Alors que les négociateurs du congrès de Vienne défilaient
dans l’atelier d’Isabey, qui aurait pu se douter que la
vie de l’artiste avait commencé dans une épicerie
de Nancy ? Talleyrand l’avait chargé d’exécuter
une « Conversation Piece » des ministres remodelant l’Europe
après Napoléon. Surchargé de commandes, le portraitiste
se déplaçait seulement pour les -impératrices ;
les autres souverains venaient gratter à sa porte, selon l’usage
du temps.
La situation d’Isabey était paradoxale : il avait associé
sa réputation naissante à celle de Bonaparte. Compagnon
de jeux des Beauharnais à Malmaison, il était devenu une
sorte de maître de cérémonies aux Tuileries. Il
avait notamment participé à la mise en scène du
sacre : en témoigne un fort beau recueil d’estampes qui
complète l’image passée à la postérité
grâce à David.
Aux yeux de l’Europe, Isabey représentait l’excellence
de l’école française de miniaturistes. Il avait
assis sa renommée sur d’admirables ivoires peints à
la gouache, généralement entourés de cadres précieux
ou sertis dans des boîtes d’or. Il s’était
adapté au Blocus continental, qui le privait d’ivoire,
en adaptant son talent à de grandes feuilles de parchemin, propices
au traitement de -l’aquarelle et aux beaux effets de ciel. Émergeant
de nuages dignes de Raphaël, les modèles d’Isabey
devaient une éternelle jeunesse aux gazes tourbillonnant autour
de leur visage.
La renommée, souvent mesquine, reprocha à Isabey de s’être
complaisamment accommodé de tous les régimes politiques
de la France, entre 1789 et 1855, date de sa mort. À ceux qui
lui en faisaient grief, Isabey répondait qu’ayant beaucoup
fréquenté les Tuileries, il n’y avait certes pas
vu les mêmes personnes, mais toujours les mêmes familles…
!
La clef de la personnalité d’Isabey réside dans
une faculté d’adaptation peu commune, fondée sur
la multiplicité des dons nécessaires aux artistes de cour.
Isabey était né un an après le rattachement de
la Lorraine à la France. -L’exceptionnelle floraison artistique
du duché avait laissé des traces, ou plutôt des
habitudes. On allait en Italie pour approcher le « grand goût
». Parfois, on passait le Rhin à l’appel de quelque
prince possessionné, mais l’on revenait très vite
à Lunéville où Léopold, puis Stanislas faisaient
vivre des ateliers entiers. Isabey transposa ces pratiques à
Paris.
L’artiste de cour devait s’adapter à l’humeur
du prince et répondre à tous ses besoins, comme celui
des petits portraits. La mode s’en était généralisée
après 1750 et, dès l’époque de Stanislas,
les Lorrains avaient excellé dans la miniature. La carrière
d’Isabey s’inscrit dans une école qui compta aussi
Dumont, Augustin, Laurent, parmi quelques dizaines de miniaturistes
talentueux. En 2005, c’est Malmaison qui retracera l’itinéraire
artistique d’Isabey, avant le musée des beaux-arts de Nancy,
une double occasion d’évoquer le peintre, le lithographe
et le décorateur.