Catherine Trautmann, Ministre de la Culture et de la Communication présente "l’Atlas des activités culturelles" et "les pratiques culturelles des Français- enquète 1997 "
mercredi 24 juin 1998

  1. L’importance de ces deux enquêtes
  2. Les informations marquantes de l’Atlas
  3. Les informations marquantes de l’enquête
  4. Les conclusions politiques que l’on peut tirer de la lecture croisée des deux documents.

1 - L’importance de ces deux enquêtes (menu)

J’attache une importance particulière aux deux études qui sont publiées aujourd’hui.

  • L’Atlas culturel parce qu’il s’agit de la première traduction cartographique des ressources culturelles en France et que cette vision géographique permet d’éclairer et d’objectiver des débats récurrents depuis de nombreuses années.
  • L’enquête sur les pratiques culturelles des Français parce qu’il s’agit de la seule enquête de ce type et que sa parution régulière depuis 1973 permet de mesurer les évolutions de ces pratiques et de les confronter aux efforts faits par les collectivités publiques sur la même période.

Comme par le passé ces résultats sont très attendus. Ils constituent pour moi et mes collaborateurs une base de réflexion pour orienter l’action.

Je vais donc vous indiquer, dans cette masse d’informations, celles qui me paraissent interroger le plus fortement l’Etat et par voie de conséquence, je préciserai les conclusions que j’en tire pour les mois qui viennent.

2 - Les informations marquantes de l’Atlas (menu)

Des ressources beaucoup mieux réparties

Un formidable effort d’équipement aux conséquences visibles

L’effort d’équipement entrepris par l’Etat et les collectivités locales a porté ses fruits.

Les cartes de l’Atlas montrent bien qu’aujourd’hui bibliothèques, écoles de danse ou de musique, salles de spectacles, théâtres ou musées sont présents sur l’ensemble du territoire. Le réseau de diffusion existe, reste à en tirer toutes les potentialités.

Un meilleur équilibre entre Paris et les régions.

Le déséquilibre qui existait entre Paris et le reste de la France est très fortement atténué. Certes la région parisienne demeure celle où la densité d’équipements est la plus forte et où la diversité de l’offre est la plus large. Mais la région parisienne ne se retrouve plus en situation de monopole.

Deux autres régions présentent également une densité et une variété d’équipements et d’offres supérieures à la moyenne. Il s’agit du grand Sud-Est avec la région Rhône-Alpes et la région Provence-Côte d’azur. La richesse du patrimoine historique, les atouts touristiques liés au climat et aux paysages mais aussi le développement volontaire d’initiatives anciennes l’expliquent en grande partie.

Aujourd’hui, il existe une relation forte entre le niveau d’équipement et la densité de la population urbaine. Le déséquilibre essentiel existe donc entre les zones fortement urbanisées et celles qui le sont peu. Mais même dans ce cas on ne peut plus parler de " désert culturel ". Les équipements de proximité sont très également répartis et la mise en valeur du patrimoine historique a entraîné une politique d’animation culturelle, parfois saisonnière mais toujours très active.

De ces informations délivrées par l’Atlas culturel, je tirerai déjà quelques leçons.

1/ Les vertus de l’intervention de l’Etat

Contrairement à l’idée répandue chez certains élus locaux et dans la presse régionale, l’Etat n’a pas été seulement " suiviste " derrière les collectivités territoriales, mais il a joué un rôle d’impulsion déterminant dans le rééquilibrage de l’offre culturelle.

Les collectivités ont autant accompagné le mouvement qu’elles ne l’ont provoqué, même si leur implication financière reste une condition essentielle de ce rééquilibrage.

Je rappellerai notamment le succès de la loi programme pour les musées et l’instauration du concours particulier de la DGD pour le financement des bibliothèques-médiathèques.

Il faut donc réaffirmer une responsabilité, une volonté et une parole d’Etat dans ce domaine.

2/ De nouvelles règles du jeu entre les collectivités.

L’implication des différentes collectivités, dans la politique d’équipements culturels, n’est pas toujours cohérente.

Les communes de plus de 40.000 habitants assurent l’essentiel de la dépense culturelle de leur zone d’influence et assument, de ce fait, des charges parfois exorbitantes.

