Le 26 messidor an IX, six signatures étaient apposées
au bas d'un traité âprement négocié entre
le Saint Siège et le Premier consul, celles notamment de Joseph
Bonaparte et de Bernier pour Napoléon Bonaparte, de Consalvi
avant tout pour Pie VII. Le Concordat était signé mais
il n'entrera pas en vigueur avant sa promulgation solennelle, le 18
avril 1802, le jour de Pâques, à Notre-Dame, dans la vieille
cathédrale parisienne rendue au culte catholique.
Entre temps il a fallu mettre à bas deux épiscopats, le
constitutionnel et le réfractaire, pour faire la place à
un troisième, et faire avaliser les clauses de l'accord par la
curie romaine résignée et par les assemblées consulaires
rétives.
Bonaparte usa pour convaincre ces dernières de l'adjonction,
immédiatement dénoncée par Rome, des articles organiques
qui réintroduisaient le gallicanisme parlementaire et avalisaient
la reconnaissance conjointe des cultes protestants. Pour l'essentiel,
par le Concordat, le catholicisme retrouvait sa place dans la société
après les déchirures et les violences de la Révolution.
Bonaparte nommera les évêques comme le faisait Louis XVI
et contrôlera les affaires de l'Église catholique à
la manière de Joseph II. Rome n'avait obtenu en contrepartie
qu'une reconnaissance de fait : le catholicisme était la religion
d'un Premier Consul, qui n'en avait guère, et celle de "
la très grande majorité des citoyens français ",
constat qui pouvait se lire de deux manières : le catholicisme
n'était plus la religion officielle de la France, mais restait,
malgré la récente déchristianisation, celle des
Français.
Le Concordat apportait paix et stabilité. Son annonce - coïncidant
avec la paix d'Amiens - précède le plébiscite de
l'an X (consulat à vie) où pour la première fois,
sans manipulation des résultats, contrairement à ce qui
s'était passé en l'an VIII, Bonaparte bénéficia
de l'approbation de près de la majorité du corps électoral,
score jamais atteint lors d'élections de ce type durant la Révolution
et l'Empire. Le Concordat, le Code civil, l'Université constituent
les masses de granit, selon une expression toujours judicieuse, sur
lesquelles est comme posée la société française
après les secousses révolutionnaires.
Le Concordat aussi, à sa manière, participe à la
sécularisation de l'État : celui-ci maintenant ne reconnaît
que les cultes, voie médiane, manière administrative.
Ce choix s'écarte à la fois de la pratique ancienne, pluriséculaire,
qui faisait du catholicisme et de ses croyances la religion du royaume
; mais aussi il prend ses distances vis-à-vis de la nouveauté
révolutionnaire, libérale en ses débuts, selon
laquelle " nul ne peut être inquiété pour ses
opinions mêmes religieuses " (article 10 de la Déclaration
des droits de l'homme).
L'État en ne reconnaissant que les cultes, se déclare
athée sans le dire, mais à un double titre : il est indifférent
aux croyances, n'ayant pas à adhérer à l'une plutôt
qu'à l'autre ; il n'a pas surtout à choisir de croire,
mais seulement à prendre en considération ceux qui croient,
sans contraindre ceux qui ne croient pas.
Le Concordat fera, en France, système ; à l'extérieur,
exemple, à travers l'Europe d'abord, plus tard, au début
du règne de Pie IX, en Amérique latine même. Si
l'on voulait aller à l'essentiel, ce que l'on appelle le système
concordataire ou, en termes plus juridiques, le régime des cultes
reconnus, s'est développé en prenant appui sur quatre
piliers.
Le premier est constitué par le renforcement
du pluralisme confessionnel, grâce à l'incorporation parmi
les cultes reconnus du judaïsme, effectif entre 1807 (réunion
du Grand Sanhédrin) et 1831 (rémunération des rabbins).
Le second, par l'élargissement des bénéficiaires
grâce à la prise en compte des congrégations catholiques
- avant tout les congrégations de femmes, hospitalières
puis enseignantes - reconnues par vagues succes-sives entre 1809 et
1860.
Le troisième pilier est financier : dès la fin des années
vingt les dépenses des cultes sont portées à un
niveau élevé, supérieur jusqu'en 1880 aux dépenses
de l'État pour l'instruction publique; elles comprennent la rémunération
des clergés mais aussi l'aide à l'entretien et à
la création des édifices cultuels. Quatrième pilier,
le plus visible, la création immédiate d'un ministère
des cultes : plus qu'un symbole, une administration ; moins pourtant
qu'un vrai ministère puisque, sauf à sa création,
celui-ci dépendra toujours d'un autre, l'Intérieur, la
Justice ou l'Instruction publique, triangle obligé du contrôle
étatique sur la Religion.
Le Concordat français aurait pu tôt disparaître -
comme tant d'autres ailleurs, plus tard - à la première
alarme, plus précisément dès la fin de l'Empire.
Il a survécu à la longue querelle entre Pie VII et Napoléon
comme encore, sous la Restauration, à la proclamation du catholicisme
comme religion de l'État et à la négociation inaboutie
par Louis XVIII d'un autre concordat. Il n'a pas été touché,
malgré le tumulte, par le Syllabus et par la radicalisation idéologique
d'un catholicisme où l'intransigentisme doctrinal l'emporte pour
un long temps sur la capacité d'une papauté affaiblie
à passer des accords contractuels.
Il a résisté encore aux lois
laïques des débuts de la III e République par la
volonté conjointe de Léon XIII et de Jules Ferry de ne
pas aller jusqu'à la rupture. Il a seulement sombré en
1905 face à l'exacerbation des passions liées à
l'affaire Dreyfus, à la relance de la question scolaire qui conduira
à l'interdiction d'enseigner des congrégations (1904),
à la volonté radicale d'en découdre, à la
riposte romaine de ne pas transiger.
Ainsi l'on vint à bout d'un siècle
de Concordat même si l'ultime solution trouvée, par Briand
ou Jaurès, fut plus modérée que celle imaginée
par le petit Père Combes.
Le Concordat n'est donc plus ; mais est-ce bien sûr ? Certes la
loi de Séparation est toujours en vigueur, elle qui, dans la
formule lapidaire de son article 2 - " La République ne
reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte " -
résume parfaitement en quoi justement a consisté le système
concordataire : les cultes, leur financement, leur reconnaissance.
Et pourtant, depuis 1908, " l'État,
les départements et les communes " peuvent engager des dépenses
pour entretenir les bâtiments, églises principalement,
du culte catholique qui sont passés à leur charge, après
le refus de Pie X d'accepter les associations cultuelles ; et pourtant
la République, bien qu'une et indivisible, depuis 1919, reconnaît
les trois cultes concordataires et salarie leurs représentants
en Alsace-Moselle ; et pourtant depuis quelques années le ministre
de l'Intérieur se dit aussi avec une insistance suspecte ministre
des cultes et n'a de cesse de trouver les manières pour faire
" reconnaître " l'Islam en France...
Impossible retour du Concordat, incontournables pratiques concordataires...
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