Madame la maire,

Mesdames et messieurs les élus,

Madame la Présidente, chère Mercedes ERRA,

Monsieur le Président, cher Benjamin STORA,

Madame la Directrice, chère Hélène ORAIN,

Mesdames et messieurs,

Chers amis,

 

Il y a dix ans, cette institution ouvrait ses portes. Chacun ici s’en souviendra. Ou peut-être, plutôt, ne se souviendra pas. Parce qu’elle ouvrait sans ruban, sans discours. Dans la discrétion avec laquelle on cherchait, au même moment, à réduire les immigrés.

Pendant sept ans, plus de la moitié de son existence donc, ce Musée a vécu ainsi, dans cette forme de clandestinité. En niant son existence, on pensait pouvoir faire taire l’Histoire qu’il racontait. Il y a trois ans, la lumière a enfin été faite. Le geste était courageux. Et il était salvateur, réellement. Je veux remercier François HOLLANDE de l’avoir eu.

Mais les termes qui avaient empêché l’inauguration en 2007 devraient être interrogés encore plus clairement.

Je pense à deux mots, qui pris isolément, sont sans difficulté, et mobilisés d’ailleurs par toutes les sensibilités politiques. Mais mis côte-à-côte, ils deviennent le monopole de quelques-uns.

Je veux parler ici de l’identité nationale.

Eviter ce débat, c’est au bout du compte le laisser aux mains de ce qui en font une arme. Qui utilisent cette expression pour exclure. Pour stigmatiser. Pour jouer sur les peurs.

Aujourd’hui, 10 ans plus tard – alors que la France a changé, alors que le ton politique a changé, alors que la situation internationale a changé – je voudrais vous proposer d’essayer de regarder de nouveau ces termes en face. Je considère avoir une responsabilité : dans ce débat, et face à la barrière qui a été posé entre l’expression, « identité nationale », et l’immigration. Une responsabilité car au plus profond de ce débat, c’est la culture qui est questionnée – la culture au sens large : les modes d’expression, le patrimoine, la mémoire, la langue, le rapport au monde, les valeurs, les habitudes de vie. Vous avez déjà pris, à votre façon, votre propre responsabilité – de façon décisive : en vous engageant, au jour le jour, auprès des femmes et des hommes qui traversent nos frontières, et en montrant qu’ils ne sont pas des menaces pour notre identité – au contraire.

Le ministère de la Culture est à mon sens appelé à porter, aujourd’hui, une triple responsabilité : celle de changer les mots, en les interrogeant ; celle de changer les regards ; et celle de changer les vies.

Changer les mots.

Ils sont sensibles, sur ce sujet. Et dans les discours qui les ont mobilisés ces dernières années, certains me semblent à questionner. Cherchons les mots qui servent notre ambition, celle de ce Gouvernement : une ambition de dignité pour chaque individu.

Ce soir, je ne vous parlerai pas de ce que les immigrés ont « apporté », de ce qu’ils « apportent » à la France.

Parce que dire cela, c’est commencer à justifier. A se justifier. A les justifier. Or l’accueil est humaniste ou il n’est pas. Il est désintéressé, ou il perd son nom. Vous le savez mieux que personne. On ne peut pas considérer les immigrés comme une partie de l’Histoire de France, et chercher à prouver combien leur présence sur le territoire est « méritée » : en mobilisant sans cesse les grands noms ; en expliquant que leurs aïeux ont versé leur sang, qu’ils ont servi les causes les plus nobles et les combats les plus durs. Ce que je défends – pour chaque femme, chaque homme que notre pays fait le choix d’accueillir – c’est d’abord le droit à une vie normale.

Au terme d’intégration, ensuite, je préfèrerai celui d’enracinement.

C’est d’ailleurs celui que choisit votre Musée, dans ses galeries. L’enracinement – qu’il soit pour quelques mois, pour quelques années, ou pour la vie – c’est la possibilité donnée à chacun de vivre sans renoncement de ce qu’il a été, et dans la confiance de ce qu’il peut devenir : sur le territoire dans lequel il est, avec ceux qui l’entourent.

J’aime cette notion d’enracinement, parce qu’elle traduit l’enrichissement à double sens : l’arbre vit grâce à ce qu’il puise dans le sol qui le porte ; mais il nourrit aussi ce sol en retour, il le régénère, il le fait vivre. Permettre à chacun de prendre racines dans le terreau culturel français, c’est dire la nécessité qu’il s’en nourrisse – qu’il puise dans ses arts, ses valeurs, sa langue, ses références communes. C’est croire aussi à ses bienfaits pour la vitalité de notre culture elle-même : permettre à celle-ci d’être nourrie aussi par ceux qui s’y enracinent, la faire grandir ainsi. Le poète Salah STÉTIÉ raconte ceci magnifiquement, dans Vie d’un homme. Il raconte comment sa culture libanaise natale s’entrecroise avec la culture française vers laquelle il est allé : « Au terme métissage, je préfère celui de tissage. Les bobines se croisent et se décroisent pour que le tissue se noue. C’est l’amitié du fil-à-fil des couleurs, et des motifs jaillissent ».