Les départements restent trop cantonnés dans leur domaine strict de compétences décentralisées et assurent rarement la mission de diffusion sur les secteurs ruraux qui pourraient être la leur.

Les régions, elles, ne jouent pas leur rôle de mise en cohérence de l’offre culturelle que leur échelle territoriale pourrait leur conférer.

Il faut inciter les collectivités à une clarification de leurs interventions et appeler les départements et surtout les régions à une implication plus forte pour une nouvelle étape de la décentralisation* culturelle.

3/ La dichotomie rural/urbain et la nature de l’offre culturelle

L’Atlas montre bien que le principal déséquilibre se situe entre les zones urbaines et les zones rurales. Il existe un risque certain de voir les secteurs ruraux se concentrer essentiellement sur la politique patrimoniale (pour des raisons de développement touristique) et laisser progressivement aux secteurs urbanisés la fonction de soutien au spectacle vivant et à la création.

Cette logique à deux vitesses est dangereuse et il me paraît indispensable de pouvoir offrir même en zone rurale une offre culturelle diversifiée autant que possible.

3 - Les informations marquantes de l’enquête (menu)

Les pratiques culturelles sont en fort développement, mais il s’agit essentiellement de pratiques à domicile liées aux évolutions de l’offre technologique, alors que l’évolution des pratiques traditionnelles n’est pas proportionnelle aux efforts d’équipement.

L’explosion des pratiques audiovisuelles.

Deux équipements encore très peu répandus en 1989 sont maintenant possédés par une grande majorité de la population. 72% des ménages possèdent un magnétoscope alors qu’ils étaient tout juste 25% en 1989. Ces équipements sont utilisés puisque la vidéothèque moyenne se monte à 57 cassettes et que 28% les utilisent, au moins une fois par semaine.

Les Français passent près de 45 heures par semaine, à regarder la télévision, à écouter la radio, à regarder des programmes enregistrés ou à écouter des disques. Grâce à la télécommande leur attitude devant la télévision est beaucoup plus active qu’on ne l’imagine. Elle dépend des sollicitations du moment puisque la proportion de téléspectateurs choisissant leurs émissions à l’avance est en très nette diminution.

Enfin la très nette percée d’audience de la Cinquième et d’Arte prouve qu’il y a place aujourd’hui pour une offre culturelle complémentaire.

L’entrée en force dans les foyers des ordinateurs et de leurs périphériques ne peut que conforter cette évolution.

La politique culturelle doit aujourd’hui tenir compte de ces nouveaux modes de diffusion. Ils constituent un réseau de diffusion complémentaire des réseaux culturels classiques qui doit être considéré comme une chance supplémentaire pour la démocratisation de l’accès à la culture.

L’évolution des modes de lecture.

S’il y a régression de la presse et du livre il n’y a pas véritablement régression de la lecture. Si la baisse de lecture des quotidiens se confirme, faute de séduire un lectorat jeune, si la proportion de " grands lecteurs " de livres fléchit également, les autres formes de lecture se maintiennent voire augmentent, si l’on veut bien considérer que l’usage de la micro informatique relève de la lecture.

Mais je noterai surtout le grand succès rencontré par les bibliothèques et par les médiathèques. Fréquentées en 1989 par 23% des Français, elles en séduisent aujourd’hui 31%. Leur succès est particulièrement élevé chez les moins de 20 ans.

Ce succès est à mettre au compte de l’effort d’équipement entrepris, qu’il s’agisse d’ouverture ou de rénovation. Plus de 800 communes ont été concernées par ce programme.

Cette évolution ne peut que me renforcer dans la volonté de poursuivre la modernisation de ces équipements.

Loisirs et vie sociale.

Si le temps consacré aux loisirs domestiques, qu’ils soient audiovisuels ou électroniques, est en nette progression, une nette majorité de Français marque cependant leur préférence pour les loisirs extérieurs. 69% d’entre eux aiment " sortir " de chez eux et 40% apprécient les loisirs qui se pratiquent avec des amis. La multiplication de l’offre de loisirs domestiques ne conduit donc pas nécessairement au repli sur soi.

Reste donc à savoir si l’offre culturelle actuelle est susceptible de séduire ceux qui aiment à sortir de chez eux entre amis.

