Suchet à Marine - Paris - Fort-de-France, 8 mai,
9 h 55 - soir -
" Reviens de Saint-Pierre,
ville complètement détruite par masse de feu vers 8 heures du matin
- Suppose toute population anéantie - Ai ramené les quelques survivants,
une trentaine - Tous navires sur rade incendiés et perdus - Éruption
volcan continue - Je pars pour Guadeloupe chercher vivres - "
Commandant Le Bris C'est par ce télégramme que la France apprend la
catastrophe de Saint-Pierre.
Ce matin-là, à 8 h 02, le télégraphe de St-Pierre est interrompu.
Les témoins décrivent de façon assez semblable le phénomène : un grondement
effroyable, une détonation fantastique suivie dans l'instant d'un nuage
noir épais, comme enflammé et bourgeonnant, descendant la pente du volcan
à une vitesse vertigineuse qui atteignit St-Pierre en une à deux minutes
et qui embrasa la ville.
On estime à 28 000 le nombre de victimes : tous les
Pierrotins présents, les réfugiés du Précheur et des villages voisins,
les curieux venus de Fort-de-France… et le gouverneur de la Martinique
arrivé pour rassurer la population.
Le bateau de la Cie Girard, parti à 8 h 15 de Fort-de-France, aussitôt
après le tsunami1 et pendant les chutes de cendres, arriva en milieu
de matinée dans la rade de St-Pierre où les navires restants étaient
en flamme.
Il dut faire demi-tour. Le Suchet arriva peu après. Le commandant Le
Bris descendit sur la place Bertin, couverte de cadavres. La chaleur
due aux incendies était telle qu'il ne put pénétrer dans la ville.
Le 20 mai, une nouvelle nuée ardente paracheva la destruction de St-Pierre.
Le 23 juin, arriva une mission dirigée par le professeur
Alfred Lacroix, envoyée par l'Académie des sciences et le gouvernement.
Peu après son retour en France le 16 août, une nouvelle éruption encore
plus intense eut lieu le 30 août, alors que la population avait été
encouragée à retourner dans ses foyers.
Plus de mille victimes au Morne-Rouge.
Le 1er octobre, Alfred Lacroix est de retour. Il a carte blanche aussi
bien pour les études scientifiques que pour les mesures à prendre pour
la sécurité. Il installe deux postes d'observation : le principal au
Morne des Cadets avec vue " imprenable " sur le volcan, le second à
l'arrière du volcan vers l'Est près du Lorrain. Ses observations lui
permirent de décrire avec précision le phénomène qu'il nomma " Nuée
Ardente " : le magma visqueux forme un dôme à l'aplomb de la cheminée.
Ce magma est très riche en gaz, ce qui produit une surpression dans
le dôme.
La détente brutale des gaz fait exploser latéralement le dôme et produit
la projection d'un mélange de gaz chauds, de cendres et de blocs de
lave qui libèrent au fur et à mesure les gaz qu'ils contiennent et entretiennent
et accélèrent cet écoulement turbulent.
La vitesse du souffle précédant la nuée qui détruisit
St-Pierre a été estimée à 130-150 mètres par seconde, soit 500 kilomètres
à l'heure, la température de l'écoulement étant supérieure à 500 degrés.
Les observations faites sur les cadavres font penser que leur mort est
probablement due à l'onde de choc de ce souffle incroyable. Ce type
d'éruption est connu sous le nom de péléen. Dès 1903, le poste d'observation
du Morne des Cadets devient un observatoire permanent.
C'est le deuxième observatoire volcanologique, le premier étant celui
du Vésuve, décidé par le roi Ferdinand II et opérationnel dès 1841.
Les volcanologues américains Thomas Jagger et Franck Perret, consternés
par tout ce qu'ils découvrirent à St-Pierre et à la suite de séjours
au Vésuve, font construire à Hawaii pour étudier les mécanismes éruptifs
ce qui sera le troisième ob-servatoire volcanologique.
Thomas Jagger disait lors de son ouverture en 1912 : " que jamais plus
un volcan ne dévaste de ville ". L'éruption de la Montagne Pelée en
1902 fut la plus meurtrière du XXe siècle. Était-elle prévisible ? Dès
1889, des fumerolles sont signalées dans le cratère du volcan, l'Étang
Sec. Au début de 1900, il y a deux fumerolles à fort débit, une demi-douzaine
en 1901.
À partir de janvier 1902, les débits augmentent.
Les villages " sous le vent ", comme le Précheur, sont fortement incommodés
par l'odeur d'œuf pourri - H 2S - des gaz rabattus. Des petites explosions
de vapeurs semblent se produire dès la mi-mars. La première explosion
phréatique sûre a lieu le 23 avril au soir. Les premières cendres tombent
sur le Précheur. Des séismes sont ressentis.