Je crois par ailleurs que nous devons interroger les mots du phénomène migratoire, et prendre de la hauteur sur ce que nous sommes en train de vivre.

Il me semble important de relativiser la notion de « crise » – bien qu’elle traduise la dureté des parcours de vie – pour parler davantage de « défi », comme le fait le Président de la République.

Un défi qui nous impose d’agir, « de refonder notre politique d’immigration » a-t-il dit à Orléans, sans quoi « c’est le consensus républicain autour de notre tradition d’accueil et d’asile qui est remis en cause, et les seuls gagnants sont les extrêmes ».

C’est un défi global… On oublie parfois qu’un tiers des mouvements de population se font entre les pays dits « du sud », et souvent au sein d’un même pays : depuis janvier, plus de 9 millions de personnes ont été déplacés sans passer les frontières, en raison de conflits ou de catastrophes naturelles. Un tiers des mouvements a lieu entre pays du nord, ou du nord vers le sud. N’oublions pas que la France est un pays d’émigration, le tiers restant, parmi ces mouvements de population, se fait du sud vers le nord. Celui que nous connaissons. Et c’est un défi au long cours.

Il me semble important de prendre de la hauteur sur l’échelle du temps – et c’est l’un des pouvoirs de ce Musée – pour comprendre combien les mouvements de populations sont un phénomène ancien, et cyclique. Je pense à une phrase qui l’exprime mieux que tout : celle du photographe Malik NEJMI à son père, au sujet de son départ au Maroc : « Tu es parti comme un voyageur, je suis revenu comme un fils d’immigré ». Les mouvements de population que nous connaissons sont à envisager dans la durée. Les Français d’ailleurs ne s’y trompent pas. Une étude présentée hier, en ces murs, montre que la prise de conscience va croissant, quant à la nécessité d’accueillir les migrants, et de penser les dispositifs dans le temps long.

Au fond, changer de mots, c’est parler davantage de « culture en France » que de « culture française ».

Ce que nous cherchons à entretenir et à nourrir, ce n’est pas une essence figée : je défie d’ailleurs quiconque de la définir.

C’est une culture mouvante, dont le socle est nourri au jour le jour par ceux qui le vivent. Une culture qui est ouverte, à double sens : c’est-à-dire une culture qui exporte ses talents, qui promeut ses livres, ses films, ses chansons à l’international ; autant qu’elle s’ouvre et qu’elle est irriguée, réciproquement, par les œuvres venues d’ailleurs. Une culture qui trouve son oxygène dans cette ouverture. Le Président de la République l’a redit à Orléans cet été : « La France n’est pas une communauté de sang mais une communauté d’idéaux, de valeurs ». Les mesures les plus fortes ne sont pas toujours les plus coûteuses. C’est le cas des mots, dans cette politique.

Ensemble, nous pouvons ensuite changer les regards.

Les regards portés sur les migrants – de première, seconde, ou énième génération. Des regards qui, en l’état actuel des choses, fragilisent parfois le ciment républicain.

Parce qu’ils fragilisent la liberté de ceux qui les subissent et qui, parce qu’ils ont un nom à consonance étrangère, ont plus de difficultés à décrocher un entretien d’embauche que d’autres par exemple. Parce qu’ils fragilisent l’égalité, de cette manière. Et parce qu’ils fragilisent la fraternité, la solidarité, et finalement la confiance de notre société en elle-même.

Les artistes, les associations, les milieux culturels font déjà preuve d’un engagement extraordinaire pour faire évoluer ces regards. Pour « montrer » la migration sous ses différents visages, notamment, et expliquer la diversité et la complexité des trajectoires – loin des portraits stéréotypés. Pour « dire » la nécessité de regarder et de traiter, quoi qu’il arrive, chaque individu avec humanité.

Notre nouveau défi, collectivement, est de permettre aux migrants d’entrer pleinement dans notre vie culturelle non seulement comme « sujets », mais comme « faiseurs », comme « acteurs » des représentations.

Nous savons que nous pouvons faire davantage encore, dans ce champ.

Nous savons que la scène culturelle et artistique française pourrait refléter mieux encore la diversité de notre société.

Je pense aux programmations des salles de spectacle, des différentes scènes, partout en France.

Je pense aux programmes audiovisuels.

Je pense également aux directions des établissements culturels.

Pour changer les regards sur l’immigration, et construire chaque jour une société plus tolérante, plus solidaire, le ministère de la Culture doit faire sa part : par l’exemplarité, d’abord : notre administration est engagée dans une démarche pour être labellisée par l’AFNOR sur le respect des principes de diversité et d’égalité femmes/hommes parmi les équipes, et l’élan à donner, ensuite : dans ses propres institutions, et auprès de tous les projets que le ministère accompagne et soutient.

C’est un engagement essentiel.

Nous pouvons jouer un rôle, enfin, pour développer l’accès aux arts et à la culture en France : c’est ce que j’appelle « changer les vies ».

