Le 19 mai 1802 (29 floréal
an X), au terme de plusieurs heures de discussions animées au
Corps législatif, la loi instituant la Légion d'honneur
était votée par 166 suffrages contre 110. L'article premier
de la loi précisait qu'en " exécution de l'article
87 de la Constitution concernant les récompenses militaires et
pour récompenser aussi les services et vertus civils, il sera
formé une Légion d'honneur ".
Le projet, à l'évidence, n'avait pas rencontré
l'unanimité tant il pouvait paraître contraire aux sensibilités
politiques qui s'opposaient alors. D'une part les anciens Jacobins,
majoritaires au sein du Corps législatif, avaient manifesté
leurs réticences à l'égard d'une institution qui
pouvait leur apparaître comme attentatoire au principe de l'égalité
entre tous les citoyens.
D'autre part elle constituait pour les adversaires de la Révolution
un pas supplémentaire franchi vers la reconnaissance du caractère
irréversible de la rupture opérée à partir
de 1789.
Deux signes à cet égard
ne trompaient pas : la référence explicite à la
Constitution de l'an VIII et l'évocation de la vertu, cette qualité
du citoyen dévoué à la Nation et à la Patrie.
Tout le talent politique de Bonaparte, alors Premier consul, fut d'imaginer
une institution qui puisse à la fois concilier la distinction
individuelle avec les principes révolutionnaires en faisant du
service à la Nation et à la Patrie l'idéal commun.
Comme le souligne dans ses Mémoires
le Deuxième consul Cambacérès, étroitement
lié au projet dès l'origine, il fallait " créer
un genre de récompense qui conviendrait au caractère distinctif
du peuple français, sans porter atteinte aux maximes consacrées
par la Révolution".
(1)
Le contexte était alors favorable à cette entreprise.
La fin de la guerre avec la Grande-Bretagne et le retour à la
paix favorisaient la popularité d'un Premier consul qui allait
devenir, quelques mois plus tard, Premier consul à vie (2 août
1802).
Le temps était à
l'apaisement et à la stabilisation comme en témoignait
notamment la signature du Concordat, le 15 juillet 1801. En outre, il
convenait de combler le vide laissé par l'abolition des ordres
nobiliaires inscrite dans la constitution de 1791 puis par la suppression,
en octobre 1792, de l'ordre de Saint-Louis au nom du principe d'égalité
absolue entre tous les citoyens.
Très vite pourtant reparaissait l'idée d'une récompense
octroyée aux citoyens pour les services rendus à la Nation.
Dès l'an II, les représentants en mission avaient distribué
de manière informelle des armes de récompense aux bataillons
méritants.
De collective, la reconnaissance était devenue plus individuelle
lorsque le général Bonaparte avait remis à ses
soldats les plus valeureux des sabres pendant la campagne d'Italie puis
pendant la campagne d'Égypte.
Le Directoire tenta alors de codifier une pratique, déjà
existante par deux lois du 19 février 1798 (1er ventôse
an VI) et du 3 octobre 1799 (11 vendémiaire an VIII), qui créent
les armes de récompense nationale.
Enfin, l'un des premiers gestes
accomplis par le Premier consul après le 18 brumaire consiste
à créer les armes d'honneur le 25 décembre 1799
(4 nivôse an VIII) pour les " guerriers qui auront rendu
des services éclatants en combattant pour la République
". C'est précisément ce système empirique
et transitoire auquel Bonaparte s'efforce de mettre un terme avec la
Légion d'honneur tout en y associant - fait capital et nouveauté
essentielle - les civils.
Ainsi pour la première fois, se trouve rassemblée une
communauté de citoyens dévoués à la cause
commune servant d'exemple aux autres Français à l'image
de cette legio honoratum conscripta de
la Rome antique, modèle de la Légion d'honneur.
Loin d'être une simple décoration, la Légion d'honneur
est une communauté de mérite et revêt, à
ce titre, une profonde originalité. Ses membres, issus d'horizons
sociaux divers, qu'ils soient représentants des anciennes élites,
membres de la bourgeoisie d'affaires, de la bourgeoisie intellectuelle
ou de l'armée, appartiennent à une vaste famille distinguée
pour ses talents et ses mérites, unie par un serment de fidélité
à la République et réunie autour de la devise choisie
par Bonaparte " Honneur et Patrie ".
Pour son créateur, la
Légion d'honneur devait former le creuset d'une France nouvelle
où se consoliderait l'effacement de barrières abolies
en 1789 mais toujours inscrites en filigrane dans le corps social. Dirigée
par un grand conseil constitué à l'origine par le général
Kellermann, Joseph et Lucien Bonaparte et présidée par
le Premier consul en personne, la Légion d'honneur est dotée
de deux administrateurs, le Grand Chancelier et le Grand Trésorier
dont les nominations interviennent en août 1803.
Bonaparte, soucieux de respecter l'équilibre entre civils et
militaires, choisit respectivement le comte de Lacepède, naturaliste
et disciple de Buffon et le général Dejean pour occuper
ces fonctions.
Entre-temps les légionnaires, nommés en grand conseil,
sont répartis selon le modèle romain au sein de seize
cohortes embrassant le territoire national et dotées de biens
propres constitués par des biens nationaux. Soucieux d'assurer
l'indépendance financière de l'ordre, Bonaparte s'efforce
aussi, avec les cohortes, d'enraciner jusqu'aux confins du pays la présence
de cette élite qu'il a voulu distinguer.
Le premier décret portant nomination dans l'ordre intervient
le 24 septembre 1803.
Il lie le passé au présent en faisant de tous les bénéficiaires
des armes d'honneur des légionnaires (soit 2 000 hommes environ).
De 1802 à 1814, 48 000 hommes vont entrer dans l'ordre, mais
seulement 1 400 civils.
Trahison des principes fondateurs
ou reflet d'une époque marquée par l'omniprésence
de la guerre ? La Légion d'honneur se fait alors l'écho
d'un temps presque totalement accaparé par l'affrontement guerrier.
Elle reflète donc la quintessence d'une société
marquée par les secousses révolutionnaires et en quête
d'un équilibre, pour l'heure, impossible.
La création de la Légion d'honneur participe de cette
recherche du compromis et de l'apaisement qui est le propre de l'uvre
consulaire et impériale.
Elle constitue un fondement de la société postrévolutionnaire.
En même temps, l'analyse historique ne suffit pas à cerner
les raisons de l'exceptionnelle pérennité de cette récompense
qui touchent à l'image que la France s'est successivement faite
de l'honneur, des mérites éminents à son service
et aux reflets contrastés, douloureux et glorieux de son histoire,
bref à l'intime vivant en nous.
Général Douin
Grand Chancelier de la Légion d'honneur
1 - J.-J. de Cambacérès, Mémoires inédits. Éclaircissements
publiés par Cambacérès sur les principaux événements de sa vie politique,
t. 1, La Révolution et le Consulat, Paris, Perrin, 1999, p. 629
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