Panaches de cendres et de vapeurs, explosions, chutes de cendres , séismes,
sont de plus en plus fréquents jusqu'au 2 mai. Dans la nuit suivante,
des détonations extrêmement fortes sont entendues, le panache monte
à plus de 4 km d'altitude, des blocs de roche sont projetés à plus de
2 km du sommet, des lueurs impressionnantes zèbrent le panache.
Les cendres retombent sur une bonne partie de l'île, entraînant des
mouvements de panique. Le 5, une forte explosion à 12 h 30 est suivie
d'un lahar2 qui détruit l'usine sucrière Guérin et produit un tsunami
en arrivant dans la mer. Des gaz bleutés sortent du cratère. Le SO2,
gaz magmatique par excellence, apparaît donc.
Le 6 au soir, la base du panache est rougeoyante,
c'est probablement l'arrivée de la lave sous forme d'un dôme dans le
fond du cratère. Dès le 7 au matin apparaissent des petites nuées et
le soir des projections de blocs incandescents. Dans la nuit, on observe
des gerbes de lave projetées par les explosions. Le 8 à 8 h 02, c'est
le cataclysme. Aujourd'hui, après les études de Lacroix et les progrès
faits en volcanologie, grâce aux études théoriques et aux réseaux de
surveillance, il est bien sûr facile de dire que cette éruption était
prévisible…
Mais à l'époque ? Dès le 3 mai, le gouverneur Moutet
avait nommé une commission. Pleins de bonne volonté, ses membres n'avaient
aucune expérience en volcanologie. Elle remit son rapport le 7 au soir
et conclut que l'éruption aurait les mêmes conséquences que celle de
1851.
Elle ignorait qu'au même moment la Soufrière, dans l'île voisine de
Saint-Vincent, explosait et faisait 1 600 victimes. Toutes les îles
de l'arc des Petites-Antilles sont constituées de volcans actifs dont
la récurrence des éruptions magmatiques peut être de quelques siècles.
L'exemple actuel est celui de Soufrière Hill à Montserrat, entrée en
éruption, éruption à dôme et nuées ardentes, en 1995, après un sommeil
d'environ quatre siècles. La dernière éruption magmatique de la Soufrière
de Guadeloupe eut lieu peu de temps avant l'arrivée de Christophe Colomb…
Aujourd'hui, la Montagne Pelée est en sommeil depuis
l'éruption de 1929-1932. Volcan endormi mais non éteint. L'observatoire
de 1903 fut reconstruit sur le morne voisin au cours de cette dernière
éruption. Il était opérationnel en 1934. Lors de la départementalisation
en 1948, il est dévolu au département. L'Institut de Physique du Globe
de Paris en a la charge. Une convention entre le Conseil général de
la Martinique, l'Institut National des Sciences de l'Univers du C.N.R.S.
et l'Institut de Physique du Globe de Paris a été signée pour l'exploitation
de cet observatoire. Des réseaux sismique, géodésique, magnétique, géochimique…
ont été installés sur le volcan.
Toutes les données sont transmises par radio à l'observatoire et traitées
en temps réel. L'informatique permet d'avoir un " miroir " des données
à Paris. L'observatoire comme l'institut sont constamment informés en
temps réel de la moindre variation d'un des paramètres enregistrés et
prêts à détecter le moindre réveil.
Avec un tel système, les signes précurseurs de l'éruption
de 1902 auraient été relevés et interprétés bien avant mai. Il y a environ
25 000 ans, une énorme éruption déstabilisa le flanc ouest du paléo-volcan
de la Montagne Pelée, entraînant un gigantesque tsunami. Le volcan se
reconstruisit peu à peu.
Depuis un peu plus de 10 000 ans, sur les 25 éruptions magmatiques identifiées,
une dizaine furent de type plinien, telle celle de 79 au Vésuve, décrite
par Pline.
La dernière de ce type eut lieu vers 1300. Les autres, " moins dévastatrices
", furent du type de celle de 1902.
Si toutes les éruptions phréatiques, comme celle de la Soufrière en
1976 ou celle de la Montagne Pelée en 1851, ne sont pas suivies d'éruptions
magmatiques, en revanche toute éruption magmatique de type explosif
commence par des éruptions phréatiques. Un jour ou l'autre, la Montagne
Pelée se réveillera à nouveau, mais cette fois-ci nul doute que les
populations habitant autour du volcan seront prévenues bien à temps.
Jean-Louis Cheminée
directeur de recherches au CNRS,
directeur des observatoires volcanologiques
de l'Institut de Physique du Globe de Paris
1 - Raz-de-marée consécutif à une éruption volcanique
ou à un séisme.
2 - Coulée boueuse causée par des pluies, fontes de glaciers dues
à une éruption volcanique, débordements de lacs de cratères, entraînant
des cendres et toutes sortes de matériaux volcaniques ou non.
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