Un lent progrès des spectacles vivants

Les théâtres, les salles de concert voient leur fréquentation progresser légèrement, mais à un niveau relativement faible et sans que la structure sociale de leur public ne se modifie. En clair, ces deux disciplines majeures de la vie culturelle demeurent réservées de fait aux milieux les plus favorisés.

Je rapprocherai ces résultats de deux autres chiffres. Ceux qui concernent la fréquentation des musées et des monuments historiques. Leur fréquentation continue de progresser et cela à un niveau beaucoup plus élevé.

Il me semble donc qu’il est temps d’imaginer pour le spectacle vivant des efforts de rapprochement avec le public comparables à ceux qui ont été faits par le passé pour les musées et les monuments. Il n’est que de constater le succès rencontré par le théâtre de rue qui retient l’attention de 29% des Français dont les 2/3 ne franchissent jamais le seuil d’un théâtre.

Cet effort me semble d’autant plus indispensable que l’appétit des Français pour le théâtre et la musique ne se dément pas. Ainsi les pratiques amateurs dans ces deux disciplines sont en progrès constants, ainsi que la fréquentation des spectacles donnés par des amateurs. Or 48% de ceux qui pratiquent le théâtre en amateur ne vont jamais voir des spectacles professionnels. Cette proportion est à peu près la même pour la peinture (46% ne vont jamais dans des musées ou des expositions) et cette proportion monte à 79% pour ceux qui pratiquent la danse.

4 - Les conclusions politiques (menu)

Une démocratisation culturelle en actes.

La lecture croisée de l’Atlas et de l’enquête sur les Pratiques culturelles montre bien que, pour l’accès à la culture, les handicaps de nature socio-économiques restent évidemment plus forts que les handicaps dus à l’éloignement géographique.

Cela me conforte dans la nécessité de lier, dans une politique culturelle, l’enjeu social au sens large du terme (qui bénéficie de l’offre culturelle ?) et l’enjeu territorial (schéma de l’offre culturelle, politique de la ville).

Il s’agit maintenant de tirer pleinement les conséquences concrètes de tout ce que l’on sait déjà et que ces deux études viennent de confirmer. Je veux tout mettre en œuvre pour que les responsables culturels aient désormais une approche professionnelle de leurs publics. C’est le seul moyen pour que l’offre culturelle trouve un public de plus en plus large dans un contexte de plus en plus concurrentiel. Cet effort est pour moi une nécessité de service public.

Cela me conduit à envisager quelques actions immédiates pour effacer le décalage qui existe entre l’appétit de culture, que nous pouvons constater, et l’insuffisante rencontre entre le public et l’offre culturelle traditionnelle. Certaines de ces actions peuvent avoir des effets rapides, d’autres porteront leurs fruits sur le plus long terme.

La responsabilité des structures subventionnées

J’ai souhaité redéfinir les missions de service public des structures de diffusion du spectacle vivant. C’est l’objet de la charte dont le texte sera définitivement stabilisé d’ici quelques semaines après les ultimes concertations avec les professionnels et les associations d’élus.

Dès qu’elles se voient confier la gestion de fonds publics, les structures de diffusion du spectacle vivant doivent respecter un certain nombre de principes et mettre en œuvre des actions concrètes :

  • Pour former le public, et en particulier les jeunes spectateurs, je demande à toutes les structures subventionnées de multiplier leurs actions en direction des scolaires et des étudiants, en intensifiant de manière significative leur coopération avec les établissements d’enseignement.
  • Pour aller vers tous ceux qui ne forment pas encore un public, il faut que les structures subventionnées travaillent étroitement avec le tissu associatif de leur territoire d’implantation et, plus particulièrement, avec les autres structures d’intervention dans le domaine socioculturel ou social.

Par ailleurs, il me semble vital que le spectacle vivant sorte des murs de l’institution sous des formes adaptées et pour une diffusion au plus près de la vie des gens.

  • J’ai demandé que l’on recense sur l’ensemble du territoire national les lieux ressources qui peuvent offrir aux pratiques amateur les moyens de leur mise en valeur : formation, conditions optimales de représentation, documentation et informations devront être les principaux services offerts aux amateurs par ces lieux. Les institutions du spectacle vivant doivent être clairement engagées dans cet effort.
  • Dans le cadre des emplois-jeunes, j’ai souhaité développer l’embauche de médiateurs dans les structures culturelles dont la fonction principale est justement d’ouvrir ces structures vers de nouveaux publics ainsi que vers les personnes exclues ou en voie d’exclusion.

