par Sophie Kovalevsky et Marie-Claude Leonelli
Photographies de Serge Briez

La peinture du XVIe siècle français reste mal connue en dehors de l’Ecole dite de Fontainebleau. En Provence, une exposition présentée à Marseille et Avignon en 1987-88 a sorti de l’ombre un certain nombre d’œuvres inédites, le plus souvent anonymes. A Avignon le nom de Simon de Châlons a résisté à l’oubli, si bien que des œuvres lui ont été attribuées en surnombre.
L’ouvrage consacré au très grand panneau peint qu’il a signé et daté en 1539 relève de cette double démarche : faire connaître une œuvre sur laquelle il n’existe pas d’étude antérieure, et participer à une meilleure approche du style de ce peintre.

Venu de Champagne, Simon de Mailhy, dit "de Châlons", est actif à Avignon de 1533 à 1561. Son œuvre est connue par de nombreuses mentions dans les archives, et par des peintures sur bois conservées dans les églises de la région ainsi qu’au musée Calvet. L’œuvre étudiée ici est la plus ancienne de celles qui sont parvenues jusqu’à nous dans leur intégralité. Elle se trouve encore dans l’église pour laquelle elle a été exécutée, la collégiale Saint-Agricol. Mieux, depuis 1539 elle n’en est jamais sortie, son poids et ses dimensions décourageant tout transfert. Sa restauration même, menée récemment, a eu lieu dans l’église.

A l’initiative de la commande de ce retable se trouve une personnalité de premier plan, le doyen du chapitre de Saint-Agricol Elzéar Genêt. Chanteur renommé, il a fait partie des chœurs animant quotidiennement les offices des cours les plus sensibles à la musique, celle du pape à Rome, celle du roi de France à Paris et Blois. Compositeur, soucieux de la diffusion de partitions non altérées, il a participé en pionnier à la création de l’imprimerie musicale.

D’autres chanoines, en particulier ceux de la cathédrale Notre-Dame des Doms, figurent parmi la clientèle de Simon de Châlons. Encore très mal étudié pour Avignon, ce milieu constitue pour les peintres de l’époque, davantage que les évêques, un réservoir de partenaires actifs et motivés. A Simon de Châlons se sont également adressés des notables, désirant orner l’autel de la chapelle funéraire de leur famille, dans l’une ou l’autre des églises conventuelles de la ville. Un cercle plus rural et plus modeste, formé de laboureurs et de confréries de village, se dessine également.
Enfin Simon de Châlons réalise sans commande préalable des "tableaux" grands ou petits, qu’il cherche ensuite à commercialiser. Il participe ainsi à l’évolution du métier de peintre, qui devient entrepreneur et marchand, loin de la vision éthérée de "l’artiste de la Renaissance" encore trop souvent colportée.

Publié dans la même collection que le Triptyque du Buisson ardent de Nicolas Froment, paru en 2011, cet ouvrage en reprend le plan.La première partie raconte l’histoire du panneau, de sa commande pour le maître-autel de Saint- Agricol, jusqu’à nos jours.
La deuxième partie est consacrée à sa confection : techniques utilisées pour le support de bois et pour la couche picturale, et rapports entre le peintre, seul interlocuteur du client, et le menuisier avec lequel il sous-traite.
La troisième partie, qui bénéficie de l'éclairage théologique apporté par le P. Cyrille Devillers, s’intéresse au sens du sujet représenté. On constate au début du XVIe siècle un regain de ferveur envers le thème de l’Assomption de la Vierge, illustré ici par deux de ses épisodes : les apôtres autour du tombeau vide, et le Couronnement.

A travers la détermination des emprunts faits par Simon de Châlons aux œuvres contemporaines italiennes et aux gravures nordiques en circulation alors, est précisée la culture de ce peintre. Sa grande connaissance de l’œuvre de Raphaël et de ses proches collaborateurs, si elle pose la question d’un voyage en Italie de Simon, ramène en tout cas la vie artistique d’Avignon et le goût de ses habitants, en peinture comme en musique, dans l’orbite de la capitale internationale qu’est Rome.

  • Les deux auteurs appartiennent au service des monuments historiques, et l'ouvrage est co-édité par la Direction régionale des affaires culturelles (Conservation régionale des monuments historiques) de Provence-Alpes-Côte d'Azur.
    La majeure partie des illustrations est issue d'une campagne photographique spécialement réalisée par Serge Briez (agence Cap Médiations, 11 370 Leucate).
  • Actes Sud (Arles)/ Drac (Aix-en-Provence), mars 2015.
    Relié, 19,6x25,5 cm, 160 pages, 100 ill. en quadri. Prix : 32€.
    ISBN : 978-2-330-02742-1.