Célébrations nationales
2004
>> 1804,
L’Empire
Napoléon et la construction
des grands corps de l’État
L’importance de l’œuvre civile
de Napoléon Bonaparte est incontestable. Il a jeté les fondements
destinés à supporter un État moderne, là même
où la Révolution avait échoué. Ces grandes
institutions sont communément regroupées sous le vocable
de « grands corps de l’État », bien que ce terme
ait été inusité à l’époque. Il
n’empêche, Napoléon Bonaparte est bien à l’origine
du Conseil d’État, de la Cour de cassation et de la Cour
des comptes, mais il est aussi, si l’on entend donner une acception
large à ce terme, le père du corps préfectoral, de
l’inspection des finances, de même qu’il réorganise
les corps des mines et des ponts et chaussées.
Le Conseil d’État est indéniablement l’un des
fondements principaux des institutions napoléoniennes. Héritier
du conseil des rois, il figure en bonne place dans le texte de la constitution
de l’an VIII, appelé à jouer un rôle crucial
dans la fabrication de la loi, puisque non seulement le Conseil collabore
à la préparation des textes, mais il lui revient aussi d’en
expliquer la lettre aux parlementaires. À mesure que les assemblées
voient leurs pouvoirs progressivement s’amoindrir au fil des ans,
le rôle du Conseil d’État se renforce, comme l’atteste
le poids -politique des présidents de sections, aux fonctions souvent
supérieures à celles d’un ministre.
Mais le Conseil est aussi un vivier où le chef de l’État
puise à l’envi lorsqu’il a besoin de nouveaux ministres,
de préfets ou tout simplement d’hommes de confiance, par
exemple pour des missions à l’étranger songeons aux
conseillers d’État Jollivet, Siméon et Beugnot, chargés
d’assurer la régence du royaume de Westphalie en attendant
l’arrivée du nouveau souverain, Jérôme Bonaparte.
On comprend dès lors que ce Conseil se soit transformé en
une école de formation à la haute fonction publique. Napoléon
institue en effet en 1803 des auditeurs au Conseil d’État,
recrutant pour ces postes des jeunes gens issus de familles de notables,
et notamment de l’ancienne aristocratie.
On exige d’eux à partir
de 1809 qu’ils soient en outre licenciés en droit ou ès
sciences. Enfin en 1806, la création des maîtres des requêtes
au Conseil d’État permet d’apporter une aide aux conseillers
dans la préparation des dossiers, mais surtout dans l’étude
des affaires contentieuses. Le Conseil d’État est ainsi devenu
une institution majeure, toujours très active à la fin du
régime, même si le rythme des réformes se ralentit.
Un temps menacé par la Restauration, il est finalement conservé
au sein de l’appareil de l’État.
La création de la Cour de cassation est contemporaine puisqu’elle
voit le jour le 18 mars 1800. En fait elle conserve, dans un premier temps,
le nom - Tribunal de cassation - de sa devancière fondée
en 1790. Il faut en effet attendre la constitution de l’an XII pour
qu’apparaisse le terme de Cour de cassation, en même temps
que l’institution est dotée d’un premier président
nommé à vie par l’empereur Honoré Muraire,
avocat à Draguignan sous l’Ancien régime, préside
la Cour de cassation pendant tout l’Empire. La Cour réunit
pour le reste 48 conseillers répartis en trois sections (section
des requêtes, section civile et section criminelle), tandis que
le parquet se compose, à partir de 1804 d’un -procureur général
impérial et de six substituts. Ses membres sont choisis par le
Sénat sur proposition de l’empereur, ce qui permit un amalgame
entre juristes d’origines différentes, tant sur le plan géographique
que politique. Il faut toutefois attendre 1810 pour exiger qu’ils
soient titulaires d’une licence en droit. Mais par les traitements
octroyés aux conseillers, par l’apparat dont l’institution
est entourée, Napoléon veut montrer toute l’importance
qu’il accorde à cette institution qui coiffe l’ensemble
du système judiciaire, réformé à la même
époque.
