Après des études théologiques
en Sorbonne (où il s’initia à l’hébreu),
puis au séminaire d’Auxerre, foyer janséniste, Abraham-Hyacinthe
Anquetil, quatrième enfant d’une nombreuse famille, fréquenta
des milieux vieux-catholiques en Hollande où, passionné
par l’Orient, il étudia l’arabe et le persan. Peu
attiré par l’apostolat, il revint à Paris poursuivre
l’étude des langues et des religions d’Asie à
la bibliothèque du roi.
En 1754, examinant les décalques de quatre feuillets du Vendîdâd
de la Bodléienne, il résolut de s’attaquer au déchiffrement
des textes sacrés de la Perse et de se rendre en Inde. Il s’enrôla
comme simple soldat mais, grâce aux démarches d’amis
et de protecteurs, son engagement fut annulé. Il reçut
un pécule et la Compagnie des Indes lui accorda « passage
franc, cabine et table du capitaine ». Le 7 février 1755,
le vaisseau Duc d’Aquitaine appareilla pour Pondichéry
où il accosta le 10 août.
Cependant, la guerre venait de reprendre entre les Anglais et la Compagnie
et il lui fut difficile de nouer des contacts avec la communauté
Parsi, ces descendants des Iraniens émigrés en Inde vers
le Xe siècle. Anquetil-Duperron parcourut le pays et atteignit
Surate, au Gujerat. Là, moyennant 100 roupies, il put recopier
le manuscrit du Vendîdâd en zend et en pehlvi. En janvier
1757, son frère Anquetil de Briancourt devint chef du comptoir
français de cette localité : Abraham-Hyacinthe reçut
alors divers manuscrits, entre autres la traduction du Vendîdâd
en persan moderne, qui porte au recto du premier feuillet une note de
sa main : « traduction du manuscrit de Zerdust (Zoroastre), législateur
des Parsi (anciens Persans, Guèbres) ».
Durant trois ans, il travailla sur
les livres sacrés de la religion mazdéenne, sous la direction
du prêtre Darab, qui lui fit même -visiter, déguisé
en parsi, le temple où officiait son fils. Pondichéry
étant tombée aux mains des Anglais, il dut rentrer en
mars 1761, rapportant en Europe 180 manuscrits, qu’il déposa
à la bibliothèque du roi.
En 1763, il fut nommé associé de l’Académie
des inscriptions et belles-lettres : il n’avait pas encore 32
ans. C’est en 1785 que ce savant modeste mais résolu, d’un
caractère difficile, fut admis dans la classe des pensionnaires.
Entre-temps, il avait accompli une tâche énorme. En 1771
parurent les trois volumes du Zend-Avesta, qui présentaient l’essentiel
de ses découvertes ; ils suscitèrent nombre de polémiques,
surtout en Angleterre. Puis ce fut La législation orientale en
1778, ses Recherches historiques et géographiques sur l’Inde
en 1786, et l’Inde en rapport avec l’Europe en 1790.
Très isolé, irascible et ombrageux, il traversa la Révolution
en continuant à travailler sur les livres sacrés de l’Inde
d’après leurs versions persanes. En 1804, il publia les
deux volumes Oupnek’hat ox Oupanichad (théologie des Védas),
traduction latine de textes didactiques, védiques et postvédiques,
exécutée d’après une version persane de 1656.
Presque aveugle, secouru par ses frères, Anquetil-Duperron
manifesta encore la vigueur de ses principes en refusant de prêter
serment de fidélité et en menaçant de démissionner
de l’Institut de France lors de sa réorganisation en
1804 par Napoléon. Par le discours prononcé à
ses obsèques, Sylvestre de Sacy lui ouvrit les chemins de la
gloire. Des documents qu’il a rapportés et de ses études
sont sortis les travaux de Burnouf et de Darmesteter ; c’est
grâce à ce pionnier de l’indianisme qu’ont
pu être présentées les premières tentatives
de reconstitution de la religion de Zoroastre.
Jean Leclant
secrétaire perpétuel de l’Académie des
inscriptions
et belles-lettres
président du Haut comité des célébrations
nationales