Membre de l'université de recherche Paris Sciences et Lettres, le Conservatoire national supérieur d'art dramatique (CNSAD) accueille depuis trois ans des doctorants dans le cadre de la formation doctorale SACRe.

La formation doctorale SACRe

Formation doctorale portée par l’université de recherche Paris Sciences et Lettres (PSL), SACRe résulte de la coopération de six de ses établissements membres : le Conservatoire national supérieur d'art dramatique, le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, l'École nationale supérieure des arts décoratifs, l'École nationale supérieure des beaux-arts, l'École normale supérieure et l'École nationale supérieure des métiers de l'image et du son (La Fémis).

SACRe (pour Sciences, Arts, Création, Recherche) est une formation doctorale dédiée aux créateurs. Plasticiens, musiciens, cinéastes, metteurs en scène, acteurs, designers, mais également chercheurs en sciences exactes et en sciences humaines et sociales sont amenés à développer une réflexion à la fois artistique et théorique, impliquant une approche innovante dans leur méthode, dans la construction de leur objet et la présentation de leurs résultats.

Tout en respectant les critères académiques, SACRe a pour vocation d’inventer un nouveau type de doctorat, mettant la création au centre de la thèse. Cet exercice n’est pas le renoncement radical à la théorisation sur l’art mais bien plutôt l’occasion d’un questionnement sur la manière d’imaginer une réflexion théorique à partir d’un geste artistique, et inversement.

Quels formats pour la soutenance ?

Inauguré en 2012, ce programme doctoral accueille à ce jour trente-deux doctorants. À échéance de trois ans, ils soutiennent leurs thèses en public, devant un jury constitué de membres habilités et de personnalités issues du monde de l’art. Le format des soutenances varie selon les disciplines. Les questions posées par celles-ci sont nombreuses. Qu’est-ce que peut être le produit d’une recherche artistique sans être exclusivement un produit artistique ? Les artistes ne manquent pas mais soutiennent-ils une thèse, même imaginaire, toutes les fois où ils font jouer leurs spectacles, exposent leurs tableaux, montrent leurs films ou font entendre leurs compositions ? Aussi, nous recherchons quel pourrait être le mariage délicat et complexe entre une œuvre de création et son cheminement instinctif, intellectuel, expérimental et scientifique. En lieu et place du « mémoire », nous proposons aux doctorants la réalisation d’un « portfolio » pour accompagner le résultat d’une démarche artistique, document au travers duquel il conviendra de lire, par divers moyens, la « pertinence scientifique » d’une démarche fondamentalement instinctive. De quoi sera fait, donc, cet outil de recherche qui ne pourra pas dénaturer le fruit d’une démarche artistique et qui devra, malgré tout, faire autre chose de ce geste artistique ? À nous et aux doctorants de répondre à cette question, par la pratique, et avec le temps.

L'accueil de doctorants au CNSAD

À partir de ce projet, le Conservatoire national supérieur d’art dramatique a ouvert la voie à la recherche par l’art et par la pratique. Par là, l’école s’est vue sollicitée par une nouvelle génération d’artistes : des chercheurs de plateau, des explorateurs d’un autre genre, car avides d’outils nouveaux… Depuis trois ans, l’établissement accueille chaque année un nouveau doctorant dont le cheminement artistique laisse émerger un questionnement clair et pertinent, et qui mérite un temps d’arrêt, un regard particulier ; il dispose des ressources et des forces vives de l’école pour s’exprimer.

Prendre un risque artistique et lui accorder du temps, problématiser sa pratique et tenter d’y répondre en présence d’autres artistes (auteurs, dramaturges, comédiens, plasticiens, photographes, danseurs, etc.) et rendre compte de cette réflexion par un acte artistique, au jour de la soutenance, par l’écrit et par la scène, dans un même élan, c’est à l’accompagnement de ces projets que travaille l’école. Le Conservatoire se construit désormais en présence de ces doctorants. Les élèves acteurs cohabitent avec les travaux des artistes-chercheurs de 3e cycle, d’autres élèves décideront aussi de se former à la mise en scène dès la rentrée prochaine et chacun apprend désormais à se connaître, à échanger, à collaborer. C’est la coexistence de toutes ces générations d’artistes qui fait, depuis SACRe et PSL, le quotidien du Conservatoire.