C’est évidemment étroitement lié à tout ce dont je viens de parler. Quand les mots et les regards changent, c’est évidemment le quotidien de ceux qui les vivent qui changent aussi. Mais mon propos touchait, jusque-là, l’ensemble des femmes et des hommes qui vivent au quotidien – par leur parcours, par leur héritage – cette question de l’immigration.

Je voudrais ici parler plus exactement de l’action que peut conduire le ministère de la Culture, concrètement, en direction des migrants qui arrivent aujourd’hui en France.

Nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à reconnaître la nécessité de ce travail : près de la moitié des Français jugent urgente la mise en place de dispositifs efficaces pour que les migrants nouvellement arrivés apprennent rapidement la langue française ; près de la moitié sont favorables à un dispositif permettant de se familiariser avec notre culture. Nous souhaitons vous accompagner dans le travail que vous accomplissez toute l’année.

D’abord, pour que chacun puisse participer à la vie artistique et culturelle de notre pays.

C’est le cœur de mon projet ministériel, c’est une ambition que je porte pour tous, et particulièrement ceux qui en sont éloignés aujourd’hui. C’est la condition de l’enracinement que j’évoquais. Les professionnels et les associations comme les vôtres sont à l’initiative de formidables projets, sur tout le territoire. Le Ministère de la Culture, dans toutes ses composantes, doit les accompagner.

Nous souhaitons donc qu’un référent puisse être désigné au sein de chaque Direction régionale des affaires culturelles du ministère, pour aider à la coordination des initiatives à destination des migrants, mettre en réseau les acteurs de la vie culturelle locale, faciliter et encourager les échanges. Pour accompagner et amplifier ce mouvement, je souhaite que ce Musée ait une mission clairement établie de « chef file » auprès de l’ensemble des opérateurs nationaux du ministère de la Culture – j’y travaillerai en lien avec mes collègues ministres de l’Intérieur et de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, et en complicité bien sûr avec Hélène ORAIN.

Sans attendre, cette volonté pourrait se traduire par une action simple, mais symbolique du sillon que nous voulons creuser dans la durée : une action autour de la pratique artistique, comme celle que nous avons pu conduire dans les écoles avec la « rentrée en musique ». Je visitais lundi l’Atelier des Artistes en Exil installé depuis quelques semaines dans le 18ème arrondissement de Paris. C’est une initiative unique en France, née en quelques mois grâce à l’engagement exceptionnel de Judith DEPAULE et Ariel CYPEL. Ce lieu permet à des musiciens, peintres, photographes de pratiquer à nouveau leur art. Ils vivent une forme de renaissance après les épreuves qu’ils ont traversées.  Beaucoup d’entre eux m’ont dit leur bonheur d’être en France et leur impatience à l’idée de montrer leurs œuvres.  Le Ministère de la Culture les soutiendra.

Nous accompagnerons ensuite les initiatives favorisant l’apprentissage du français.

C’est le premier vecteur de l’enracinement. Et c’est une étape nécessaire pour engager des démarches administratives, chercher un emploi, créer des liens. Là encore, les associations comme les acteurs culturels, mènent un travail remarquable – je pense notamment aux bibliothécaires, et c’est une dimension que nous souhaitons intégrer dans la mission actuellement menée par Erik Orsenna. Le Gouvernement entend soutenir aussi cet effort dans le cadre d’une réforme globale du parcours dit « d’intégration républicaine ».

Le Premier ministre a confié au député Aurélien TACHÉ, que je tiens à saluer, le soin de formuler des propositions en début d’année prochaine.

Nous aurons par ailleurs besoin, sur toutes ces questions, d’un élan européen.

J’ai pu en discuter à Francfort, il y a quelques jours, avec mes homologues à l’occasion d’une réunion informelle que j’avais souhaité organiser en marge de la Foire du Livre. L’Allemagne, en particulier, conduit des actions exemplaires : les formations d’orchestres, les projets dans des musées. Nous allons discuter de la façon dont nous pouvons avancer ensemble autour de ce défi. Nous y sommes déterminés.

Mesdames et messieurs,

Chers amis,

Chaque itinéraire est unique. Encore une fois, ce n’est pas à vous que je l’apprendrai.

Chaque histoire est différente.

Je sais par la mienne que l’on peut aimer la France, croire en la France, et servir la France en venant d’ailleurs.

Je suis naturalisée.

Née belge, je suis devenue française. Et j’ai cultivé, dans le cœur de cette appartenance, un enracinement local : à Arles – avec son lot de coutumes, de culture. Je n’ai pas abandonné, pour autant, ce que je porte de belge en moi.

Je veux saluer et remercier très, très chaleureusement toutes les équipes de ce Musée qui, depuis 10 ans, mène un travail essentiel. Toutes et tous, dans cette salle, vous jouez un rôle absolument indispensable.

Vous ne m’avez attendu pour agir.

Mais sachez que désormais, vous me trouverez toujours à vos côtés.

Je vous remercie pour votre engagement.

Je vous remercie pour votre attention.