Après le Conseil d’État pour le domaine législatif
et administratif, après la Cour de cassation dans le domaine judiciaire,
reste à créer une grande institution pour le secteur des
finances. C’est chose faite en 1807 avec la fondation de la Cour
des comptes qui remplace l’ancienne Commission de comptabilité
nationale. Composée d’un premier président –
en l’occurrence l’ancien ministre du Trésor, Barbé-Marbois,
disgrâcié en 1806 de trois présidents de chambres,
de 18 maîtres des comptes, de 24 conseillers référendaires
de première classe et de 60 de seconde classe, la Cour des comptes
doit s’occuper non seulement de l’ensemble de la comptabilité
nationale, avec néanmoins la recommandation de ne pas juger les
actes du gouvernement, mais elle doit aussi s’atteler à l’examen
de l’arriéré des comptes, depuis 1790, tâche
pour laquelle une quatrième section est créée, l’examen
de l’arriéré étant achevé en 1815.
La Cour des comptes vient ainsi s’ajouter à une autre administration
appelée à une carrière prestigieuse, à savoir
l’inspection des finances, désignée sous le nom d’inspection
générale du Trésor lors de sa création le
6 septembre 1801. Placés sous la houlette du ministre du Trésor,
quinze inspecteurs généraux du Trésor public doivent
en effet contrôler les caisses des receveurs généraux
un par département et des receveurs particuliers un par arrondissement
– mais aussi des payeurs -généraux. Autrement dit
l’inspection du Trésor coiffe la nouvelle administration
fiscale mise en place par le ministre des Finances, Gaudin.
Quant aux corps techniques, à savoir le corps des ponts et chaussées
et le corps des mines, ils ne naissent pas sous le Consulat et l’Empire,
mais ils sont alors réorganisés et rationalisés.
La réorganisation du corps des ponts et chaussées intervient
en août 1804, avec la création d’une direction générale
dont le titulaire a quasiment rang de ministre. Il a sous sa houlette
un corps de 134 ingénieurs en chef et de 300 ingénieurs
ordinaires, chargés de concevoir les projets et de veiller à
la réalisation des grands travaux d’infrastructure décidés
par l’empereur. Au sommet, cinq inspecteurs généraux
et trois inspecteurs divisionnaires constituent le conseil général
des ponts et chaussées, chargé de superviser l’ensemble.
La création d’un « corps impérial des mines
» est plus tardive, puisque ce dernier est institué par le
décret du 18 novembre 1810. Elle suit immédiatement la promulgation
de la loi du 21 avril 1810 sur les mines qui -prévoit qu’elles
seront soumises au régime de la concession, l’État
s’attribuant le pouvoir de choisir les industriels les mieux à
même de remplir ce rôle, ce qui revient à déposséder,
moyennant une indemnisation, les propriétaires du sol. Le corps
des mines alors constitué regroupe des inspecteurs généraux,
formant le « conseil général des mines » présidé
par le comte Laumond, il est sollicité pour donner des avis sur
les concessions et des ingénieurs des mines, chargés de
vérifier les conditions de l’exploitation minière.
Les corps des mines et des ponts et chaussées
offrent en outre la particularité de disposer d’une filière
-spécifique de recrutement, puisque les ingénieurs proviennent
des deux écoles du même nom, l’école des mines
et l’école des ponts et chaussées, fondées
antérieurement à la Révolution, mais intégrées
depuis au système napoléonien. Elles sont en effet devenues
des écoles d’application réservées aux polytechniciens
qui prolongent leur cursus par deux années d’études
dans ces institutions. Dans l’ensemble, sous l’Empire, 2 à
3 % d’une promotion de polytechniciens intègrent l’école
des mines et 15 à 17 % se dirigent vers les ponts et chaussées.
Ainsi se consolide le système des grandes écoles qui va
devenir une spécificité française et favoriser l’homogénéité
du corps des grands serviteurs de l’État.
Jacques-Olivier Boudon
professeur à l’université de Paris Sorbonne
président de l’institut Napoléon
Installation du Conseil d’État
au palais du Petit-Luxembourg, déc. 1799.
Les trois consuls reçoivent les serments des présidents
Louis-Charles-Auguste Couder, huile sur toile, 1856
Paris, Conseil d’État
© RMN / Hervé Lewandowski
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