Sébastien Lenglet, directeur des études et de la recherche pour la formation à la mise en scène au CNSAD

---------------------------------------------------------

Trois recherches en cours

Les états du désir – vertiges de la suspension (dynamiques spatio-temporelles de la scène théâtrale contemporaine), par Lena Paugam (promotion SACRe 2015)

Ma recherche propose une étude du concept de « Désir » appliquée au domaine de l’esthétique théâtrale. Je m’intéresse au « Désir » en tant que moteur d’action et puissance d’être. Je l’envisage dans son sens spinoziste en tant que « désir d’être », il est ce par quoi l’individu se perçoit dans sa puissance en tant qu’existant.  Je travaille à l’élaboration d’une théorie du désir qui permette de saisir la spécificité du temps et de l’espace théâtral. Il s’agit de définir la nature de l’action en jeu au moment de la représentation théâtrale. Comment définir l’action de l’acteur en scène ? De même, de quelle nature est celle du spectateur ? En quoi un théâtre portant son attention sur le concept de désir peut-il engager la représentation dans une redynamisation du temps et de l’espace théâtral ?

Dans un premier temps, je me suis appuyée sur une étude d’ordre littéraire en observant les manifestations de ce qui a été appelé « la crise du drame moderne » à travers le constat d’un dépérissement de l’action dramatique lié à la difficulté d’énoncer, de nommer, le désir. J’ai tout particulièrement porté mon attention sur le théâtre de Paul Claudel, de Marguerite Duras, de Samuel Beckett, de Bernard Marie Koltès et de Lars Norén. Ce travail d’étude dramaturgique a abouti à une deuxième étape de travail : la traversée de ces écritures par le biais de mises en scène et d’ateliers de recherche pratique avec des acteurs professionnels issus du CNSAD. Depuis 2013, j’ai notamment monté Simon (première partie de Tête d’or de Paul Claudel), Et, dans le regard, la tristesse d’un paysage de nuit (d’après Les Yeux bleus cheveux noirs de Marguerite Duras), Détails et Le 20 novembre de Lars Norén. Je réfléchis aujourd’hui à la manière de rendre compte des découvertes issues de ce passage dans le corpus que j’ai choisi par le biais d’une création originale intitulée Les états du désir.

À travers l’élaboration de mes spectacles, en collaborant avec des auteurs contemporains tels que Sigrid Carré Lecoindre ou Antonin Fadinard, je me demande comment la littérature dramatique peut ouvrir les champs d’expérimentation de la scène théâtrale en s’appropriant ces problématiques et quels types de dispositifs scéniques, liés à la construction dramaturgique d’une représentation, peuvent contribuer à rendre le spectateur agissant dans son mode de perception du spectacle.

Images et conscience dans le théâtre, par Linda Duskova (promotion SACRe 2016)

Ma recherche en art et par la création porte sur les différents rôles de l'image fixe dans la création théâtrale. Elle se déploie autour de trois axes principaux :

  1. l'image fixe, le corps et l'imaginaire – un outil dans la direction d'acteur ;
  2. penser la forme théâtrale dans la structure et la logique de l'image fixe – problème temporel et spatial ;
  3. le plasticien et l'acteur, résonances au plateau – les images comme partenaires actifs dans la représentation.

Je m'engage à explorer ces trois points de vue par la pratique au plateau, en développant une méthodologie de travail, à travers trois principaux projets de mise en scène constitutifs de ma soutenance : Das ist die Galerie (réalisé en 2014, à partir de Paysage sous surveillance de H. Müller), Les Masques noirs (2014-2015, auteur : L. Andreïev) et Le Jugement dernier (première étape prévu pour 2015, à partir du tableau de J. Bosch).

La musicalité et la choralité comme base de la pratique scénique, par Marcus Borja (promotion SACRe 2017)

Ma recherche a pour but d’interroger et faire agir de manière consciente et organique dans le travail du plateau, la similarité et la complémentarité des modes de perception du temps dans la musique et dans le théâtre : proposer et mettre au point un langage commun au travail de l’acteur, du performer, du musicien et du metteur en scène ; une boite à outils plus large pour le travail théâtral. L’écoute est le point zéro de cette recherche. Perçue ici comme une traversée active de l’espace et de l’autre, c’est à partir de l’entraînement exigeant et raffiné de l’écoute chorale dans l’espace de la scène que s’ouvrent toutes les potentialité créative de/dans l’instant présent. La voix est au centre de cette recherche : c’est de la matière poétique concrète, malléable, modulable. La gamme très vaste de ses possibilités et l’engagement qu’elle entraîne avec le corps en mouvement constituent à la fois l’outillage et la matière de notre acte artistique.