Chirurgien et physiologiste. C’est
ainsi que René Leriche se définissait et c’est bien
ainsi que l’on peut analyser son œuvre. Marier physiologie,
chirurgie expérimentale et clinique, était novateur au
début du XXe siècle, à un moment où la rapidité
opératoire était la règle. Un séjour aux
États-Unis en 1913 a influencé Leriche qui estimait que
c’était là que se trouvaient « les héritiers
chirurgicaux de Claude Bernard ». Après ses études
à la faculté de médecine de Lyon, il réalise,
au contact de W. Halsted et de H. Cushing, que la chirurgie peut être
un outil scientifique privilégié et participer à
l’explosion des connaissances dans le domaine de la physiologie.
En 1925, lors de sa leçon inaugurale à la chaire de clinique
chirurgicale de l’université de Strasbourg, il affirme
que la chirurgie ne doit plus se limiter à la correction ou à
l’ablation des lésions anatomiques mais qu’elle doit
s’attaquer au traitement des troubles fonctionnels. Son domaine
de recherche et de pratique chirurgicale est le système vasculaire
et sa commande par le système nerveux sympathique.
Ayant constaté l’existence
de réflexes vasomoteurs importants lors d’interventions
chirurgicales, il émet l’hypothèse que certaines
pathologies sont déterminées par ces phénomènes
plutôt que par des lésions anatomiques sous jacentes. Une
telle conception le conduit à promouvoir des interventions neurovasculaires
: en interrompant chirurgicalement le système nerveux sympathique
innervant un territoire artériel et tissulaire, il prédit
et obtient une vasodilatation et une hyperrhémie qui restaurent
en partie la fonction physiologique du tissu irrigué.
Les relations ontologiques, anatomiques et fonctionnelles entre les
vaisseaux et les nerfs sont étroites, et sont toujours un sujet
actuel de recherche. Leriche a montré la présence de réactions
vasomotrices locales indépendantes de la circulation générale,
l’existence d’une innervation sympathique des vaisseaux
coronaires dont le dérèglement pourrait être à
l’origine d’un syndrome angineux, l’origine neurologique
de certains troubles vasomoteurs lors de -traumatismes.
Il applique avec succès des techniques opératoires nouvelles
s’appuyant sur ses recherches sur le contrôle de la vasomotricité
par le sympathique. Ces méthodes s’avèrent efficaces
– au moins dans un premier temps – dans une variété
d’indications telles que l’artérite oblitérante
des membres inférieurs, les troubles vasomoteurs post-traumatiques,
etc.
En 1939 il succède à Charles Nicolle au Collège
de France ce qui lui permet de continuer ses recherches en y créant
un laboratoire de chirurgie expérimentale et de conceptualiser
ses théories sur la physiologie et la pathologie. Dans le sillage
de Claude Bernard, Leriche déclarait que « la maladie apparaît
surtout comme une perversion fonctionnelle » ; une simple déviation
fonctionnelle étant capable, selon lui, de provoquer la maladie
avant de créer des dégâts anatomiques irréversibles.
Ainsi, un spasme artériel chronique engendre à la longue
des lésions vasculaires, une entorse grave des lésions
osseuses.
Les tentatives de Leriche à rétablir une physiologie normale
dans diverses situations pathologiques en pratiquant des sections chirurgicales
-limitées du système nerveux sympathique précèdent
de loin la découverte des agents pharmacologiques bloquant sélectivement
les différents récepteurs du même système.
La guerre de 1914-1918 et son cortège de mutilés ont
amené Leriche à se pencher sur les douleurs des blessés
et des amputés. Il fut sans doute l’un des tout premiers
chirurgiens à s’intéresser à la douleur
– son premier ouvrage sur ce sujet date de 1917 – recourant
à l’ablation des plexus sympathiques afin de supprimer
une vasoconstriction locale et permettre une vasodilatation. Persuadé
que la chirurgie était un procédé contre nature,
ce chirurgien a prôné et mis en pratique une chirurgie
douce, économe en sang, aussi atraumatique que possible. À
l’image de l’homme décidé, réfléchi,
généreux et doux qu’il a laissée.
Pierre Corvol
membre de l’Institut
professeur au Collège de France
chaire de médecine