C'est dans un vallon cerné par la forêt
de Born au carrefour de l'Anjou, du Poitou et de la Touraine que l'abbaye
de Fontevraud fut érigée en 1101. À peu de distance
de la Loire, la cité monastique s'est développée
au centre du triangle formé par les forteresses de Saumur,
Chinon et Loudun.
Robert d'Arbrissel choisit pour s'y fixer ce lieu qui lui fut concédé
par les seigneurs de Montsoreau et de Montreuil-Bellay. Le pape Urbain
II lui avait donné en 1096 mandat d'être un " semeur
du verbe divin ".
Son talent et son rayonnement d'évangéliste attirèrent
autour de sa prédication itinérante une troupe hétéroclite
de clercs et de laïcs, d'hommes et de femmes. Pressé par
l'Église de sédentariser ce magma humain, Robert choisit
un site qui relevait alors du diocèse de Poitiers dont l'évêque
était un de ses amis.
Dans sa volonté de montrer que l'évangile était
le même pour chacun -quels que soient son sexe, sa condition,
son histoire - Robert créa un ordre double à la fois
masculin et féminin. Une fois sédentarisé, il
lui fallut organiser les différents groupes de la communauté
qui vivaient sur le site. Le plan de la cité correspond à
cette préoccupation : il comprend des bâtiments distincts
destinés aux vierges, aux femmes veuves ou abandonnées,
aux frères prêtres ou convers, aux personnes ayant en
charge les lépreux.
Lorsque d'Arbrissel abandonna la direction de l'ordre, il voulut,
décision révolutionnaire, qu'elle soit assurée
par une femme. " Dieu changea de sexe " commenta plus tard
Michelet.
Les traits essentiels de l'organisation spatiale de la cité
résistèrent au temps. S'adjoignirent aux constructions
existantes elles-mêmes remaniées, des bâtiments
nouveaux destinés aux novices, aux moniales âgées,
à l'administration de l'ordre qui essaima en France, en Angleterre
et en Espagne.
L'histoire architecturale de l'Abbaye est mieux connue grâce
aux récentes recherches archéologiques. L'abbatiale
date de la première moitié du XIIe siècle : restaurée
grâce à Magne (qui fut de 1902 à 1910 l'architecte
chargé du monument) elle abrite les gisants Plantagenet voulus
par Aliénor d'Aquitaine ; la cuisine romane est un exercice
de style très élaboré où jouent l'octogone,
le carré et le triangle ; des bâtiments conventuels apportent
les uns un témoignage du début et du milieu du XVIe
siècle et les autres du XVIIe. Quelques constructions datent
du XVIIIe siècle dans la cour d'entrée pour l'abbesse
et dans le jardin pour celles des filles de Louis XV qui y furent
élevées.
À la Révolution, le domaine devient bien national et
commence à tomber en ruine lorsqu'en 1804, Napoléon
1er signe le décret qui en fera une prison ouverte après
dix ans de travaux.
Pour installer la centrale pénitentiaire, l'ingénieur
chargé des travaux respecte les grandes masses de l'Abbaye.
Parmi les adjonctions subsistantes, après deux siècles
de remaniement, la poterne de la prison avec ses deux guichets à
pointe de diamant encadrant une porte sévère flanquée
de deux colonnes basses et massives.
C'est en 1963 que l'Abbaye est restituée au ministère
de la culture qui en a confié la gestion au centre culturel
de l'Ouest, association créée en 1975 et pilotée
par la région des Pays-de-la-Loire.
Jean-Claude Groshens
conseiller d'État
membre du conseil d'administration du centre culturel de l'Ouest