2003
~ Sciences et techniques ~
Dans les dictionnaires, Michel Servet est dit « théologien et médecin espagnol ». Sa date de naissance à Villanueva, petite ville dAragon dont il utilisera le nom pendant une douzaine dannées en France en se faisant appeler Michel de Villeneuve, reste imprécise ; en revanche la date de sa mort est dune précision effrayante, et pour cause : il est brûlé vif, deux exemplaires de la Christianismi restitutio, lun manuscrit, lautre imprimé, attachés à son flanc, à linstigation de Calvin, son correspondant de longue date. Ny a-t-il pas quelque paradoxe à retenir ici, au titre de célébration nationale, le quatre cent cinquantième anniversaire de la mort du « blasphémateur espagnol » ? Pour lever ce paradoxe, il suffit de trois rappels. Dans cette première moitié du XVI e siècle, la circulation des biens, des idées, des personnes, est européenne. Les foires assurent léchange des mar-chandises et des monnaies, les universités accueillent les différentes nations et létudiant comme le maître, maîtrisant le latin et dautres langues, vivantes ou mortes, se forme là où lexcellence se veut, se prétend et se transmet. Servet néchappe pas à la règle de lEurope de la Renaissance : fils de notaire, un frère dans la prêtrise, il fréquente peut-être luniversité de Saragosse, apprend le latin et, à quinze ans, entre au service de Juan de Quintana, docteur en Sorbonne, membre des Cortès dAragon, familier de la pensée érasmienne. Une année de droit à luniversité de Toulouse (1528) mais Quintana le réclame. Avec lui, le jeune homme va en Italie, à Bologne pour le couronnement de Charles Quint, puis en Allemagne. Il apprend le grec, lhébreu, lit la Bible, ny trouve nulle part le mot Trinité. Il quitte Quintana en 1530. Il a vingt ans ou à peine plus. Il est à Bâle, où il ne rencontre pas Érasme (1469-1536), puis à Strasbourg, Bâle derechef. En 1531, il édite à Haguenau le De trinitatis erroribus, en 1632 le De trinitate. Paris laccueille en 1533, puis Lyon, centre éditorial important. Il travaille chez les frères Trechsel, donne deux éditions de la Géographie de Ptolémée (1535-1541) en corrigeant lédition de Pirckheimer à laide du texte grec, publie cinquante cartes, outre trois éditions de la Bible. Puis Paris encore, où lintérêt médical devient formation : Sylvius, Fernel ...Vésale, croisé sans doute, mais non rencontré. En 1537, il publie Syruporum universa ratio, traité de pharmacologie galénique, dont le succès commercial (six éditions) lui permet de rester à Paris, où il enseigne la géographie, lastronomie, lastrologie. À cette mobilité géographique, relativement restreinte comparée à celle de bien de ses contemporains, il faut ajouter, deuxième rappel, linexistence des frontières disciplinaires telles que notre modernité les conçoit et parfois les impose. Servet est au même titre théologien, philologue, géographe, éditeur, médecin. Il est tout cela dans lEurope de la crise reli-gieuse et de la Réformation, dans lEurope du premier Refuge et de la Contre-réforme catholique. Temps bref, qui est celui-là même de sa vie, temps dintolérance et dune nouvelle forme dinquisition. Servet ne trouve toujours pas dans la lecture continue des textes bibliques, dont il est lecteur et éditeur, laffirmation des trois personnes divines, affirmation dans laquelle il voit un polythéisme déguisé. Jésus est fils du Dieu éternel et non fils éternel de Dieu. Son cri, poussé sur le bûcher, « Jésus, fils du Dieu éternel, aie pitié de moi » a résonance théologique et sest « prolongé dans toutes les Églises pro-testantes pour leur faire retrouver...le principe des droits de la conscience errante, proclamé dès 1523 par Luther » Dernier rappel, qui relève de lhis-toire des sciences. Le De motu cordis de William Harvey paraît en 1629 ; il lui fallut près dun siècle pour être accepté :il est vrai quil rendait caduques les auctores sur lesquels reposaient la pratique, lenseignement et le pouvoir médical, Aristote et Galien, Hippocrate restant hors du champ. À ce « Galilée de la physiologie moderne » qui introduit le raison-nement quantitatif et la méthode expérimentale dans lexploration du corps animal et humain, on chercha des précurseurs et on en trouva : bien des pierres ont été taillées avant lédifice harveyen, Ibn-al-Hafiz, Vésale, Colombo, Césal-pin, Fabrice dAcquapendente et Servet 2 . En une dizaine de lignes, il dit ce quil ne voit pas, le septum inter-ventriculaire qui permettait au galénisme daffirmer le passage du sang entre les deux ventricules gauche et droit du coeur, la distinction des vaisseaux charriant du sang et des vaisseaux remplis de pneuma. Ce quil ne voit pas et affirme ne pas voir rend nécessaire le passage pulmonaire, ce que lon appellera plus tard la circulation pulmonaire ou petite circulation. Sans le dire, Vésale, Colombo et Harvey sans doute lont suivi, utilisé. En 1553 paraît la Christianismi restitutio, sans mention déditeur, 734 p. in 8, sans nom dauteur. Les ennuis commencent. En avril 1553, il est arrêté à Lyon, les exemplaires de la Restitutio sont brûlés (il nen reste plus que trois dans les bibliothèques), il sévade. Après quatre mois en France, départ pour lItalie par Genève, où il est reconnu, dénoncé par Calvin, arrêté le 13 août. Ce nest pas pour la mise en cause, incidente, de la doctrine galénique quil fut condamné et brûlé ; ni pour un problème dhistoire des sciences que fut décidée lérection du monument expiatoire de Champel à Genève, en 1903. Mais pour la publication dun traité antitrinitaire risquant, « en scandalisant toute la chrétienté », de déconsidérer la Réforme et de compromettre loeuvre politique et civile de Calvin à Genève. Lacuité dun regard, tant sur un texte que sur un corps, dun regard qui sexprime en résistance, mérite bien une célébration. Claire Salomon-Bayet Manifestations : Internet : |
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Gravure du XIXe siècle © Rue des Archives - The Granger collection |
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