Léonard de Vinci miroir profond et sombre où
des anges charmants, avec un doux souris tout chargé de mystère,
apparaissent à l'ombre des glaciers et des pins qui ferment
leur pays
Léonard de Vinci, l'un des phares de l'humanité
selon le célèbre éloge de Charles Baudelaire,
fils naturel d'un jeune notaire, Piero, et de Caterina, fille de
paysans, naquit le soir du 15 avril 1452 vers 22h30 dans le bourg de
Vinci, à une trentaine de kilomètres de Florence.
Il mourut le 2 mai 1519 à Cloux - non pas dans les bras de
François 1er, selon une tradition qui remonte à Giorgio
Vasari - et fut inhumé dans l'église Saint-Florentin
d'Amboise.
Il se forma à Florence dans l'atelier de Verrocchio,
orfèvre, sculpteur et peintre, avec qui il collabora à
la réalisation du Baptême du Christ
(Florence, Offices). Dans ces années de jeunesse, Léonard
réalisa les célèbres études de draperies
peintes à la grisaille sur toile dont le Louvre possède
six exemplaires. " La draperie doit être arrangée
de manière à ne pas sembler inhabitée, c'est-à-dire
qu'elle ne paraisse pas être un amas de draps déposés
par le porteur " ; sa finalité " est d'habiller et
d'envelopper avec grâce les membres qui les portent ", écrivit-il
dans son Traité de la peinture.
Héritier de la grande tradition du naturalisme florentin, se
méfiant des pures spéculations philosophiques, Léonard
s'intéresse tout particulièrement aux sciences empiriques.
Dans le domaine de la peinture, il atteint une sorte de " naturalisme
universel " appris dans l'atelier de son maître et perfectionné
au contact de la peinture flamande. Dans les uvres de la première
période florentine, l'artiste atteint un équilibre parfait
entre personnages et nature : du Portrait de
Ginevra de Benci (Washington, National Gallery) peint vers 1474-1476,
à l'Annonciation (Florence, Offices)
réalisée vers 1472-1475. Dans ce tableau, le profil de
l'ange qui se détache sur le fond sombre des feuillages est défini
par un rapport très subtil entre l'ombre et la lumière
et fait preuve d'une extraordinaire diffusion des contours (sfumato)
qui caractérisera toute sa production picturale.
Esprit de génie infatigable, Léonard se rend à
Milan au service de Ludovic le More de 1482 à 1499 : il y réalise
le projet d'un colossal monument équestre en bronze, des décors
de fêtes, sans jamais abandonner l'art de la peinture.
Naissent ainsi une série de chefs-d'uvre : le Portrait
d'un musicien vers 1485-1490 (Milan, Pinacoteca Ambrosiana),
le Portrait d'une dame de la cour de Milan
dit à tort " La Belle Ferronnière
", vers 1495-1500 (Paris, Louvre), tous deux peints selon un goût
cher à la tradition lombarde, le Portrait
de Cecilia Gallerani dit " La Dame
à l'hermine ", vers 1489-1491 (Cracovie, musée
national) et la Vierge aux rochers commandée en 1483 par la Confrérie
de San Francesco Grande, dont on connaît deux versions (Louvre
et Londres, National Gallery).
Hormis ces tableaux de chevalet, Léonard peignit entre 1495 et
1497, pour les dominicains de Santa Maria delle Grazie, la Cène
où il sut " exprimer le trouble des Apôtres, anxieux
de savoir qui trahissait leur maître " selon le témoignage
de Vasari. Ce chef-d'uvre fut aussitôt célèbre
et souvent copié.
Vasari rapporte que Louis XII avait tenté de faire détacher
du mur la Cène pour la transporter
en France : c'est le début de la fortune française de
Léonard. Ce roi se porta acquéreur de la première
version de la Vierge aux rochers et probablement de la Belle
Ferronnière.
Au moment de l' invasion du Milanais par le roi de France
Louis XII, Léonard passe par Mantoue (décembre 1499-début
1500) où il réalise le Portrait
d'Isabelle d'Este (Paris, Louvre). Après un bref séjour
à Venise, il est de nouveau à Florence où il reste
jusqu'en 1506-1508 : la Seigneurie lui commande une fresque qui devait
représenter la bataille d'Anghiari pour la salle du Grand Conseil
du Palazzo Vecchio. À Florence, il rencontre le terrible Michel-Ange
à qui la Seigneurie avait commandé la bataille de Cascina
pour la même salle, et le jeune Raphaël qui ne resta pas
insensible à la peinture du maître de Vinci. Dans la cité
toscane, il commence quelques chefs-d'uvre qui le suivirent jusqu'à
son installation en France : la Vierge à
l'Enfant avec Sainte Anne destinée au maître autel
de l'église de la SS.
