La Place royale à Nancy
(gouache, XVIIIe siècle)
© Musée lorrain, Nancy / G. Mangin
Dans l'Europe des Lumières, Nancy bénéficia d'une situation exceptionnelle
car le rattachement de la Lorraine au royaume de France s'opéra en deux
étapes imaginées par les diplomates français et autrichiens (1735-1737).
François III, duc de Lorraine, renonça à ses Etats pour suivre une destinée
impériale en épousant Marie-Thérèse en 1736. Stanislas Leszczynski,
roi détrôné de Pologne et beau-père de Louis XV, reçut un pouvoir tout
nominal sur la Lorraine, à charge pour lui de conduire en douceur le
rattachement à la France. Il s'installa en 1737, à l'âge de soixante
ans ; personne ne pouvait alors penser qu'il y régnerait jusqu'en 1766,
ni qu'il y ferait travailler autant d'artistes.
L'impulsion avait été donnée par le duc Léopold, neveu par alliance
de Louis XIV, qui avait reconstruit la Lorraine ravagée par les guerres
du XVIIe siècle. Tout allemand par sa culture politique, mais français
pas ses goûts, il avait su attirer Jules Hardouin Mansart à Nancy mais
n'avait guère pu le retenir. C'est son élève Germain Boffrand qui devait
prendre la relève, en construisant châteaux et hôtels selon les modèles
d'Ile-de-France et en formant des collaborateurs très efficaces qui
assuraient le suivi des chantiers.
Parmi eux se trouvait Emmanuel Héré (1705-1763) dont Stanislas
fit son Premier Architecte. Résidant à Lunéville, à Commercy ou à la
Malgrange, Stanislas avait compris toutes les réticences qu'il inspirait
à ses nouveaux sujets. Il avait donc renoncé à habiter Nancy, mais non
à l'embellir ; il y consacra l'essentiel des subsides que lui accordait
son gendre par l'intermédiaire d'Antoine Chaumont de La Galaizière,
chancelier et intendant de Lorraine. Alors que Léopold n'était pas parvenu
à transformer l'antique Palais ducal (aujourd'hui, Musée historique
lorrain) en un Nouveau Louvre, Stanislas préféra doter la cité des bâtiments
modernes qui lui faisaient défaut, tant pour l'administration que pour
la vie religieuse, artistique et intellectuelle.
Héritier d'un duc qui accordait titres, faveurs et pensions à ses artistes,
Stanislas trouva des équipes très performantes, au sein desquelles il
convient de distinguer les Mique, entrepreneurs et architectes de grand
talent, Barthélémy Guibal, le premier sculpteur entouré de nombreux
praticiens très habiles, et le ferronnier Jean Lamour, tous déjà expérimentés
et capables d'exécuter les desseins du roi de Pologne.
Au déclin de sa vie, Stanislas trouvait en Lorraine les
mêmes conditions favorables que Louis XIV au début de son règne personnel.
C'est ce qui distingue les anciens duchés lorrains des autres provinces
: une vie de cour, des artistes attitrés, enfin le pouvoir de décision
d'un seul, de quoi assurer la cohérence et l'unité de grands projets.
Surnommé le Bienfaisant de son vivant, Stanislas intervint à Nancy avec
une diplomatie consommée.
Prince chrétien, il demanda à Héré de lui construire une nécropole :
l'église Notre-Dame de Bon-Secours (1738-1743) lui permit de s'inscrire
dans la tradition spirituelle locale d'un antique pèlerinage lié à la
Bataille de Nancy et de doter le faubourg d'un remarquable sanctuaire
baroque. Près de là, Héré construisit pour les Jésuites l'Hôtel des
Missions Royales, un somptueux bâtiment pour les directeurs spirituels
du Bienfaisant (1741-1743). Au même moment, Héré, Guibal et Lamour intervenaient
dans les résidences du prince et dotaient ses parcs de " fabriques "
ou constructions de fantaisie, très en avance sur leur temps.
