mort, elle ne cessa de parcourir le pays, de ville en ville, psalmodiant
les récits mémorables de la Commune, prophétisant
l’avenir radieux de l’anarchie, -l’apothéose
de la Révolution qui, telle un cyclone, balayera le vieux monde
et ses horreurs et transformera tout être humain en papillon…
Elle est connue comme chef de file anarchiste, elle qui n’a pas
lancé de bombes, mais qui a magnifié les auteurs d’attentats
: « tueurs de monstres, pour que vive l’humanité
» (1).
Polygraphe, elle a abordé tous les genres littéraires et publié
poésies,
chansons, romans, essais, mémoires, pièces de théâtre,
nouvelles, opéra, récits pour enfants. Sa plume vive,
exaltée, emphatique, expressionniste, comme sa parole enfiévrée,
tourmentée, émouvante, ont la même palette de
gris sombre et de rouge intense pour peindre la société
« aux mâchoires d’ogresse » et la lutte épique
jusqu’à une « aube splendide de délivrance
» (1)… Ce fut une femme au verbe haut.
Xavière Gauthier
écrivaine
maîtresse de conférences à l’université
de Bordeaux III
chargée de recherches au CNRS Lyon II
présidente de l’Association internationale Louise Michel
1. Louise Michel : Histoire de ma vie, 1904 (édition
critique PUL, 2000)