Pourquoi ce titre d'exposition ? Fables, Formes, Figures, emprunt à André Chastel, développe ces termes comme de possibles et multiples points d'entrée dans une exposition conçue par deux artistes de la même génération, ayant comme points communs d'avoir effectué leurs études à l'École nationale des beaux-arts de Paris et réalisé chacun une résidence à la Villa Médicis, au cours desquelles ils ont pu développer leur connaissance de l'art italien. Ceci, néanmoins, a conduit leurs diverses recherches ailleurs dans le temps et l'espace, la géométrie à formes simples y étant convoquée dans des peintures et réalisations sans rapport direct ici avec la période de la Renaissance et son développement de la perspective ou l'évolution de la culture artistique italienne.

Trois séries d'œuvres sont présentées par Raphaël Zarka. L'artiste a pour coutume d'illustrer chacune de ses expositions avec une photographie prise par lui-même d'œuvres anciennes légendées – dessins, constructions et autres – ayant suscité son inspiration pour une matérialisation en trois dimensions. Une dizaine de cartons d'invitation sont présentés à la Maison des Arts autour de vitrines de micro-peintures d'Emmanuel Van der Meulen. Raphaël Zarka utilise pour ce faire des matériaux naturels, le bois, le verre et la pierre. Les formes géométriques convoquées, pour être plus visibles dans l'espace, poussent l'artiste à rechercher les pierres et bois aptes à renforcer la présence de l'œuvre, sélectionnant ses matériaux pour leurs propriétés adéquates, telle la pierre de Sireuil, simple à tailler et offrant un vaste nuancier. Tout comme la pierre de Vilhonneur, elle a été utilisée par Raphaël Zarka dans la réalisation de deux sculptures dédiées à la famille Schoenflies, présentées dans l'exposition. Arthur Moritz Schoenflies (17 avril 1853-27 mai 1928) était un mathématicien allemand, connu pour ses contributions à l'application de la théorie des groupes à la cristallographie et pour son travail en topologie. Il a écrit sur la théorie des ensembles, en 1902 sur la cinématique et sur la géométrie projective en 1910, ce qui a en particulier suscité l'intérêt de Raphaël Zarka. L'œuvre Emma Schoenflies (2016) reprend au niveau esthétique l'une des théories du mathématicien, la composition de cette sculpture pouvant être poursuivie à l'infini et emplir tout l'espace.
Fidèle à son amour du passé et du révolu, Raphaël Zarka s'est également intéressé aux cadrans solaires écossais. Il a gravé sur les quatre côtés d'un élément de bois vertical de nombreux motifs sculptés découverts dans ce pays. L'Écosse possède un riche patrimoine de cadrans solaires des 17ème et 18ème siècles d’une grande variété. De nombreuses raisons expliquent leur apparition en Écosse durant cette période, comme la croissance de l'intérêt pour les sciences et les mathématiques, et la philosophie calviniste de cette époque qui refusait la décoration pour elle-même et imposait aux objets une fonction. L'esprit écossais engagé dans les mathématiques et la science a ainsi défini le cadran multiple d'une manière qui ne se trouve nulle part ailleurs. Les artisans de ce pays ont montré une passion remarquable pour composer dans toutes leurs formes les mathématiques les plus complexes.

La peinture d'Emmanuel Van der Meulen. La pratique de cet artiste s'inscrit dans une démarche proche de celle de Raphaël Zarka en dépassant comme lui les notions de temps, d'espaces et d'époques pour s'inscrire dans un continuum d'expérimentations autour de l'interaction entre une forme et un contexte. Peu importe la taille de la peinture, elle est à prendre en elle-même comme une présence réelle à travers des matériaux bruts, naturels, mouvants, qui laissent imaginer tous les paysages : les murs, les routes, les cieux, les eaux, les sols, la symbolique séculaire et bien d’autres. L’œuvre Codex citée plus haut, répartie dans deux vitrines à hauteur d’homme, fait référence aux cahiers formés de pages manuscrites reliées ensemble. Le codex, ancêtre du livre moderne, a été inventé à Rome durant le IIe siècle av. J.-C. et s'est répandu à partir du Ier siècle, pour progressivement remplacer le rouleau de papyrus (le volumen) grâce à son faible encombrement, son faible coût, sa maniabilité et la possibilité qu'il offre d'accéder directement à n'importe quelle partie du texte. Avec le codex, ancêtre du livre moderne, le rapport physique au livre s’est modifié radicalement, libérant la main du lecteur et lui permettant de prendre un rôle plus dynamique en déplaçant juste ses yeux pour sélectionner des pages.
Dans l’installation éponyme d’Emmanuel Van der Meulen comme dans ses œuvres de plus grandes dimensions, le spectateur doit donc se rendre disponible pour prendre conscience des diverses attitudes corporelles et mentales auxquelles la composition des tableaux invite. Contrairement à la peinture abstraite, qui refuse le lien à la réalité et le terme de "figure", le peintre suit en effet un processus de transformation mutuelle et continue, lequel nécessite, pour être mis en œuvre, certaines conditions particulières d'observation. Il puise à cet effet dans ses affects de toute nature pour élaborer et modifier progressivement la substance de ses images, selon les évolutions de ses sensations et pensées et des produits utilisés, ainsi que leur réaction au support. La réaction aux œuvres est donc tant physique que métaphysique et requiert une disponibilité méditative pour penser le monde à travers des peintures d'une toute relative simplicité.
Exposition du 9 mars au 13 mai 2018. Maison d'Art Bernard Anthonioz, 16 rue Charles VII – 94130 Nogent-sur-Marne. Tél. : 01 48 71 90 07. Entrée libre en semaine de 13h à 18h, les samedis et dimanches de 12h à18h. Fermé le mardi et jours fériés.