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programme des manifestations
Frédéric-Auguste Bartholdi
n’a pas la réputation de génie artistique qui
reste attachée, légitimement, à Auguste Rodin,
mais il l’égale au moins en célébrité
par son goût particulier pour le gigantisme, en un temps où
la grandeur du monument de place publique était censée
s’harmoniser avec le triomphe idéologique du siècle
des nations et de la liberté. Gigantisme et République
française sont bien les deux marques originales qui ont valu
une gloire durable au « lion de Belfort » (de Belfort
à Paris) comme à la « Liberté éclairant
le Monde » (de Paris à New York).
L’Alsacien Bartholdi, fidèle à son pays d’origine,
fut en 1870 un patriote capable de combattre les Prussiens dans
une unité de francs tireurs, et il soutint tout aussi naturellement
la République de Gambetta. Appelé à célébrer
la défense par Denfert Rochereau de Belfort assiégé,
il reprit le parti déjà utilisé à Lucerne
(Suisse) par le danois Thorwaldsen en l’honneur des victimes
suisses et royalistes de notre 10 août : sculpter un lion
mourant à même la paroi rocheuse d’une montagne.
Le lion de Belfort, surplombant Belfort, mais en attitude de combat,
est tout aussi géant. Sa reproduction à Paris sur
la place Denfert Rochereau, quoique réduite au quart, est
encore de belle taille, et elle constitue l’un des principaux
repères de la Rive gauche.
Spécialiste de la grandeur, Bartholdi devait être chargé
d’une autre entreprise idéologique et sentimentale,
la statue de la Liberté offerte à la République
américaine par les libéraux français, bientôt
devenus républicains : la France, enfin constituée
en une démocratie de liberté, saluait la démocratie
américaine qui avait maintenu son unité et aboli enfin
l’esclavage. Cette amitié des deux républiques
exemplaires, celle de l’ancien monde et celle du nouveau,
devait inspirer l’univers entier en l’inondant de sa
lumière « éclairant le monde ».
La Liberté de Bartholdi est immense (93 m. de la base du
socle à la pointe de la torche brandie), parce que –
on l’a dit – l’auteur aime le grand, parce que
le grand est par nature triomphant, mais encore parce que le grand
est la seule échelle qui convienne à un site en bordure
de l’océan, parce que le grand enfin – on ne
saurait l’omettre – requiert un exploit technique d’architecture
qui est par lui-même un hymne au progrès.
On ne saurait oublier que, pour le montage des pièces de
sa statue en un véritable édifice, Bartholdi avait
le concours de Gustave Eiffel, lequel, peu -d’années
après, bâtirait à Paris la géante «
non figurative » que l’on sait.
La « Liberté éclairant le monde » de Bartholdi,
à l’entrée du port de New York, est célèbre.
Elle l’est encore grâce à ses reproductions de
plus modeste échelle dont l’une à Paris, sur
la Seine.
Elle l’est au point d’avoir transformé la symbolique
même de la liberté. Remarque-t-on assez que la Liberté
de Bartholdi est la première représentation de l’idée
de liberté qui ait renoncé à l’association
séculaire entre cet idéal et le bonnet phrygien ?
Bartholdi est-il le premier qui ait compris que, depuis la Révolution
de 1789 et ses spectaculaires prolongements dans la France du XIXe
siècle, le -bonnet phrygien était moins associé
à la liberté en général qu’à
la liberté à la française, à la République
française, à la limite à la France tout court,
et que, par conséquent, la liberté idéale,
universelle, universalisable, devait avoir son propre langage ?
Il y a réussi en tout cas. De nos jours, quand on veut signifier
la liberté (comme à Pékin, place Tien an Men,
en 1989), ce n’est pas un bonnet que l’on montre mais
un mannequin féminin avec des rayons sur la tête et
un bras droit levé tenant un luminaire…
Bartholdi a fait d’autres statues, plus classiques, mais il
était si bien le maître du gigantisme républicain
qu’on le fit encore travailler, à la fin de sa vie,
au monument célébrant « les aéronautes
du siège » (Gambetta et consorts s’envolant de
Paris assiégé dans une périlleuse navigation
aérienne, pour continuer la lutte en province). Le ballon
était réaliste, donc énorme (Paris, porte des
Ternes, aujourd’hui place général Koenig). Mais
il n’a pas résisté à l’épuration
des années de l’Occupation déguisée en
récupération des métaux non ferreux. Récupérons
du moins aujourd’hui sa mémoire, elle complète
bien le bilan d’une œuvre peu ordinaire.
Maurice Agulhon.
professeur honoraire au Collège de France
membre du Haut comité des célébrations nationales
Portrait par Jean Benner, huile sur toile
1886, Paris
Musée Bartholdi, Colmar
© musée Bartholdi / Christian Kempf |
Le Lion de Belfort in situ
Photographie de Christian Kempf
Musée Bartholdi, Colmar
© musée Bartholdi / Christian Kempf
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