L’accès au spectacle vivant

Il faut nécessairement rappeler que l’accès aux structures culturelles est d’abord une affaire de désir, un désir qu’il faut éveiller dès le plus jeune âge. Cependant des obstacles et des discriminations demeurent.

Je souhaite en particulier que les tarifs ne constituent plus un obstacle majeur. Je demande à chaque structure subventionnée de simplifier leur grille tarifaire, et de prendre des initiatives attractives : soit en adoptant le système en vigueur dans les salles de cinéma (un jour par semaine, un tarif le plus bas possible), soit en regroupant cet effort tarifaire sur un mois complet.

J’insiste sur le fait que ce sont là des hypothèses de travail qui doivent bien évidemment prendre en considération l’économie de gestion de chaque structure.

Mais, je n’abandonnerai pas cet objectif et mes services interrogeront précisément chaque structure subventionnée.

L’accès au spectacle vivant suppose également que la télévision puisse jouer son rôle d’information sur le spectacle vivant, et diffuse plus régulièrement des spectacles lyriques, théâtraux ou musicaux. Le problème est ancien et je suis en train de susciter des rencontres entre professionnels du spectacle et professionnels de la télévision, pour trouver enfin des solutions satisfaisantes.

Le rôle fondamental de l’éducation artistique.

J’ai rappelé à l’occasion de la fête de la musique les inégalités de chances qui existaient entre les enfants désireux de bénéficier d’une éducation artistique de qualité. Des relations nouvelles avec le ministère de l’éducation nationale doivent permettre des progrès notables. La circulaire commune rendue publique à Vaison la Romaine est un premier pas significatif. Elle prévoit notamment la création d’espaces pour l’art dans les établissements scolaires y compris universitaires, le renforcement de la formation artistique des enseignants dans les IUFM avec le concours de professionnels de la culture. Elle confirme enfin la généralisation progressive de l’introduction du premier cycle des écoles de musique et des conservatoires au sein des établissements scolaires du primaire.

Il s’agit là d’un ensemble de premières mesures d’urgence. A plusieurs occasions déjà , j’ai indiqué que la mise en place des 35 heures, le développement du temps libre, choisi ou imposé, seraient des éléments structurants des années qui viennent. Ils sont une chance pour la démocratisation de la culture, à condition de savoir mener une politique adaptée à ces enjeux.

L’Atlas des activités culturelles et l’enquête sur les Pratiques Culturelles des Français constituent des outils fondamentaux pour l’action de mon ministère. Ils doivent être prolongés par une réflexion sur les dynamiques culturelles elles-mêmes.

Pour aller plus loin, le DEP, qui est le principal service d’études du ministère, sera le partenaire des DRAC dans l’organisation d’un travail visant à prolonger ses deux études dans les régions.

Je souhaite, en outre, que les déséquilibres inter-régionaux encore constatables fassent l’objet d’une réflexion visant à établir une stratégie commune Etat/collectivités territoriales dans les régions concernées.

En effet, l’Etat ne peut seul mettre en œuvre une politique de discrimination positive.

S’agissant des déséquilibres intra-régionaux, il me semble que la région est l’échelon territorial pertinent pour construire la cohérence de l’offre culturelle. Cela confère aux conseils régionaux une responsabilité particulière qui pourra s’exprimer à l’occasion de l’élaboration du schéma des services collectifs culturels. Ce travail de réduction des disparités intra-régionales devra trouver sa traduction dans la négociation des prochains contrats de plan Etat/Régions.

En ce qui concerne le ministère lui-même, la DDAT aura la charge de confronter les problématiques liées aux territoires et aux publics.

Le DEP, de son côté, est chargé d’animer un séminaire permanent sur la connaissance des publics. Il réunira les DRAC, les Directions centrales et les Etablissements publics. Et permettra l’élaboration et la diffusion de méthodes d’analyses opérationnelles.

Voilà ce que je souhaitais vous dire à l’occasion de la parution de ce travail passionnant. La France et les Français disposent à l’évidence d’une offre culturelle, riche, diversifiée, relativement bien répartie sur le territoire, mais le plus dur reste devant nous, pour que cette offre profite réellement au plus grand nombre.


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