La célébration du deux cent cinquantième
anniversaire de la mort de François Robichon de la Guérinière
n'a rien de paradoxal ! Connu essentiellement depuis le dix-huitième
siècle par un livre, l'École de Cavalerie, publié
en 1729-1731, lu et relu depuis par tous ceux qui s'intéressent
peu ou prou à l'art équestre, ce maître et son enseignement
illustrent parfaitement l'une des missions qui incombe aux historiens
du vingt et unième siècle.
Il s'agit pour eux de rendre visible l'extraordinaire liaison qui est
à l'uvre dans la vie sociale des Lumières entre
les principes de la raison théorique, la clarté des discours
et l'écho des gestes de la pratique matérielle.
Comme en d'autres domaines, on a là une occasion de réfléchir
au rôle exact d'un milieu, celui des écuyers, peu nombreux,
peu étudiés, celui des écuyers écrivains
encore moins nombreux, encore moins découverts. Ainsi peut s'amorcer
au-delà des connaissances de spécialistes hautement qualifiés,
militaires humanistes, instructeurs cultivés, administrateurs
des haras érudits, vétérinaires compétents,
la redécouverte et sans doute l'invention intellectuelle des
usages du cheval dans la civilisation moderne.
Ceux-ci n'ont pas totalement disparus, et l'uvre de La Guérinière
assure une part de leur survie par sa créativité encore
au travail dans la sciure des plus grands manèges comme des plus
petits, en France ou en Europe, ainsi en Autriche, en Espagne, au Portugal.
L'homme, qui n'a jamais fait l'objet d'une biographie, est peu connu.
Il est né dans une famille de petite noblesse à Essay
dans l'Orne, en 1688, et on le retrouve à Paris nanti d'un brevet
d'écuyer académiste vers 1715. Il y donne leçons
sans doute jusqu'à sa mort, mais on ignore où il est inhumé
en 1751.
La tradition reposant sur une ligne de la préface de l'École
de Cavalerie attribue sa formation à M. de Vendeuil (ou Vandeuil,
ou Vaudeuil), c'est-à-dire vraisemblablement Anne-François
de Vandeuil, qui tenait académie rue des Canettes.
L'énigme ainsi posée n'offre intérêt que
parce qu'elle ouvre l'histoire de l'art équestre à la
filiation possible avec l'École de Versailles, dont La Guérinière
aurait été ainsi le principal élève et le
principal inspirateur. Ce qui est désormais prouvé, par
le témoignage de Pierre Amable de la Pleignière, son parent,
et par les billets qu'il a signés et qui attestent sa venue à
Versailles, c'est qu'il y a peut-être enseigné à
la demande.
L'histoire d'un homme ne peut se réduire à celle d'un
livre, encore que réédité une dizaine de fois à
l'époque et splendidement illustré par Parrocel. Dans
l'ouvrage, comme dans la vie, on ne sépare les exercices relevés,
des autres usages, chasse, guerre, voyage, voire des fêtes.
Ce livre, qui attend pareillement son historien, est moins le trait
de génie d'un homme isolé que l'expression de toute une
génération (D. Reytier), de tout un monde.
Daniel Roche
professeur au Collège de France
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