2003
~ Littérature et sciences humaines ~
> programme des manifestations Rabelais est un des grands écrivains français. Franciscain devenu bénédictin, puis prêtre séculier, père de trois enfants, il est également admiré comme légiste et médecin. Il a ainsi édité les Aphorismes dHippocrate. Dans sa vie et dans son art, il doit beaucoup à Érasme, à qui il adresse une lettre célèbre. Rabelais est médecin à lHôtel-Dieu de Lyon, quand des livres pantagruéliques, pas tous de lui, sont mentionnés dans une allocution faite devant la faculté de médecine à Nantes. Les livres de Gargantua et de Pantagruel inquiétèrent les censeurs, mais Rabelais avait de puissants protecteurs, dont Jean du Bellay, évêque de Paris, le seigneur de Langey, Marguerite de Navarre, ses deux rois et, enfin, le cardinal Odet de Châtillon, futur anglican, qui encouragea Rabelais à écrire son Quart Livre, où il se montre particulièrement anti-papiste. Rabelais associe une profonde érudition humaniste avec une joyeuse exploitation de la littérature « vulgaire » appréciée à la cour et par un large public. Lui qui avait, comme franciscain, traduit des ouvrages de Lucien, devient le « Lucien français ». En tant que médecin, il est sûr que le rire est thérapeutique. Joachim du Bellay, avec François I et Henri II, le place dans la plus haute catégorie de LArt poétique dHorace : il est utile-doux, il « mêle lutile » - la moralité - avec lagréable. Selon François 1 er , ce sont les « gens sçavans et studieux de nostre Royaulme » qui attendent impatiemment la suite de Pantagruel. Montaigne juge Rabelais doux - « simplement plaisant » - et probablement utile-doux. Chaque livre de Rabelais a sa propre spécificité, mais tous exploitent les complexités et les ambiguïtés des signes verbaux et gestuels. Pantagruel est le livre
où nous rencontrons Panurge, (le panourgos,le fourbe, linventeur dinnombrables
tours de Villon), des contes et la comédie des signes. Pantagruel
est présenté, avec un sourire, comme le successeur dun
livret sans aucune prétention littéraire,
Les Grandes et inestimables Croniques de Gargantua, mais Rabelais
emprunte pour leditio princeps la page de titre qui figure sur
des livres de droit publiés, comme Pantagruel,
à Lyon. Des scènes se passent dans lUtopie de Thomas
More. Le rire y est en partie un rire de Mardi-gras, provoqué
par une parodie des Écritures saintes. Le premier chapitre, qui
nous montre lancêtre de Pantagruel assis
à califourchon sur larche de Noé,sinspire
de Lucien et des Pirkei de Rabbi Eliezar ouvrage
qui nétait pas encore traduit de lhébreu. Guargantua (1535 ou 1534) est plus nettement humaniste : il commence avec une allusion au Banquet de Platon et sadresse à un public éduqué vivant à la cour. Ce livre est comme Socrate un silène, car son extérieur grotesque cache un « divin » savoir. Gargantua, mal éduqué par un père rustre et par deux théologiens de la Sorbonne, est guéri de sa folie par « un sçavant médicin » (Phrançoys Rabelais) et devient un chevalier de la Renaissance. La guerre picrocholine, influencée par Lucien et par des souvenirs denfance de Rabelais à La Devinière, est un chef-duvre, tournant en ridicule lempereur Charles Quint. Nous y rencontrons « Le Moyne » - Frère Jean, - parmi les plus réussis des personnages comiques de tous les temps : il devient labbé de Thélème (de lArbitre) où jeunes aristocrates humanistes et évangélistes, des deux sexes, persévéreront, en dépit des persécutions, « jusques à la fin ». Dans sa structure et dans le détail, le Tiers Livre de Pantagruel (1546), dédié àlesprit de Marguerite de Navarre, est dominé par le Droit, et suit Lucien en combinant discours philosophiques et comédie. Sous le thème dun mariage possible de Panurge, Pantagruel, métamorphosé en un géant de lesprit, aborde le problème du vouloir et des décisions, surtout dans les « cas perplexes », reconnus humainement insolubles par le droit romain. Il sagit du plus difficile de ses livres, qui atteint le sommet de la comédie philosophique. Dans le Quart Livre de 1551, Rabelais change de direction sous linfluence des œuvres de Celio Calcagnini et se fait mythologue. Sinspirant de Plutarque, de Luther, des récits des voyageurs, du Cratyle de Platon et, toujours, de Lucien, Rabelais, dans un esprit « shakespearien » mélange profondeurs religieuses et philosophiques avec la comédie la plus pure. Sûr de la protection du cardinal de Châtillon et, paraît-il, de Henri II, Rabelais se sent libre. Pantagruel, sage doué dun génie socratique, garde son rire pour la fin du livre : dans la dernière page publiée par Rabelais avant sa mort, Pantagruel, au nom de Dieu et de la pureté, rit aux dépens dun Panurge qui incarne la peur servile, la superstition et la scatologie. Un Cinquiesme Livre, publié après la mort de Rabelais, contient - peut-être - des esquisses remaniées et complétées par Jean Turquet (serait-il de la famille protestante du Piémont ?). L Index du concile de Trente condamne Rabelais comme « hérétique de la première classe » et, depuis sa mort jusquà lédition du Sphère de 1666, il ne sera publié en France que sous de fausses adresses typographiques. Mais tout le monde le lit, lappréciant comme le Démocrite et le Lucien français. Il est apprécié aussi pour les richesses de sa langue qui puise dans le grec, litalien, les patois français, des langues techniques de la médecine, du droit, de lagriculture et des métiers. Théodore de Bèze sétonne de la profondeur du Rabelais comique. Voltaire le juge « quand il est bon, [...] le premier des bouffons ». Chateaubriand le range, avec Homère, Dante et Shakespeare, parmi les « génies mères » qui « semblent avoir enfanté et allaité tous les autres ». Rabelais avait « créé les lettres françaises ; Montaigne, La Fontaine, Molière viennent de sa descendance ». Flaubert le classe avec Homère, Michel-Ange, Shakespeare et Goethe. On ajoutera Honoré de Balzac, James Joyce et Alexandre Soljenitsine. Son influence est souvent discrète mais non moins pénétrante. On la voit à luvre chez Francis Bacon, Voltaire, Diderot, le Laurence Sterne de Tristram Shandy, Jonathan Swift, le Charles Kingsley des Water Babies, Anatole France et tant dautres. Proust y fait allusion dans Sodome et Gomorrhe. Georges Perec le mentionne dans le « Postcriptum » de La Vie Mode demploi. Shakespeare était capable décrire des scènes entières en français : il est peu concevable quil ne lait pas lu. On compare le naufrage de La Tempête à lorage du Quart Livre. Rabelais, traduit en plusieurs langues, dont lallemand et le russe, est lu partout dans le monde civilisé. Pour le Canadien Robertson Davis, il est le meilleur des Humanistes. Kazuo Watanabé,célèbre professeur à Tokyo, a par sa traduction géniale, fait connaître Rabelais à des générations de Japonais. Le 8 mai 2002, le Guardian de Londres dressa la liste des cent meilleurs ouvrages littéraires de tous les temps. Homère, Dante, Shakespeare, Montaigne et Cervantes y figurent à côté, bien sûr, de Rabelais.
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