2003
~ Arts ~
> programme des manifestations Lorsque Gauguin mourut à près de cinquante-cinq ans aux îles Marquises, il y a exactement cent ans, son état de santé sétait détérioré depuis des années, et son activité artistique saffaiblissait. Mais, quelques mois avant sa mort (lettre à Monfreid, août 1902), il pensait, comme à nombre détapes de sa vie, trouver une fois de plus un nouvel élan en changeant de lieu dinspiration, et revenir en Europe, plus précisément en Espagne. Quaurait été sa production au début du siècle, dans un contexte artistique en pleine ébullition, au contact de jeunes artistes - Bonnard, Matisse, Picasso - pour lesquels sa peinture comptait plus quil ne limaginait ? On peut en rêver. Rêver, Gauguin laura fait toute sa vie. Il sest voulu peintre quand il était encore agent de change, et le devint progressivement à partir de 1876, dabord en amateur, encouragé par des aînés tels que Pissarro et Degas, qui ont décelé très tôt son talent. En 1883, à trente-cinq ans, il rompt les amarres avec sa vie antérieure, et décide de se consacrer uniquement à la peinture. Ses premiers tableaux véritablement personnels, où il se dégage de linfluence impressionniste vers une recherche de couleurs vives, de plus en plus posées en à-plat, des mises en page surprenantes - sous le règne de Degas et des estampes japonaises ¢,et lexpression dun « ailleurs », celui dun monde primitif aussi métaphorique que réel, bref, ce nouveau style date de 1884-1886. « Terrible démangeaison dinconnu qui me fait faire des folies », reconnaissait-il. Les premiers voyages vers des lieux quil espère à chaque fois inspirants, poétiques en même temps quavantageux économiquement, sont la Bretagne (Pont-Aven), lété 1886, Panama et la Martinique en 1887, puis de nouveau Pont-Aven de 1888 à 1891, avec une escale célèbre de deux mois à Arles près de Vincent van Gogh, son camarade peintre, mais surtout un interlocuteur intellectuel et le frère du marchand (Théo) que Gauguin voudrait sattacher. Une intéressante exposition accompagnée dun riche catalogue a récemment illustré ce séjour légendaire. Encore de grands départs projetés, au Tonkin (janvier 1890) puis à Madagascar, pour fonder ce quil espérera en vain être une communauté dartistes, l «atelier des tropiques », enfin à Tahiti, pour où il part le 1 er avril 1891.Cest là que commence vraiment le mythe Gauguin. Or, lon a un peu tendance aujourdhui à assimiler le peintre à sa production tahitienne, où il ne fera que développer et moduler ses trouvailles plastiques et poétiques des années précédentes, comme en témoignent par exemple un tableau « breton » mais déjà «tropical » du musée dOrléans, La fête Gloanec,ou Dans les vagues du musée de Cleveland, ainsi que ces étonnantes poteries et sculptures primitivistes comme le relief sur bois du musée dOrsay, Soyez mystérieuses. En effetdès la Bretagne : « jy trouve le sauvage, le primitif. Quand mes sabots résonnent sur ce sol de granit, jentends le ton sourd, mat et puissant que je cherche en peinture ». Pourtant, malgré lironie de certains artistes, comme Renoir - « Que va-t-il chercher si loin ? On peint si bien aux Batignolles ! » - , Gauguin peindra à Tahiti en 1892-1893 ses tableaux les plus spectaculaires et porteurs davenir pour lhistoire de la peinture au début du siècle. Sa couleur et ses formes simplifiées préfigurent par exemple Matisse (cf. Pastorales tahitiennes, 1893, St Pétersbourg, musée de lErmitage ou Vahine no te vi, la femme au mango, Baltimore, Museum of Art). Au cours de son second et dernier séjour à Tahiti, puis aux îles Marquises (1895-1903), la maladie (syphilis), lusure (due à lalcool) et la solitude lui inspirent des tableaux dune grande force mélancolique, où le désenchantement sexprime à travers des rêveries philosophiques, dans quelques chefs-duvre comme le nu de Nevermore (1897, Courtauld Institute, Londres), et surtout son tableau le plus ambitieux. Doù venons-nous, qui sommes-nous, où allons-nous, que lon pourra voir à Paris pour la première fois à lautomne 2003 dans lexposition « Gauguin à Tahiti », toile récemment restaurée, qui navait malheureusement pas pu venir de Boston en 1989 à loccasion de la plus importante rétrospective faite à ce jour.Le déroulé rapide dune vingtaine dannées de la vie de Gauguin, son besoin constant de fuir, de créer à lombre dun passé exotique et imaginaire, sa pose constante lors de ses séjours à Paris, incarnée dans ses autoportraits en réprouvé, en martyr, tout cela explique quà lexception de quelques artistes (Degas) et écrivains (Mallarmé), il fut surtout pris en son temps pour un poseur, un agité,un« peintre pour littérateurs », et, depuis sa mort, pour un artiste maudit. Le personnage aura toujours porté de lombre à lartiste. Or, cest oublier que Gauguin est avant tout un très grand peintre, dont lintelligence et la conscience de son génie correspondaient en fait à une réalité profonde. Il ne ment pas quand il se décrit, peu avant sa mort, comme lun de ceux qui, au tournant du siècle dernier, ont « créé la liberté des arts plastiques ».
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