Annunziata, le Saint Jean-Baptiste en Bacchus
et le très célèbre Portrait
de Lisa Gherardini dite La " Joconde
", tous acquis par François 1er en 1518 et aujourd'hui
conservés au Louvre.
La Joconde, dominée
par une parfaite symbiose entre personnage et paysage, représente
le manifeste de sa théorie dans le domaine du portrait : "
le bon peintre a essentiellement deux choses à représenter
: le personnage et l'état de son esprit ".
Après un nouveau séjour à Milan, Léonard
passe en 1513 au service du cardinal Giuliano de Médicis, neveu
du pape Léon X, en compagnie de Salaì et de Francesco
Melzi.
À Rome, il retrouve le "divin" Raphaël au sommet
de sa carrière, Michel-Ange mais aussi Bramante, Baldassarre
Peruzzi et Sebastiano del Piombo.
En 1517, Léonard accepte l'invitation du roi de France François
1er et s'installe à Cloux près d'Amboise en compagnie
de Salaì et de Francesco Melzi. Nommé " premier peintre
du roi ", il touchait une pension de 2000 livres par an, somme
très élevée qui témoigne de la renommée
de son talent.
Le cardinal Luis d'Aragon lui rendit visite le 10 octobre 1517 ; son
secrétaire Antonio de Beatis, qui nous a laissé une page
célèbre de cette rencontre, écrivit : " Notre
maître se rendit avec nous tous dans un faubourg voir messire
Léonard de Vinci, un vieillard de soixante-dix ans, le peintre
le plus célèbre de notre temps.
Il montra au cardinal trois tableaux : le portrait d'une dame florentine
[
] ; un Saint Jean-Baptiste enfant
et la Madone avec l'Enfant assis sur les genoux
de sainte Anne. Trois ouvrages absolument parfaits. Mais on ne
peut plus attendre de belles choses venant de sa main : il a la main
droite paralysée ".
En effet, Léonard n'a guère peint à la fin de sa
vie en France : il s'est consacré à la conception de canaux,
à des projets architecturaux et à l'organisation des fêtes
royales. Comme nous l'avons déjà signalé, ces trois
tableaux, aimés par le peintre plus que toute autre chose, furent
achetés par François 1er en 1518 et intégrèrent
ainsi les collections royales où se trouvaient la Vierge aux
rochers et la Belle Ferronnière, acquises auparavant par Louis
XII.
Si la fortune de Léonard en France commence bien avant son installation,
le XIXe siècle français a beaucoup regardé l'uvre
et la vie de Léonard : de Stendhal à Ingres, un mythe
autour de Léonard de Vinci s'est créé.
Le peintre toscan fait désormais partie de l'histoire nationale
: il devient le manifeste du mécénat royal de François
1er ; celui-ci aurait assisté le maître jusqu'à
sa mort (Ingres, La mort de Léonard de
Vinci dans les bras de François 1er, 1817,
Paris, Musée du Petit Palais). À la fin du siècle,
l'historiographie française s'est définitivement emparée
de la figure de Léonard pour le naturaliser. André Suarès
dans son Voyage du Condottiere écrit
: " De tous les Italiens, il est le seul universel : et le plus
vaste esprit entre tous.
D'ailleurs, comme Virgile, en dépit de son poème national,
est le moins romain des poètes latins, Léonard est moins
Italien qu'un autre. Ce n'est point sans raison qu'il ne peut se fixer
à Florence où il est né, ni à Milan où
le prince l'emploie [
]. On ne doit pas au hasard que Léonard
ait fini de vivre en France, plus honoré, plus goûté,
mieux compris que partout ailleurs.
Si la France avait eu un génie universel qui fût artiste,
il eût été plus semblable à Léonard
qu'à personne ".
Gennaro Toscano
maître de conférences à
l'université de Lille 3
conseiller scientifique de l'École nationale du Patrimoine
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