Le 2 mars 1954, Sacha Guitry écrivait dans L’Officiel
du spectacle : « Mireille. Pas celle
de Gounod, l’Autre. Celle de “Couchés dans le foin”,
que l’on entend à la radio – à condition
de l’écouter, car il faut bien tendre l’oreille
pour l’entendre, et c’est le premier témoignage
qu’elle nous donne de son tact infini, puisque voilà
plus de vingt ans qu’il opère et qu’il charme...
Nous l’écoutions à Monaco, et son émission,
d’un bout à l’autre, fut exquise. Entourée
à merveille, elle nous a chanté des couplets ravissants,
spirituels et fins, et nous nous demandions comment il se faisait
qu’une artiste pareille n’ait pas été appelée
par le Conservatoire pour enseigner le chant à tant de malheureux,
à tant de malheureuses, qui piaillent vainement, qui hurlent
sans raison ou qui bêtifient.
… Elle leur dirait beaucoup de choses que j’ignore et
dont elle a le secret … »
Mireille, d’abord perplexe : – « Un conservatoire
de la chanson ? Il est fou ! il rêve ! » –, se retrouve
soudain persuadée que Guitry a raison, grâce, dit-elle,
« aux petits lutins qui, discrètement, ont toujours protégé
et guidé ma vie… ».
…Mais pour concrétiser le projet, elle a besoin d’un
piano, de son tabouret, d’un micro sur pied et de bancs pour
les élèves. Où trouver cela ? … À
la radio, bien sûr ! … Elle va donc solliciter Paul Gilson,
directeur général de la radio nationale à cette
époque, et s’adresse à lui en ces termes : «
Le charme, la gouaille, la présence, ça ne s’apprend
pas plus que le fluide que peut dégager Maurice Chevalier à
travers un simple geste ou sourire. Le génie d’Édith
Piaf, c’est de savoir mieux que personne faire passer une émotion
à laquelle on ne peut pas être insensible. À quelle
école Bourvil a-t-il appris sa malice, sa -candeur, sa fraîcheur
? À celle des parterres de spectateurs, voyons ! Parce qu’il
a eu la chance d’arriver jusqu’à eux, ce qui n’est
pas donné à tout le monde … Mais en quel lieu
les jeunes poètes, paroliers, musiciens, interprètes
ont-ils la possibilité de se retrouver ? … Nulle part.
Personne à qui parler, confier, avouer leurs angoisses et leurs
problèmes … Ils en sont réduits à errer,
tels des -orphelins, alors que réunis, rassemblés, ils
deviendraient leur premier public … C’est en cela que
nous pouvons leur être utiles : écouter, regarder, veiller,
-empêcher, éviter que la stagnation ne soit trop longue,
détecter plus vite, plus tôt le talent latent …
».
Paul Gilson, convaincu par la « grande - petite dame »,
l’adresse alors à Jean Tardieu, directeur de France IV,
qui est, en outre, écrivain, dramaturge et poète ! …
Celui-ci lui offre aussitôt de s’installer au 37, rue
de l’Université, dans l’un des studios réservés
au Club d’essai de Pierre Schaeffer. Par prudence, il propose
au départ un semestre de rodage à travers une émission
d’une demi-heure diffusée le dimanche de 18 h à
18 h 30, proposition acceptée avec enthousiasme par la créatrice
du « Petit Chemin » et d’« Une demoiselle
sur une balançoire… ».
Le 18 mars 1955 a donc lieu la première séance du «
Petit Conservatoire » de Mireille. Le premier élève
s’appellera Ricet-Barrier. Bien d’autres suivront : Hugues
Aufray, Françoise Hardy, Alice Dona, Jean-Jacques Debout, Pascal
Sevran, Yves Duteil, Sylvie Joly, Hervé Christiani, Danièle
Évenou, Colette Magny, Sapho, Sabine Paturel, Sophie Forte,
Daniel Prévost, Philippe Castelli, j’en passe énormément,
qu’ils m’en excusent, la liste est interminable.
Parti pour ses six mois probatoires, le « Petit Cons. »
durera 40 ans, pas moins ! Plusieurs générations d’artistes
y auront bénéficié des conseils toujours sûrs,
avisés, de l’ironie bienveillante et de la généreuse
lucidité de Mireille. Sans elle, le paysage actuel de la chanson
ne serait certainement pas le même. Merci, Madame !
Catherine Bertho Lavenir
professeur d’histoire contemporaine
université de Paris III-Sorbonne nouvelle
1. Morvan Lebesque, Comment peut-on être breton, Paris, Seuil,
1970, p. 37