L'anecdote est célèbre : un jour de 1751, Stanislas fit
venir à Lunéville le lieutenant de police de Nancy, Nicolas Durival
et l'informa de son désir de doter la cité d'une nouvelle place. Un
crucial problème d'urbanisme ou plutôt de voirie faisait que les deux
villes de Nancy, la médiévale et la moderne, communiquaient par un goulot
d'étranglement. La Porte Royale, ouverte au XVIIe siècle dans les fortifications
arasées par les Français, faisait passer de la place Carrière à une
sorte de terrain vague. D'un côté, un espace créé au XVIe siècle pour
les joutes, avec des maisons dissemblables mais déjà le noble hôtel
de Craon, édifié par Boffrand qui avait introduit le modèle français
de l'élévation à ordre colossal ; de l'autre, quelques hôtels gagnés
sur la zone quasi militaire des anciennes fortifications et un espace
difficile pour la circulation.
Toute proportion gardée, Nancy devait résoudre le même problème que
Paris, avec le terrain inoccupé qui s'étendait entre le jardin des Tuileries
et les Champs Élysées. Comme des villes importantes avaient voulu célébrer
le roi en lui érigeant une statue (Bordeaux, Paris, Rennes, Rouen),
Stanislas pensa que ce serait une manière habile d'habituer les Lorrains
à leur futur souverain et pour lui l'occasion d'honorer un gendre plutôt
réticent à l'égard de son beau-père. Avec le représentant du roi à Metz,
le maréchal de Belle-Isle, les services de Stanislas et l'architecte
Héré négocièrent assez difficilement l'autorisation de construire dans
une zone " sensible " d'anciennes fortifications.
Comme le montrent les estampes du temps, le parti adopté
fut d'abord de construire sur trois côtés seulement, le Sud étant occupé
par un fort long palais destiné à abriter le nouvel Hôtel de Ville,
les appartements de Stanislas et la Bibliothèque Royale. De chaque côté,
quatre palais identiques furent réservés à l'Intendance, aux Fermes
et à un Collège de chirurgie flanqué de la Comédie, le dernier étant
alloué à un particulier.
C'était une manière de concentrer sur une seule place les principaux
services de la cité, en créant un centre politique, administratif et
culturel qui n'excluait pas la résidence privée.
En effet, le quatrième palais fut alloué à un bourgeois de Nancy, tout
comme les " Basses Fasces ", les petits pavillons à un seul niveau que
Stanislas s'obstina à faire édifier sur les anciennes fortifications.
La construction fut rondement menée : le 18 mars 1752, le duc Ossolinski
posa la première pierre d'un ensemble que Stanislas inaugura le 26 novembre
1755. La Place Royale était donc organisée autour de la statue pédestre
de Louis XV, fondue sur un modèle de Guibal et Cyfflé, et ponctuée d'arcs
de triomphe et de portiques dorés réalisés par Lamour, sur fond de verdure
pour les fontaines des angles ou de perspectives de rues tracées au
cordeau et barrées de portes de pierre.
C'est ce qui fait l'originalité de Nancy : si le modèle d'architecture
n'échappe guère au modèle français du XVIIe siècle dans ce qu'il a de
plus beau, c'est-à-dire les élévations de Le Vau et de Mansart couronnées
de balustrades, le jeu des ferronneries rocaille et de la verdure résout
le problème insoluble jusque là des angles morts d'un périmètre minéral.
Le même esprit rocaille ayant présidé à l'ornementation
de la Place Carrière, remodelée à cette occasion, et de la Place d'Alliance
dont Stanislas distribua les terrains à ses architectes pour éviter
de les trop payer, il y a là une démonstration heureuse de ce que pouvaient
faire les artistes dans une zone de transition.
Un espace européen avant l'heure où l'esprit classique français se laisse
gagner aux délices du rococo : c'est ce que Nancy se propose de célébrer
en 2005, pour le deux-cent-cinquantième anniversaire de l'inauguration
de la place Stanislas, désormais inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco.
François Pupil
Professeur d'histoire de l'art à l'université de Nancy
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