C’est à partir de 1504
que l’Arioste entreprit de rédiger diverses ébauches
du Roland furieux, dont il publia trois éditions en 1516,
1521 et 1532. Son poème s’organise librement autour
des lignes de force suivantes : la guerre entre les chrétiens
et les païens, conduits respectivement par Charlemagne et par
Agramant ; l’amour de Roland pour Angélique, qui mène
le héros à la folie ; la fondation de la maison d’Este,
grâce au mariage providentiel de Roger et de Bradamante.
Sa structure repose sur l’«
entrelacement » des aventures toujours renaissantes d’une
foule de personnages engagés dans la « quête
» de l’objet de leur désir, si bien que le mouvement
et le changement constituent le caractère dominant d’une
œuvre où le refus de tout esprit de système figé
atteste la souplesse féconde d’une pensée dégagée
du dogmatisme médiéval.
Attachée à quelques certitudes essentielles, au premier
rang desquelles règne la raison, la sagesse compréhensive
de l’Arioste crée, quand il observe la sombre et impitoyable
réalité, un univers poétique qu’éclaire
un sourire, indulgent aux faiblesses humaines, mais qui refuse le
scepticisme : les vertus qui lui sont les plus chères –
esprit de sacrifice, fidélité en amour et en amitié,
honneur et loyauté, justice et courtoisie – sont illustrées
par maintes histoires touchantes, tandis que sa croyance en un Dieu
vengeur, qui fait songer au terrible Christ du Jugement dernier
de Michel-Ange (1536-1541), est probablement la note religieuse
la plus authentique du Roland furieux.
L’inspiration comique y sert de contrepoids à l’inspiration
épique et tragique, merveilleuse et pathétique, pour
atteindre à ce « ton moyen », qui représente
un des traits fondamentaux de l’œuvre. C’est assez
dire que l’effort de l’Arioste pour « raconter
en chantant » aboutit à une eurythmie telle que les
conflits s’apaisent et que les passions se calment dans les
vers qui les expriment. Cette alliance contrastée des thèmes
et des modes entraîne parfois une ambiguïté volontaire,
évidente dans le débat pour ou contre les femmes,
et propre à demander au lecteur une tentative d’interprétation,
source de la joie intellectuelle que porte en soi ce « poème
de l’intelligence ».
André Rochon
ancien professeur à la Sorbonne
Portrait de Ludovico Ariosto, dit l’Arioste
Anonyme, fin XVIe siècle
© Costa / Leemage