Célébrations nationales
2004
>> 1804,
L’Empire
Les guerres napoléoniennes
et les progrès de la chirurgie
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programme des manifestations
Jusqu’aux guerres napoléoniennes,
les combats, du moins tant que n’y intervenait pas le corps-à-corps,
ont souvent fait plus de vacarme que de victimes. En 1781, le siège
de Yorktown qui débouche sur la capitulation anglaise, mettant
ainsi fin à la guerre d’indépendance américaine,
coûta à la France 86 tués et il y en aurait eu une
vingtaine de moins sans une maladroite contre-attaque de Chastellux. Pour
leur part, les Anglais comptèrent 350 morts et les Américains
88. En 1799, lors de l’expédition d’Égypte,
la situation demeure du même ordre et Bonaparte prend lui-même
la plume, le 17 mai (lettre 4144 de sa correspondance), pour ordonner
l’évacuation « d’une quinzaine de blessés
sur des brancards (qu’on) prendra en passant à l’ambulance
».
Douze ans plus tard, les choses ont bien changé, c’est désormais
par milliers de tués et de blessés que les pertes se comptent,
permettant même au mathématicien qu’est resté
l’empereur de mêler statistiques et prévisions. En
octobre 1812 (lettre 19 250), il considère que sur 6 000 blessés,
2 500 seront morts trois mois plus tard, 1 000 seront encore hors de combat
et 2 500 auront regagné leurs unités. Les chiffres ne cessent
de gonfler. L’année suivante, Napoléon estime qu’il
y a à Dresde 9 000 malades ou blessés (lettre 20 222 –
juillet 1813) qui l’embarrassent bien, mais ce sera encore pire,
moins d’un an plus tard (lettre 21 319 – février 1814)
lorsqu’il cherchera à en répartir 24 000 entre Rouen,
Chartres et Paris.
À l’évidence, les chirurgiens ne chômèrent
guère au long des différentes campagnes qui ponctuèrent
l’épopée et, malgré les soupçons que
lui vaut son incorrigible vantardise, Larrey peut être considéré
comme crédible, lorsque, dans les jours suivant Wagram (1809),
il écrit à sa femme : « plus de 10 000 blessés
sont passés dans nos ambulances, j’ai mis cinq jours et cinq
nuits à opérer… » Une question vient dès
lors aux lèvres : dans la mesure où, à la lumière
de sa -correspondance, nous voyons l’empereur très au fait
de l’augmentation quasi vertigineuse du nombre des victimes, a-t-il
donné au service de santé de ses armées les moyens
de minimiser les pertes, le mettant en mesure, comme l’écrit
joliment le chirurgien Pierre-François Briot (1) au sujet de la
désarticulation d’un membre, « de conserver les trois
quarts d’un individu en faisant l’ablation de l’autre
quart ».
La réponse est négative. Si les quelques chirurgiens des
armées napoléoniennes qu’au long du XIXe siècle
les historiens ont mis en vedette, tels Percy ou Larrey, ou tous ceux
qu’ils ont négligés, tels justement Briot ou Gama,
divergent dans leurs techniques opératoires, l’un prônant
la résection (blocage) du membre « fracassé »,
un autre l’amputation, un troisième la désarticulation,
tous s’entendent sur deux points : l’urgence de leur présence
auprès du blessé mais, davantage encore, l’impossibilité
d’en convaincre l’empereur qui, jusqu’au bout y compris
dans les conversations de Sainte-Hélène demeura sourd à
une argumentation qu’il ne voulait pas entendre. La raison en est
simple.
Pour lui, la gestion de la bataille, plus impérieuse encore à
ses yeux que la raison d’État, se fonde sur la surprise,
la souplesse et la rapidité d’action, en un mot sur une maîtrise
du terrain que rien ne doit venir entraver et pas plus le ramassage des
blessés avant la fin des combats qu’autre chose. En 1806,
Napoléon en faisant peindre le sacrifice de Valhubert, obscur général
gravement touché à Austerlitz et qui avait refusé
d’être évacué, avait même tenté
de montrer à ses soldats où se trouvait pour eux la voie
de l’honneur s’ils étaient à leur tour blessés.
Après sa présentation au Salon de 1808, le tableau devait
figurer aux Tuileries mêmes, au cœur d’une série
de vastes toiles magnifiant les temps forts du régime.
Le livret du Salon indique clairement ce qui était attendu de celle-ci
« (…) L’ordre du jour portait qu’on ne relèverait
les blessés qu’après la bataille. Ses grenadiers (…)
le voyant nager dans son sang s’approchèrent pour l’enlever.
Il les repoussa avec fermeté avec son sabre, leur reprochant leur
faiblesse. (…). » Parallèlement, une statue du général
était érigée à Avranches, sa ville natale,
et le rond-point sur lequel débouche à Paris le pont qui
portera désormais le nom d’Austerlitz – excusez du
peu ! – était baptisé place Valhubert. Un nom qui
est toujours le sien aujourd’hui, mais bien peu d’historiens
– et encore moins de Parisiens – savent de qui – et
de quoi – il s’agit. Cependant, ces roulements de tambours
ne suffirent pas, nul ne connaissait Valhubert et son exemple ne porta
pas.
Privées de moyens, peut-on dès lors dire que les guerres
napoléoniennes firent progresser la chirurgie ? Sans aucun doute,
en raison même de cette caractéristique. Dans cette foule
de victimes, qui parvenait entre leurs mains aux stades souvent des plus
tardifs de l’évolution d’une blessure, les chirurgiens
de la base, généralement dépourvus d’a-priorisme
parce que venus à l’armée sans formation, firent au
mieux. Imaginant et improvisant, ils sauvèrent sans doute des vies,
aidés par la nature et l’instinct de conservation des intéressés,
mais incontestablement ils apprirent leur métier.
Rendus à la vie civile sans beaucoup d’égards ni d’argent,
devenus officiers de santé sous la Restauration, ils joueront un
rôle précieux dans les régions rurales ou déshéritées
où les médecins ne se montraient guère. Le paysan
coincé sous sa charrette, voire le notaire sous son cabriolet,
ne pouvaient que se féliciter – dût-il y laisser une
jambe – de voir, en pleine campagne, s’avancer vers lui un
praticien qui avait survécu à la Russie ou réchappé
à l’Espagne.
1. -P.F. Briot, auteur trop méconnu de Histoire
de l’état et des progrès de la chirurgie militaire
en France, Besançon 1817.
Jean-François Lemaire
docteur en médecine
docteur en histoire,
Grand Prix 1999 de la Fondation Napoléon
La mort du général Valhubert à
la bataille d’Austerlitz
Jean-François Pierre Peyron, huile sur toile - 1808
Châteaux de Versailles et de Trianon
© RMN / Gérard Blot
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